A l'étouffée

Apolline

Étouffé dans son lit, les bras en croix, François, un homme discret et ordinaire, avait été retrouvé mort. Son cœur avait lâché. Dans l'église du village, les habitants tristes se recueillaient maintenant selon l'usage. Chacun, chacune pouvait, s'ils le souhaitaient, se positionner librement devant le micro, à côté de la dépouille, pour émettre quelques mots. Livrer un dernier message en faveur du « Regretté disparu défunt » comme :

« François était exemplaire, François avait travaillé dur, François était bon, François avait toujours le mot pour rire, François était sincère, courageux, réconfortant, il était brave, si brave, François aimait tant la vie etc… »

Dans ce temps imparfait bombé d'air pulvérisé en haut lieu, ça faisait mouche et forcément se transformaient vite en mouchoirs, reniflements, soupirs humides. L'abbé, concentré, étirait ses bras au plafond. Puis, apparut cet homme, vêtu de blanc, au visage placide, que personne dans le village n'avait vu. « Quoique peut-être aperçu chez le boulanger. » Susurra très vite à sa voisine, une dame en noir du 2ème rang. L'homme, 33 ans environ, les mains posées sur son cœur, s'avança près du micro et dit :

« François était con. Il mentait tout l'temps, il promettait mais ne faisait rien. Il volait, il était coléreux, il avait trompé, trahi sa femme et se moquait de vous. Il a tout fait sans cœur. Vous le saviez tous et toutes. N'est-ce pas ?... Ripe et Paix à son âme ! »   

Un silence de mort générale s'ensuivit immédiatement. Mais très vite, le manque de respiration devenait abominable et quelques personnes se sont données le ton pour s'indigner. De plus en plus. À déraisonner, à douter, à acclamer, à s'offusquer, à polémiquer tant et tant que l'abbé, désorienté, se signa en sept fois. Dans la foulée, il manqua de trébucher dans sa soutane mais se rattrapa à sa coupe de vin, l'a bu d'une traite goulûment  et ordonna en toussotant :

« Si hum.... si hum...lence, silence mes enfants. »

Il s'adressa à l'homme en blanc qui n'avait pas bougé : « Monsieur, on ne parle pas comme ça dans la Maison de Dieu. »

Le monsieur en question, en ouvrant grands ses yeux, rétorqua avec fermeté à l'abbé devant la foule manifestement contrariée :

« Ici, N'EST PAS la maison de DIEU. Ni aucune autre d'ailleurs. Elles ont été créées pour tous et toutes, dans le but de nous réunir dans la fraternité mais ont été détournées par des hommes mauvais, manipulateurs pour s'approprier le pouvoir, le règne, semer les fausses croyances, le mal, les divisions, les guerres chez tous les hommes. Et vous rendre esclaves à vous-même. Le royaume de Dieu est en vous et tout autour de vous. Soulève la pierre et » La porte de l'église s'ouvrit avec fracas…

Tous les gendarmes, gâchettes en mains, dans un tohu-bohu, déjà avertis du pugilat, ont déboulés en masse, se sont jetés sur l'étranger qui s'est pleinement laissé embarquer. Certaines gens applaudissaient, d'autres juraient. Les uns parlaient trop, les autres n'écoutaient plus. Seule, silencieuse, une jeune femme aux boucles brunes est sortie du dernier rang pour se jeter aux pieds (qui étaient nus) du trouble-fête.

« Quelle catin, celle-là, ça ne lui suffit plus d'aguicher les hommes sur les trottoirs. » Vociféra une dame aux lunettes noires, en bout de travée, sa canne brandie.

Plus tard, au commissariat, le prévenu, que personne ne connaissait ni d'Ève, ni d'Adam, a été rapidement mis en examen. Aucun papier sur lui, même pas une pièce de monnaie, sans chaussures à ses pieds et de surcroît devenu muet, autant d'éléments ont fini par excéder le chef brigadier qui a éjecté ce pénible individu en détention provisoire. Après enquête rapide et concertation de quelques psys, tout était évident dans cette affaire rendue privée : un fou de plus à conduire illico à l'asile.  

En effet, c'était dingue. Une histoire de plus morte et enterrée, qu'il valait mieux étouffer et ne rien soulever du tout. Dans notre monde, les gens devenaient vite fous et puis c'est tout.

C'était même à gerber d'avoir tenté de chercher des noises dans ce village paisible, d'avoir semé la peur chez les habitants. GERBER oui, pour reprendre le terme qui circulait sans répit partout au sein des petites gens visiblement écœurées, leur cœur à portée de mains, chaque matin. C'est ainsi que l'abbé et son église, en guise de retour à la paix, et d'aération devenue nécessaire, offrit une messe anniversaire mensuelle en souvenir de François, devenu maintenant extraordinaire. Nombreuses, pour soutenir sa mémoire, des gerbes et des gerbes, d'imposantes gerbes de fleurs abondaient pour recouvrir régulièrement sa pierre.    

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