Adrienne et la nuit

lanimelle

Adrienne et la nuit

Adrienne déplia la lettre.

Le rendez vous est prévu le 1er aout.
Elle l’avait espéré plus rapide mais il arrivait maintenant, dans le cœur de l’été.

Adrienne aimait les projets parce qu’ils la raccrochaient à la vie.
A chaque fois c’était peine perdu, alors elle en inventait d’autres qui finissaient comme les précédents, dans le caniveau, dans le fleuve aux questions sans réponses.

Elle détacha du crochet la longue corde enroulée.

Elle sera obligée, pendant 3h disait le courrier, de se faire disséquer, parler d’elle et du passé qui l’a fait suffoquer, de dire des mots qui  clouerons leur bouches, de laisser son visage reprendre la forme de son histoire.

Ca lui faisait un mal de chien, comme avant, aucun soulagement, aucune distance, rien n’avait épongé la souffrance.

Des soupirs, plus que des soupirs, comme devant un cadavre, que peut on en dire quand tout est fini?

Elle distinguait devant ses yeux, des images sombres, des flashs de sa peau rouge, bleue, griffée, balafrée par l’horreur, le corps perforé d’invisible séquelles.

Elle s’arracha ongles après ongles, avec les dents.

Elle s’attaqua à la peau autour, sous l’emprise du passé qui posait ses mains sur sa glotte en appuyant du pouce, jusqu’au sang les chairs grignotées, grossièrement, ébauche d'une décomposition.

Adrienne eut l’idée de se réduire, de se recroqueviller pour échapper à la peur, se cacher pour ne pas laisser  une chance à l’angoisse de la retrouver et de la torturer.

Dans le silence du placard, dans l’utérus infâme de sa torpeur, marinant dans le ventre de la réalité aux relent de souffre, elle se mit à vomir, à gerber de la bile accompagnée de convulsions acides, jeux de ses boyaux, vers le haut, toujours plus vers la bouche, comme si tout l’intérieur d’elle essayait de sortir par sa bouche.

C’était douloureux ses entrailles qui veulent la fuir, c’était des spasmes incontrôlables, elle se sentait comme en cure de désintoxication de je ne sais quel diable qui l’avait pris pour cocon.

Elle essuya d’un revers de la main droite un reste de bave putride.

Le temps passa dans le placard de la nuit, sa main était accrochée à la serrure intérieur, elle était dans le creux, dans la faille ou les âmes se font aspirer pour rejoindre la folie.

Elle sortit  à quatre patte ne sachant plus se mettre debout, ses os étaient prêts à se casser de vouloir juste retrouver une condition humaine.

3 jours d’absences suivant l’agenda.

5 messages sur le répondeur,  10 enveloppes sur le portable et des mails colorés les uns en dessous des autres.

Elle ne décrochera plus, elle ne lira plus, même celui de cet homme qui lui avait ouvert une porte.

Par reflex elle prit la plume, déchargea le calibre de son encre puis jeta la dernière semence explicative, ridicule.

Elle le savait maintenant que la corde était autour de son cou, elle le savait qu’il n’y avait plus rien à dire.

Elle se jeta dans le vide.

Ils ont dit que le décès était au alentour de 1h30 du matin.

Ils ont dit à la famille que parfois ca arrive, juste avant que tout s’arrange.

Ils disaient même entre eux, quand ils avaient fait leur ronde dans la nuit, qu’elle semblait si heureuse quand un homme l’avait embrassé sur la place du marché, c’était seulement vendredi dernier.


L’animelle

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