Aie ! Y’a un os !

Pour ceux qui me connaissent un peu, à lire mes conneries quotidiennes, sachez que dans la vie, je ne vaux guère mieux. Le même mec, un peu décalé, un peu déjanté, un peu délirant et encore, je dis un peu par euphémisme, pour limiter les dégâts, les gars, car il m'arrive de l'être carrément parfois, rondement occasionnellement aussi, mais triangulairement, ça  jamais ! Sans vouloir vexer, blesser ou choquer qui que ce soit, il m'arrive encore de heurter la sensibilité de certains de ces « qui que ce soit » dans mes facéties. Voici, donc, une anecdote malencontreuse à ce propos.

Tous les matins, je l'ai peut-être déjà dit, je promène le chien d'un de mes potes qui habite dans mon impasse, qui de fait, est aussi la sienne au même titre de propriété que la mienne, puisqu'elle n'appartient ni plus à l'un, ni moins à l'autre, qu'à la ville. Mais que voulez-vous, on procède tous abusivement du possessif. Je dis bien. « Bonjour ma chérie » sans me soucier qu'elle puisse être la chérie d'un ou de plusieurs autres aussi, ou tout simplement, la chérie d'elle seule, mais bon, peu importe, revenons à nos moutons et s'il vous plait, laissez ma chérie tranquille.

Donc, en promenant le chien de mon pote, qui se prénomme Zébulon, mais qui ne se promène pas tout seul pour autant, je passe toujours devant le cimetière de la ville, pour me rendre dans un grand parc, laissé à l'état sauvage ou disons à l'état naturel, pour moins de connotations péjoratives. J'ai toujours pour l'occasion un grand os en plastique, obédience tibia, sous ma parka l'hiver. L'été, j'ai arrêté de faire cette blague, car sans manteau, je le glissais dans une des poches avant de mon jean et les passants me dévisageaient, mais plus bas, avec une mine réprobatrice.

Bref, l'os caché, j'attends de croiser des piétons pour le mettre dans la gueule de Zébulon, en le sermonnant.

-         Tu vas me faire le plaisir de ramener ça, tout de suite où tu l'as trouvé ! Tu m'entends !

Voilà, ce n'est pas bien méchant, c'est une plaisanterie bonne enfant et généralement les gens rigolent avec moi, un instant. Ensuite, il critique la dégaine de mon chien qui est moche comme une gargouille qui bave plus qu'elle ne vomit l'eau de pluie, mais comme, de toute façon, ce n'est pas mon chien, je m'en fous. (Du reste, je trouve qu'ils n'ont pas tort, mais ça, j'évite de le répéter à mon pote, qui trouve sa gargouille comme étant le plus beau chien de tous les plus beaux chiens du Monde. Carrément, circulairement et pyramidalement, aussi !)

Or un jour, que je pratiquais ma blague au croisement d'une vieille personne, une femme, j'aurais préféré que ce soit un vieux monsieur, pour ne pas encore être traité de misogyne, mais manque de bol, c'était une vieille bonne-femme.

Elle me dévisagea, mais sur ma figure cette fois, avec une expression sur son visage à elle, ambivalente, entre le dégout et le dégout.

-         Vous vous croyez drôle jeune homme ?

C'est toujours flatteur de s'entendre être appelé jeune homme quand on en a dépassé largement les limites. Comme quoi, tout est relatif, disait la femme d'Albert pour des raisons intimes de couple que je raconterai une autre fois, pour rester concentré sur mon récit. Je lui répondais donc poliment pour ne pas la vexer.

-         Vous l'avez reconnu, c'est celui de votre mari !

Me croirez-vous, elle l'a très mal pris. Elle a commencé à faire tournoyer sa canne dans un kata d'art martial en essayant de me crever un œil avec son bâton de majorette. C'était la première fois que je me bastonnais avec un ancêtre, je n'avais pas l'habitude. Ceci dit, peut-être, un peu, du moins je l'espère, pour excuser la suite. Le fait est, que j'eus le dessus et elle, conséquemment, le dessous, en se cassant le col du fémur, aie ! C'est ce qu'elle cria d'ailleurs, en chutant. Bon prince, je la tirais sur le trottoir pour lui éviter la double peine de se faire « raplaplatir » par une voiture. Pauvre automobiliste, je suis persuadé qu'il aurait eu des problèmes, même avec ma version en tant que témoin de la scène, qui aurait précisé, qu'elle avait tenté délibérément de mettre fin à ses jours dans un empressement qui ne se justifiait nullement, vu son état. Ah, l'impatience du quatrième âge !

Ensuite, magnanime, j'appelais les pompiers en criant. « Au feu ! Au feu ! » Comment appelez-vous les pompiers, vous, quand vous avez oublié votre smartphone dans le lit de la femme du chien de mon pote, enfin non, dans le lit… et puis merde, vous m'avez compris. Je criais donc. « Au feu ! Au feu ! » Mais si vous préférez que je crie. « Aux pompiers ! Aux pompiers ! » Je le fais, faites le moi savoir. De toute façon pour le résultat obtenu, j'aurai, tout aussi bien, pu bramer mon rut au fond des bois que cela n'aurait pas été moins efficace. Pas de pompier en vue. Ah, ceux-là, jamais là, quand on crie au loup.

Bref d'autres personnes, moins étourdies que moi, pour ne pas avoir oublié leurs téléphones dans les lits de leurs maîtresses, finirent par arriver. Ils appelèrent les secours et dix minutes plus tard, la vieille karatéoldwoman était emballée, pesée, désossée dans l'ambulance.

Je faisais un petit signe d'adieu au véhicule et Zébulon en profita pour filer dans le cimetière à la recherche d'un os moins synthétique et plus sympathique.

« Revient ici, tout de suite ! Cabot nécrophage ! »

Bon ! Je vous avais prévenu, que ce n'était pas très charitable mon histoire, d'autant plus que j'appris plus tard, dans le journal local, que la vieille était morte à l'hôpital, non de son opération du col du fémur, mais d'avoir contracté la rage. Il va m'entendre le Zébulon.

-         Alors ! Ça ne te suffit plus d'être moche comme un pou, il faut que t'ai la rage, en plus ! Ah, ces cabots ! Ils font vraiment tout pour se faire remarquer.