Bon débarras !
Apolline
Hier, je me suis envolée pour atterrir dans une cuisine sombre. J'ai vu un réchaud allumé. Un énorme chaudron rempli d'un bouillon frémissant reposait dessus. Planté devant, un géant aux bras bigrement musclés, habillé d'un tablier démesuré s'est retourné pour me regarder. Sa voix tonitruante s'est exclamée :
"Alors, de quoi veux-tu donc te débarrasser ?"
… Ah ! Me débarrasser… Euh… J'étais plutôt embarrassée. Je contemplais le fumet du bouillon en songeant que si ma tête se mettait à fumer aussi, j'allais être incapable d'y répondre franchement.
En un coup de nez, le cuisinier m'a reniflée et j'ai senti de suite que ça n'allait pas être de la tarte avec lui. Il a saisi illico ma main droite, l'a inspectée jusqu'à mon index porteur d'excroissance nommée verrue. Quel micro traumatisme ce truc-là ! Elle était survenue à une période cauchemardesque où j'avais dû fermer tous les verrous de ma vie, ainsi résignée dans la plus totale solitude, sans expression, sans plus rien oser toucher…
Puis dans son élan, le colosse bourru a saisi un immense couteau en grommelant qu'il pourrait couper mon doigt, pourquoi pas ?... Ou alors me l'éplucher avec son économe, comme une carotte. Glups… Je n'étais pas vraiment à mon aise même si j'avais pu lire quelques éclairs joyeux et chaleureux dans ses yeux. Il a effleuré le chaudron qui aussitôt s'est réduit tout petit, et mon doigt, il l'a trempé dedans un instant. Étrange, je ne ressentais pas le feu du bouillon. Ensuite, la marmite s'est réajustée à la taille de ma main afin qu'elle puisse finalement aussi se baigner dans ce nectar bizarre. Le rite effectué, la voix caverneuse du géant a repris de plus belle:
"Alors, de quoi veux-tu donc te débarrasser ?"
Je baissais la tête en soupirant. C'est alors qu'il balance gravement qu'il faudrait s'occuper de mes mouches. Mes yeux se sont fixés, là-haut vers lui, en sourire profond et triste en continuant à me livrer dans mes vastes pensées qui, en gamme montante, s'amplifiaient :
'Oui ! Ces mouches qui se sont posées sur moi et sur ma bouche, qui m'ont envahie, qui m'ont piquée, qui m'ont ri au nez, qui ont bavé, qui se sont acharnées, ces mouches qui m'ont salie, humiliée, ravagée, qui ont failli me tuer, ouiii toutes ces mouches maudites mouches, ça fait mouche !'
Et là, des mouch…oirs ont volé en nuées dégingandées, rouges tachés, grises et cacas d'oie pour parachuter dans le chaudron devenu gigantesque. Des tas et des tas de mouchoirs de papier pliés, froissés, déchirés… pendant que je sentais tout bonnement surgir mon sourire pour se dessiner au fur et à mesure. C'est vrai qu'on ne peut pas toujours se moucher, qu'il faut savoir sortir ses douleurs, ses chagrins, les quitter pour toujours. Il était drôle finalement ce cuisinier, ce pince sans rire. Muni d'une large louche en bois, il remuait maintenant délicatement l'étrange mixture. Je songeais presque à repartir, pour ne pas oser le déranger davantage. C'est alors que brusquement, il s'est retourné, s'est approché très près de moi en rugissant avec fermeté :
"MAINTENANT, ÇA SUFFIT !"
Ses grosses mains ont fendu l'air pour arriver à mes pieds, ont remonté d'un bond jusqu'à ma tête. Et là, j'ai vu… J'ai vu toute l'ombre qu'il m'a extirpée dans son entier, je l'ai vue, se positionner au-dessus du chaudron. Mon ombre plus grosse que moi. Mamamia ! Le bouillon s'est soulevé au ralenti, puis en un jet l'a aspirée, engloutie. Mes yeux se sont arrondis. Ma bouche aussi. D'un geste, le géant m'a montré la porte et m'a proposé d'aller m'aérer dans le champ de papillons à côté.
Plus tard, quand j'ai réapparu, le cuistot était toujours debout devant son chaudron. Il a sifflé sur le réchaud qui s'est éteint. Sans se retourner, d'un ton assurément satisfait, il m'a dit que j'étais revenue juste à point. Il a penché la marmite. Tout le bouillon avait été aspiré. Il ne restait plus rien.
Reconnaissante, j'ai dit merci de tout mon cœur, pour son aide précieuse, pour sa touche d'humeur, d'humour et encore Merci pour sa lumière !
"Ah ah ! Mais tu as retrouvé ta voix ? Qu'il a rétorqué cette fois en plongeant ses yeux enflammés dans les miens. BIEN ! Bon débarras alors n'est-ce pas ?"
Son rire puissant s'était déclenché. Il me résonne encore aujourd'hui : Ahahahahaha… ah oui, bon débarras !
(Texte protégé)
Rêve ou cauchemar? J'aimerais bien connaître le champ de papillons! Je n'aime pas les mouches! (Ni les ogres) bisous!!! Suis de retour et je te lis....pour les verrues... Suc de chélidoine ou cautérisation... et cool attitude. Bisous
· Il y a plus de 10 ans ·vividecateri
Les mouches en papier sont à jeter ! C'est marrant de citer l'ogre, je ne l'avais pas vu ainsi. Et puis les verrues se sont retournées à la rue (vers rue ;) donc disparues. Merci encore pour ton com, doublement :)))) Bisou du papillon !
· Il y a plus de 10 ans ·Apolline
C'est une écriture "visuelle", on rentre dans l'histoire comme dans un dessin animé. On a envie de dessiner la scène tant elle est vivante. C'est un joli moment de lecture, merci Apolline !
· Il y a plus de 10 ans ·ismahan
Chère Ismahan, heureuse de tes mots animés :)
· Il y a plus de 10 ans ·Apolline
Quel envolée de mots dans ce conte qui m'a transportée, légère comme un papillons débarrassé de ses soucis !
· Il y a plus de 10 ans ·Merci Apolline.
nilo
MERCI aussi Nilo pour tout aussi. Jamais trop tard pour se métamorphoser ;)
· Il y a plus de 10 ans ·Apolline
Superbe! Ça me rappelle mon poème préféré "Bon chevalier masqué" de Verlaine, mais en mieux ;)
· Il y a plus de 10 ans ·wildstyle
Mazette, quel beau com.... Merci pour tout San-ja !:*)
· Il y a plus de 10 ans ·Apolline
Tu es une faiseuse d'histoires Apolline (Pas dans le sens où l'entendaient mes parents), j'ai beaucoup apprécié cette ci, son côté décalé. Tu sais, de ta plume légère, mais parfois acérée entretenir la fable du conte-battant.
· Il y a plus de 10 ans ·valjean
Merci, bel oiseau mais je vois que tu connais bien le mien ;))
· Il y a plus de 10 ans ·Apolline
Les papillons de poudre...et la lumière dans un masque de beauté...
· Il y a plus de 10 ans ·effect
Avec une pointe de coquelicots... :)
· Il y a plus de 10 ans ·Apolline
Excellent, quelle imagination. Un joli texte poétique. Moi aussi je veux rencontrer l'ogre;-)!
· Il y a plus de 10 ans ·Mélanie Courtois
Merci Mélanie, oui peut-être un jour, tu iras voir le tien... :)
· Il y a plus de 10 ans ·Apolline