Altalaburqa est une république

amaeta

Altalaburqa est une république. De jadis à jusqu'ici. Altalaburqa est le pays où je marche aujourd'hui, sous un ciel couleur de bitume, dans des rues de néon à l'approche de la nuit. Je n'ai pas bougé d'ici depuis pas tout à fait l'enfance, et pourtant il me souvient que de jadis à jusqu'ici j'habitais un autre pays. De quoi était fait ce pays je ne sais plus, ou plutôt plus personne ne semble vraiment savoir — ce n'est pas que nous aurions oublié, non, c'est pire, c'est que nous acceptons que tout sans bruit s'efface, la puissance des effaceurs justement est d'effacer sans bris, sans cri — de traits de plume sans envol et d'esprit sans esprit. Alors qu'il faudrait hurler.

Altalaburqa a des institutions démocratiques. A quoi sert la démocratie quand on n'apprend plus aux gens à penser ? A élire un homme qui ne se souvient plus d'où venait son père. Un homme qui arbore un demi-nom et qui a un ministre dont le nez se tord de plus en plus vers la droite à mesure que l'heure passe sur sa face, comme une aiguille qui ignorerait le sens du temps sur une montre. Un ministre qui fut le second à son ministère comme il le fut partout, il fut partout, et partant partout il seconde — sans âme ni états d'âme, et sans autres pensées qu'arrières. Altalaburqa a des institutions encore démocratiques. Un homme dont le cerveau a connu trente ans d'embouteillages et s'est transformé en courant d'air : grâce à la mère de ses enfants, c'est lui qui l'a dit. Ou bien ce n'était pas son cerveau. Heureusement, nous avons aussi un ministre des courants d'air, de l'entre deux portes, et du sens où va le vent. C'est un homme qui sait lire — dans Altalaburqa, lire également se fait de gauche à droite. Lire est-il âgé ? étilagé, de droite à gauche peut-être ?

[…]

J'aime marcher dans Fumetu la capitale. J'aime Fumetu de toute mon âme, Fumetu qui est sur la terre, la terre qui est un astre. Et j'aime les cafés, les bistrots, les troquets de Fumetu. Du temps où Fumetu ne s'appelait pas ainsi encore, je respirais moins bien dans ses cafés, aujourd'hui c'est mieux pour moi, beaucoup mieux, mais je ne comprends pas pourquoi c'est dans les rues de Fumetu que moins bien je respire. Je marche. J'arpente chaque jour trottoirs et escaliers de la ville, je connais certains passages, d'aucuns secrets, j'y connais des horizons vastes comme à la mer, et des trouées alpestres, des places comme des clairières, des marchands de fruits et de glaces de bijoux et de livres, des musées démesurés et d'autres qui tiendraient dans ma poche, des cinémas, du cinéma, de la romance et des visages.

Je prends aussi le bus à Fumetu. J'y prends le bus pour prendre l'air, pour ne pas descendre sous la terre, pour contempler la ville.

Et alors le métro. Quand je me sens d'y descendre. Ou quand il ne se peut que ça, même si je préfèrerais ne pas. Je me souviens que tout petit j'y ai vu une fois des wagons en bois verts et un rouge, et plusieurs fois d'autres bleus et un jaune, chaussés de pneumatiques, un merveilleux soupir, et puis ce furent des wagons blancs.

Aujourd'hui il y a un métro tout automatique qui mène d'une gare à une bibliothèque et plus loin, sans conducteur, ce qui veut dire qu'on peut s'asseoir tout devant et laisser son regard percer des tunnels dans le noir. Dans les stations de métro, il y a des quais où l'on attend. Le quai du métro automatique est défendu de la voie par une paroi de verre, pour que les gens ne se jettent pas sur les rails. Sur les autres quais, on n'en est pas encore là, le suicide n'y est pas une telle urgence. Mais au long de tous les quais à Fumetu — pas depuis jadis mais déjà jusqu'ici — poussent d'étranges sièges à décourager l'attente. Jadis c'étaient des bancs, des bancs souterrains mais publics, et, mégoter, tricoter, converser, lire ou délire ou bécoter, on savait quoi faire sur des bancs publics. Et puis j'ai vu des barres transverses scinder en trois ces bancs urbains, et puis l'urbanité disparaître et les bancs remplacés par des brochettes de chaises étroites où le Président ne saurait poser ses deux joues, des pans de plinthes inclinées où s'affesser sans s'asseoir, et aussi — je crois que c'est la crème — des sortes de conques à cul comme il est des coquetiers, des sièges dont le but premier n'est pas forcément qu'on s'asseye, dont l'inconvénient premier ne serait pas l'inconfort, non, mais dont la pensée qui les conçut désirait qu'on ne puisse s'y allonger. Chez moi, en Altalaburqa mon pays, on a conçu des bancs pour y empêcher les clochards. Et chaque fois que je vois un de ces objets je pense à l'homme qui a commandé de tels objets, et à celui qui les a dessiné, et à celui qui les a fabriqués, et à celui qui les a installés, il faut bien vivre, et au clochard qui les habite malgré que, deux incisions d'acier sciant sa colonne vertébrale, ou lové en six tel un orvet dans sa coquille car il faut bien dormir. Et je remercie l'homme qui dort dans l'objet qui fut installé parce que dessiné parce que fabriqué parce que conçu parce que commandé par un habitant de ma cité qui doit bien vivre, mais penser, penser, penser ? je ne sais pas.


  • Une bien belle création...

    Au passage, voici une info glanée sur Internet. C'est un appel à textes, valable jusqu'au 15 juillet 2011 :
    http://www.suite101.fr/content/jacques-flament-comment-on-devient-editeur-a27752 Cliquer sur LEITMOTIVE...

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Photos libres.com orig

    3d0

  • merci Jones pour le partage! comme dit Kô, j'aime le texte

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Chat

    Eric Varon

  • A Altalburka un petit homme est monté sur le trône, on dit trône maintenant. On sait que ce pays est une république, mais on n'en trouve les traces que dans les livres. Ce petit homme que certains voyaient grands a fait d'Altalaburka un pays triste, car si ce qu'il disait était vrai, tous les hommes et les femmes qui avaient habité ce pays avant lui s'étaient trompé, et les gens n'aiment pas lorsque leurs ancêtres se trompent, alors ainsi le siècle des lumières ne fut qu'un siècle de lucioles. A présent l'obscurité règne même en plein jour et les lumières urbaines n'éclairent plus le futur. Il fait nuit et les enfants même ont peur.

    Merci, je n'ai pas pu m'en empècher.

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Persopsy

    Jacques Lagrois

  • C'est excellent! merci Jones pour le partage!

    · Il y a presque 14 ans ·
    Bambou orig

    ko0

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