Au bois des Esperts
petisaintleu
Quand le brouillard ankylose la plaine et que je longe le mur du château de Belair, il me vient en mémoire les briques des crématoires réfractaires à tout espoir. Dans les reportages qui sont consacrés à la Shoah, bien plus que la litanie des massacres et la précision technique avec lesquels ils sont égrenés, j'ai toujours été attaché au phrasé neutre et détaché des témoins, victimes ou bourreaux.
C'est à la sortie du virage que je les ai pris en stop. D'habitude, j'accélère pour prendre suffisamment de distance avant que la culpabilité de ne pas m'être arrêté ne m'envahisse. Ils avaient de la chance. La veille, j'avais eu la confirmation que ma demande de prêt était acceptée et j'étais d'humeur badine.
Elle ne devait guère avoir plus de treize ou quatorze ans, à peu près l'âge de ma fille. Son teint blafard, qui capta mon regard dans le rétroviseur, ne suscita aucune espèce de suspicion. J'ai la même à la maison quand, au petit matin, elle émerge d'une demi-nuit de sommeil de s'être faite mesmériser par la lumière bleue de sa tablette.
Lui, c'était l'inverse ; un visage rougeaud avec des veines saillantes laissait supposer que la vinasse devait être l'amante d'une vie bien terne. J'ai la fâcheuse habitude d'avoir l'âme compassionnelle et j'imaginais le pauvre gars se démener au quotidien pour surnager dans un monde trop complexe pour lui.
Sur un ton monocorde, il me demanda si je pouvais les laisser au bois des Esperts. Il n'était qu'à trois kilomètres et ne m'obligeât à effectuer qu'un léger détour par la route de Lucay. Je me surpris à sourire. Il y a trente ans, j'en connaissais tous les recoins. C'est là que j'y emmenais mes conquêtes au guidon de ma 103 SP. L'ombre protectrice des chênes me libéra de ma timidité et de mon innocence.
Que pouvaient-ils bien aller y faire en octobre quand les arbres dénudés se revêtent d'une silhouette fantomatique ?
La réponse vint trois jours plus tard, par le journal. On y lisait une banale et désespérante réalité : une gamine sans histoire, sans problème avec ses parents, une disparition qui ne tenait pas de la fugue d'une adolescente en mal-être. Mon premier réflexe fût de grimper quatre à quatre les escaliers pour débouler dans la chambre de Charlotte. Il me fallut quinze bonnes minutes pour lui soutirer l'origine de ses larmes. Enfin, elle sortit de sous sa couette un exemplaire du Père Goriot. Je sortis rassuré. Elle n'était que la fille de son père, une pseudo-rebelle qui se taillait le chemin de la tempérance par la littérature qui la sauverait en l'enfermant dans des mondes parallèles.
J'ai conduit les gendarmes là où je les avais déposés. L'un d'eux m'a poussé quand j'ai découvert le corps qui gisait, à peine masqué par des feuilles, tant mon réflexe vomitif risquait de violer la scène macabre.
Le plus difficile a été d'accepter la prise d'anxiolytiques. Je ne pouvais pas m'empêcher de l'imaginer se saisir du soda bourré de GHB. Le jour du procès, on m'avait réservé une place au premier rang. Dès qu'il est entré dans le box, le premier regard qu'il a croisé fût le mien. J'aurais alors tout donné pour sentir mes mains enserrer sa gorge. Ma haine et mon dégoût atteignirent leur paroxysme quand il se mit à parler de sa voix métallique et monotone.
Mes nuits sont plombées de wagons à bestiaux d'où s'échappent des cris bientôt masqués par des aboiements glaçant d'effroi jusqu'aux plus valeureux guerriers du Valhalla. Je ne sais pas si je tiendrais le coup. Mon esprit est à jamais tatoué de mon aveuglement qui me rend implicitement complice.
Oui, c'est au bois des Esperts que j'ai perdu ma candeur. De ma bibliothèque, j'ai ressorti l'herbier qui me servait d'alibi pour y aller conter fleurette, dupant la vigilance de mes parents en leur ramenant des anémones, des ficaires ou des jacinthes. Avant de le jeter au feu, je l'ai foulé sans réaliser qu'inconsciemment je perpétuais de nouveau l'acte insensé de ce monstre qui déflora une vie.
