Beurk qui nie

petisaintleu

Les blemmophobes (peur du regard des autres), les patients atteints de la variole du singe, les albinos ou les haptophobes (peur d'être touché) servirent de cheval de Troie pour ceux qui œuvraient en sous-marin. Sous couvert de leur phobie, le maire prétexta qu'il était temps de mettre un therme à la portée de tous.

Ne pensez pas qu'il fut hors-sol. Derrière des pensées électoralistes, il se déclara être le sauveteur de tous ceux qu'on laisse au bord du bassin. Du haut du plongeoir – jeu de mot trouvé par l'opposition – il se lança lors du conseil municipal dans un discours baigné de valeurs républicaines. En vérité, il se faisait mener en bateau par le responsable du hammam qui nageait en eaux troubles. Ça le faisait suer de voir toutes ces chaires nues. Atteint de psoriasis pustuleux, il ne supportait pas que des peaux douces comme des bébés fassent affront à ses lésions cutanées.

À l'extérieur de la mairie, des groupes ennemis s'affrontaient. Des adhérents de l'association « Douche pas à mon pote » faisaient face à des extrémistes en maillot de bain. Les membres les plus durs des naturistes n'hésitèrent pas à mettre bas les masques pour exhiber leurs revendications. Ceux-ci refusaient de se mettre à genou face aux ablutions de crachats que leur lançaient leurs adversaires. Pour chlorer ces échauffourées, on fit appel aux pompiers qui sortirent leurs lances à incendie pour rafraîchir les idées. Ils n'eurent guère le choix que de rentrer au vestiaire.

Les vagues de protestations ne se calmèrent pas pour autant. Dès le lendemain, dans toute la ville apparurent des îlots de révolte. Fort opportunément, et même si à vrai dire ça les faisait marrer hautement, les maîtres-nageurs se mirent en grève, ressortant les vieux slogans soixante-huitards tels que « Sous les pavés la plage ». Les touristes anglais qui appréciaient tant la station balnéaire fuirent la promenade littorale, préférant prendre le large vers l'arrière-pays pour ne pas boire la tasse avant l'heure du thé.

Face à cette situation, on sentit comme un flottement au niveau de premier magistrat. À vrai dire, il naviguait à vue et il sortit les rames pour mener sa barque. On frisa la vacance du pouvoir tant la situation était insurrectionnelle. On pensa à exfiltrer de la salle du conseil tous les élus pour les mettre dans un bunker échoué en haut d'une falaise. La digue démocratique était prête à céder sous la pression de la houle contradictoire des groupes antagonistes.

Il reprit pied par l'intercession d'un miracle qui arriva à l'heure du dîner. Alors qu'il se restaurait d'une coquille Saint-Jacques, il eut une illumination. Il était assis dans une paillote quand il aperçut Robert, une vieille épave clochardesque qui faisait usage d'une bâche comme d'une cuvette et d'un pédiluve. En apnée pour ne pas vomir son repas face aux odeurs de guano émanant des pieds du vagabond, il remarqua que celui-ci était vêtu d'une combinaison de plongée.

Dès le lendemain, il convoqua les associations qui revendiquaient le droit de faire trempette habillé sous couvert de discours bidons et en brassant beaucoup d'air. Il leur avait donné rendez-vous au club subaquatique. Il leur fit l'éloge des bains de mer, leur assurant que l'iode était leur meilleure alliée pour soigner tant leurs peurs que leurs dermatoses. Il leur promit de faire voter dans le cadre du prochain budget la gratuité pour qu'ils s'initient à l'immersion dans la Grande bleue. Il invita également à la piscine leurs adversaires. Pour garder le cap et faire preuve d'équité, il leur assura qu'un solarium serait construit et que les naturistes auraient droit de cité.

Pour fêter cette réussite, on sabla le champagne. Quant à l'animateur du hammam, on l'invita à aller prêcher sa haine ailleurs. Il fit ses valises pour retourner dans son bled paumé où seules quelques tanches d'une mare se délectent de ses discours vaseux.

Depuis ce jour, la ville a retrouvé une ambiance pacifique.

Signaler ce texte