Armée de fantômes.
ellis
Ainsi nous sommes interchangeables. Ainsi, on peut dire : « j'en ai rien à foutre » quand quelqu'un vient vers vous, avec dans les mains, un travail qui lui a coûté sa soirée de la veille, et la moitié de sa nuit, en plus de ses journées. Des journées, quelles journées ? Journées lasses et grises, à exécuter. Bêtes petits pions.
C'était quand le temps de l'école ? Du plaisir et de l'apprentissage ? C'était quand le temps de la fierté pour l'effort accompli ? C'était quand (ouh… c'est si loin…), le temps de l'admiration ?
C'était quand ?
Ce n'est qu'un boulot.
Ma voix fêlée ne fera qu'hurler avec les loups ce triste refrain qui remonte le long des cheminées d'usines qui ferment leurs portes.
Ici pas d'usine. Pas de porte fermée. Même que de l'argent il y en a.
Allez, pas de polémique…
Ce n'est qu'un boulot.
Ici, le mot d'ordre, c'est l'usure. On vise les têtes. Première ligne d'abord. Puis la deuxième. Après. Puis la masse.
Dans les faits, ça commence par quelqu'un qui ne vient pas, un matin. Et puis il ne revient pas. Jamais. Et puis, on ne sait rien. Et puis, un jour, paraît une annonce pour son poste. Ca marche comme ça, ici, on ne part pas. On disparaît. Evaporé. Comme un fantôme du passé, balayées tes années de travail. En un souffle. Disgrâce ironique. Interchangeables.
Pas droit à ton pot de départ, coco. Tu iras sur la pointe des pieds voir ailleurs si le loup y est.
Ca fait quatre déjà. En deux mois. Belle promesse d'hécatombe. Belle armée d'évanouis.
Au-dessus de nos têtes, le chaos ordinaires des gens épuisés et perdus, qu'on abîme, sans relâche, pour ne pas avoir à leur demander de partir proprement.
Pour quoi faire après tout ? Pourquoi s'encombrer du respect ?Encore une semaine, ou deux, et celle-là va tomber comme une mouche. De toute façon, dans leurs grandes têtes pleines d'ordres et de contre-ordres, ils ont déjà une organisation toute tracée. Faut faire du fric, y a pas. Ce n'est qu'un boulot.
Là, ils mettront tel ancien collègue, ou telle connaissance, ou tel beau-fils qui se cherche encore un peu mais qu'il faut bien employer. On fait venir les potes quand on a fait partir les indésirables. Danser sur les bureaux désertés des fantômes. Ce n'est qu'un boulot.
Visage, visage, visage, sourire, éclat de rire.
Le jour où tu m'as donné ma chance. Le jour où tu m'as dit que tu serais là quand j'en aurai besoin. Qu'ici, on comprend. On se serre les coudes. Tu savais pas que tu mentais. Ils se serrent bien les coudes, tous les futurs fantômes. Je le sais.
Demain sera un autre jour, tout froid tout sale. Où je me souviendrai du temps de la solidarité, de l'effort collectif, de l'écoute comme d'un rêve évanoui.
Je suis, nous sommes tous, le témoin d'un truc qui pourrit. Ce n'est qu'un boulot.
Soulève-toi, nom de Dieu, armée de fantômes.
Demain, il faudra partir. Il reste bien un peu de pureté quelque part.
si vrai. Mais l'effort ne peut être perçu par des somnambules. L'effort, il est d'abord par rapport à soi. Peut-être suis-je provinciale en disant cela, dans ma lande où les rapports humains ont encore un tant soit peu de valeur, mais il est des gens qui non seulement apprécient votre effort mais vous donnent envie de redoubler d'efforts. Je comprends votre colère. D'autant plus que je suis censée enseigner le goût de l'effort. Peut-être faut-il avoir souffert pour ouvrir les yeux, et souffrir, c'est déjà sentir qu'autre chose existe qui ne devrait pas être ainsi, c'est déjà trouver le ressort pour s'efforcer vers autre chose. Enfin, le plus triste, c'est qu'il est des gens qui n'en reviennent pas, du burnout, et que ça n'émeut pas les foules.
· Il y a plus de 8 ans ·fionavanessa
sans doute mais faut bien chercher. darky texte, fort bô vraiment, on a tous un bout de soi dedans.
· Il y a plus de 8 ans ·Christophe Paris
Quelques larmes d'une fantômette de passage. La force est là, celle d'avoir les yeux grands ouverts. Oh ça fait mal de voir mais ça permet aussi de dégager d'autres routes. Tu le dis toi même et tu le trouveras ce quelque part. Avec des billes comme les tiennes on voit même dans la nuit ! Un chocolat à la cannelle ne serait pas superflu...
· Il y a plus de 8 ans ·lilu
merci ma jolie. Et oui, un chocolat à la cannelle serait le bienvenu, surtout qu'ici il fait un temps de novembre un jour sur deux (genre aujourd'hui)... Bisous toi.
· Il y a plus de 8 ans ·ellis
Fort et réaliste !
· Il y a plus de 8 ans ·ade
Merci ade.
· Il y a plus de 8 ans ·ellis
Il est hanté par le désespoir ton texte Ellis, mais tu sais que ce n'est pas sans issue. tu as fait le premier pas.
· Il y a plus de 8 ans ·carouille
pas du désespoir. De la colère. De la peine. Et encore un peu d'incrédulité. Merci Carouille.
· Il y a plus de 8 ans ·ellis
ils savent qu'ils auront toujours de la main-d'œuvre à bon marché qu'ils pourront jeter d'une pichenette, pourquoi s'en priveraient t - ils ! Il y a de cela bien longtemps, 40 ans au moins, non seulement on trouvait facilement du travail mais on gardait sa place. A présent, les gens sont jetés comme des kleenex ... Un texte très réaliste ellis !
· Il y a plus de 8 ans ·Louve
Merci.
· Il y a plus de 8 ans ·ellis