Acceptation

Jacques Robert

Éditions REVNÉZY

Cher Monsieur,

Je dois d'abord vous remercier de revenir vers nous malgré, ou apparemment du fait même de votre expérience précédente auprès de notre maison, non concluante et qui vous avait, à l'évidence, déçu. Vos propos, à mon endroit, concernant le courrier de refus qui vous avait été adressé sous ma signature m'ont interpellés par leur caractère véhément. Soupçonnant toutefois que nous ne sommes ni les seuls ni les premiers à avoir renoncé à retenir votre travail et n'osant croire que votre nouvel envoi puisse témoigner, paradoxalement, d'une insuffisance particulière de notre part, je veux que vous sachiez que je suis sensible à votre persévérance, mais aussi à votre fidélité.

Vous avez compris que cet aspect du métier d'éditeur est une constante inévitable et une nécessité qui, en fait, nous navre. Vous avez aussi compris que la conséquence doit en être une relative distanciation dans la manière de répondre. Nous ne pouvons en effet prendre le temps de longuement commenter des textes qui peuvent ne pas être dépourvus de qualités, mais autour desquels il ne nous semble pas possible de monter un projet. N'étant pas nous mêmes dépourvu de sensibilité, il peut nous être pénible de motiver un refus. Je sais, pour l'avoir expérimenté, à quel point les aspirants auteurs pleins d'espoir et, assez souvent, de projets de carrière, peuvent être désappointés.

Je dois en effet indiquer, à ce stade, qu'il m'est arrivé d'affronter une telle situation dans des circonstances dans lesquelles j'aurais moi même souhaité un rapport plus personnel et, sans parler d'éloges ou de félicitations, le témoignage d'un rien de considération. Il n'est pas interdit de penser que ma position actuelle d'éditeur puisse tenir en partie de ces expériences fâcheuses en un nombre d'occurrences suffisant pour introduire un doute insidieux et persistant sur la qualité littéraire de mes écrits.

C'est donc avec plaisir que j'ai constaté que vous aviez su réagir avec à-propos, avec dignité, quoique qu'avec une certaine vigueur et avec professionnalisme.

Le comité de lecture de notre maison avait attiré mon attention sur l'abord de votre texte, cryptique, qui au début laisse perplexe. Il m'a été suggéré que je gagnerais à le soumettre à un spécialiste de ce qui semble être votre domaine d'expertise.

Il a entrepris l'examen de votre travail avec curiosité, mais sans réticence ni réserve.

Je vous informe immédiatement que le retour qui m'en a été fait est extrêmement favorable.

L'homme de l'art est tout simplement dithyrambique quand à votre style d'une grande précision, d'une grande efficacité mais en même temps d'une grande richesse. Vous avez fait preuve, me dit on, de pertinence dans le choix de votre langage et la maîtrise, incomparable, que vous avez de votre syntaxe, donne à votre travail une légèreté et une élégance qui ne le cède en rien à la rigueur de votre propos et à l'exigence de l'objectif que vous poursuivez de manière lumineuse, au moins pour celui qui sait vous lire.

C'est donc avec plaisir que je vous informe que notre maison a décidé d'accepter votre travail intitulé « programme informatique de rédaction automatisée de lettres type de refus ». J'ajoute que nous retenons aussi l'option « base de données de citations d'auteurs oubliés ou n'apparaissant jamais avant la neuvième page de résultats de Google ». Un test approfondi a fait apparaître un choix très étendu, particulièrement judicieux et pertinent.

J'en espère beaucoup, pour permettre à notre maison, à l'avenir, de ménager la susceptibilité artistique et la sensibilité, nécessaire, quoique parfois exacerbée, de créateurs en quête d'eux mêmes et aussi de reconnaissance. Je compte sur votre travail pour tempérer ce moment délicat que partagent, je vous prie de le croire, évidemment de manière opposée, les éditeurs et les aspirants auteurs.

Je vous remercie de bien vouloir m'adresser votre facture afin que nous puissions mettre en œuvre votre travail dans les meilleurs délais.

Sincèrement votre

Lettre d'acceptation "travail" d'un auteur par ailleurs déçu.

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