Billet d'humeur - Placard - 7

petisaintleu

Quand il découvrit qu'un ancien bunker de la Stasi de 1000 m² était à louer pour trois mille euros par mois, il n'hésita pas longtemps. Il se porta preneur. L'annonce était on ne peut plus explicite. Le bâtiment était dans un état compréhensible après vingt-cinq années d'abandon, maculé de graffitis, de pisse qui imbibait le bas des murs voire de traces de sang, survivance d'une détente Est-Ouest qui se faisait à coups de poing.

Il eut toute la surface nécessaire pour s'acheter une quinzaine de congélateurs et des montagnes de boîtes de conserve. Il se dit que les conditions seraient idéales pour y développer une champignonnière. Il ne prévint aucune de ses connaissances. Il ferma le sas avec précaution, en s'assurant que personne ne l'avait vu y pénétrer. Il remercia l'ère numérique. Son compte était suffisamment approvisionné pour que les prélèvements automatiques aliment des opérateurs booléens qui lui proposeraient des vacances à prix cassé.

Il y resta mille jours. Enfin, de cela, il n'en était plus certain. Les jours se succédèrent aux nuits sous la lumière blafarde des néons. Il aurait pu opter pour des leds qui diffusent un spectre lumineux moins anxiogène. Il préféra la lueur blafarde, certain qu'elle l'aiderait à franchir plus vite les étapes de l'effet final recherché.

Sur son journal de bord, on put lire que les premières hallucinations débutèrent assez rapidement, au cours du deuxième mois de son incarcération volontaire. Le noyau suprachiasmatique, siège de l'horloge biologique, avait déjà entamé son sabordage. Incapable de se raisonner, bien qu'il actualisât encore son rapport au temps, cochant son calendrier, les jours, les heures et les minutes se jouèrent de lui. Les règles qui régissent la vie n'étaient plus de mise, hormis pour les besoins les plus primaires, exception faite de la libido.

Le troisième mois, il ne prit plus la peine de réchauffer les surgelés au micro-ondes. Il se fascinait. Il n'avait pas perdu la raison, mais il réalisait que son cerveau reptilien prenait les commandes, le débarrassant de tout superflu. Sa graphie se modifia. Son écriture se fit plus enfantine jusqu'à ce que les lettes fussent remplacées par des caractères symboliques. Surtout, son nouvel ami le faisait rire. Il arrivait inopinément, toujours avec le même mode opératoire. Il l'entendait d'abord derrière lui, sifflant l'air d'une vieille comédie musicale américaine. Puis, il sentait son souffle chaud qui au début le glaçait d'effroi. Il fut mis en confiance par son ami qui bientôt lui susurra à l'oreille tout ce qu'il aimait entendre. Oui, il était différent, c'est cela qui le rendait unique et si précieux. Il avait eu raison de s'éloigner des écosystèmes qui étaient incapables de mesurer combien il aurait pu contribuer à atteindre leur climax.

Dès lors, ils se construisirent de nouveaux mondes. Qu'importent que les murs se rétrécissent pour jouer les étaux ? Un clignement de paupières suffisait désormais pour les transporter dans des univers kaléidoscopiques. Ils y rencontraient des êtres soumis et corvéables qui buvaient leurs paroles, troupeaux soumis à leurs sages paroles. On leur offrait des montagnes de reconnaissance sous forme de cascades sucrées de remerciements qui louaient leur sagesse. C'est aux alentours du cinq centième jour qu'il muta. Il ne perdit pas pied, bien au contraire. Il était capable de léviter, abolissant les frontières, annihilant les contraintes qui le retenaient encore à sa condition de mortel.

Quand le médecin du travail prit connaissance du dossier de Bernard Lambert, il eut immédiatement en tête le cas du petit David, enfermé par sa mère durant huit ans dans un placard au début des années quatre-vingt. Depuis trois ans, Lambert avait été placé dans un bureau de deux mètres carrés, trop cher pour être mis à la porte. Il fallut presque trois années et l'arrivée d'un nouveau DRH qui confondit le cagibi avec l'entrée des WC pour que l'on se souvienne de son existence. L'affaire se régla dans la plus grande discrétion. L'entreprise trônait depuis des années dans le top 5 de celles qui prônaient la diversité et un management participatif. Lambert fut exfiltré avec discrétion vers une maison de repos où on parla de burnout. En remerciement de son implication reconnue par tous, il conserva son salaire de directeur du marketing jusqu'au jour fatal de sa défenestration.

  • Oh la conclusion redoutable après un cheminement bien raide, l'est dur ton texte

    · Il y a plus de 8 ans ·
    P 20140419 154141 1 smalllll2

    Christophe Paris

  • ne jamais baisser les bras ! ;)

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Loin couleur

    julia-rolin

    • C'est quelquefois préférable par fortes chaleurs.

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Cpetitphoto

      petisaintleu

    • c'est vrai !
      ces billets sont caustiques, cyniques, grinçants... et jamais grincheux. Mais tous, crient quelques vérités

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Loin couleur

      julia-rolin

    • Quelques ?? Snif, moi qui pensais que mon message était universel !

      · Il y a plus de 8 ans ·
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      petisaintleu

    • plein de vérités
      mais, avé l'acent il faut lire : plain

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Loin couleur

      julia-rolin

    • Ah, je ne sais pas : je suis originaire du Nord, c'est moins chantang !

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Cpetitphoto

      petisaintleu

    • très fin biau aussi ! c'était juste pour sourire, Lyselotte vient de me décoincer les zygomatiques avec son cru du jour

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Loin couleur

      julia-rolin

  • Excellent !!! La chute est formidable !

    · Il y a plus de 8 ans ·
    Couv2

    veroniquethery

  • Il aurait du se jeter sur le DRH pour lui arracher sa chemise, c'est tendance ces temps-ci...

    · Il y a plus de 8 ans ·
    P1000170 195

    arthur-roubignolle

    • Tu écris un énorme contresens Arthur ! Pour arracher la chemise du DRH, il eut dû petre cgtiste ou sud? Et, si il l'avait été, il n'aurait pas terminé au placard mais planqué au CE-DP-CHSCT.

      · Il y a plus de 8 ans ·
      Cpetitphoto

      petisaintleu

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