Texte qui ne me paraît pas abouti. Des idées, mais encore à travailler. La psychologie des personnages est trop survolée pour que l'ensemble soit efficace.
· Il y a environ 6 ans ·Anna Wilson Grey
Bonjour Griselda. Merci pour votre remarque. Sans entrer dans des détails personnels, je n'ai malheureusement pas le temps de me plonger dans la psychologie des personnages. De plus, dans 95 % des cas, mes écrits se limitent à une page word A4. Et, c'est un parti pris que j'assume, je laisse au lecteur la possibilité de se construire son propre univers en se basant sur la trame.
· Il y a environ 6 ans ·petisaintleu
Je ne vois pas bien le lien entre le premier paragraphe et la suite ! Quel rapport entre le génocide organisé, méthodique d'un peuple et le meurtre même s'il est atroce commise par un pervers ?
· Il y a environ 6 ans ·veroniquethery
Bonjour Véronique. Je n'ai malheureusement pas le temps de faire une explication de texte. Voici une piste : "j'ai toujours été attaché au phrasé neutre et détaché des témoins, victimes ou bourreaux" ... "Ma haine et mon dégoût atteignirent leur paroxysme quand il se mit à parler de sa voix métallique et monotone." Ce que je sous-entends, c'est que la même et froide perversité habite les bourreaux.
· Il y a environ 6 ans ·petisaintleu
Je n'ai pas besoin d'explication de texte, car je comprends ce que je lis. Quant aux citations faites, je les avais relevées. Mais, elles ne sont pas suffisantes pour légitimer ce parallèle fait entre un génocide et un fait divers, aussi odieux soit ce dernier.
· Il y a environ 6 ans ·Par ailleurs, le pervers a juste prononcé une phrase, relativement courte. Dès lors, difficile encore une fois de comparer avec les discours assez longs des témoignages sur la shoah, ce qui est encore un sacré bémol à cette comparaison.
Enfin, les comparaisons avec la Shoah sont si fréquentes qu'elles en deviennent banales et que du coup, elles rendent banales cet odieux génocide. Je trouve ça assez insupportable (je ne parle pas de l'ensemble du texte évidemment). De fait, ce premier paragraphe me paraît du coup tout à fait inutile.
veroniquethery
Bonne remarque. La prochaine fois, je citerai les Khmers rouges ou le goulag. Personnellement, je ne pense pas que le terme de banal puisse être le bon qualificatif pour la Shoah.
· Il y a environ 6 ans ·petisaintleu
Tu n'as pas compris ce que je disais. Je dis précisément l'inverse. Q'à force de tout comparer avec la shoah, on la banalise. Que ce génocide n'est pas comparable à un fait divers. Que cette comparaison est hors de propos.
· Il y a environ 6 ans ·veroniquethery
C'est toi qui parle de comparaison. Personnellement, c'est synergie qui me vient en tête.
· Il y a environ 6 ans ·petisaintleu
Sens du mot à revoir. C'est bel et bien ton parallèle qui crée la comparaison. Mais, tu joues sur les mots et tu as compris ce que je voulais dire.
· Il y a environ 6 ans ·veroniquethery
On y croit, mais ce n'est qu'une fiction n'est-ce pas?
· Il y a environ 6 ans ·arthur-roubignolle
Oui mais non... Quand j'étais en 4e à Moulins, le frère d'un de mes copains est arrivé au collège paniqué. Sur le chemin de l'école, une de ses camarades avait été enlevée par un mec, violée puis assassinée. Le violeur est allé ensuite se jeter sous un train. Quand le frère de mon pote est arrivé au collège, ses propos étaient décousus. Je n'ai rien compris et je l'ai envoyé balader. Souvent je me dis que si on était allé voir les bonnes personnes et que la police étaient intervenue à temps, la gamine serait peut être encore en vie.
· Il y a environ 6 ans ·Et non, je n'ai jamais eu de 103 SP.
petisaintleu
Sujet dramatique et bien traité. Je trouve que ta plume est au top, bravo à toi
· Il y a environ 6 ans ·marielesmots
Horrible ! Mais beau ! C’est pire ! :o))
· Il y a environ 6 ans ·Hervé Lénervé
Magnifique
· Il y a environ 6 ans ·Merci
unrienlabime