Bonne mère
divina-bonitas
J'entends parfois que je suis une bonne mère. Je ne sais pas si c'est vrai tous les jours, persuadée que le parent parfait n'existe qu'au panthéon des enfants de moins de 5 ans. Mais disons que je prends volontiers le compliment, c'est toujours agréable d'en recevoir .
En revanche, il me semble y avoir un souci sur la compréhension générale du vocable de mère. En effet, beaucoup semblent penser qu'être mère c'est aussi et d'abord, ramasser le linge sale, faire les courses et la cuisine, étendre les lessives, repasser le tout, ranger les chambres, nettoyer les WC, etc.
Et là, je m'insurge. Etre mère n'a rien à voir avec un quelconque statut de domestique à demeure, de chauffeur de taxi ou de secrétaire (se reporter aux nombreux rapports de stages et TPE). Le pire est que ce statut est régulièrement donné aux nouvelles mères par leur propre famille ou belle-famille, comme si le statut de mère-esclave se transmettait en héritage, en même temps qu'une vieille soupière et une pile de torchons.
Je, Sophie Scribouillarde, narrateur (je révise le Bac de français avec mon troisième fils, donc ça laisse des traces) propose donc dans un registre totalement oratoire et argumentatif, de redéfinir la fonction de mère, comme suit:
1) Une mère est celle qui met au monde, donc grossit, vomit, dort en diagonale pendant 9 mois, avant de succomber aux délices de l'accouchement, lequel permet bien de réfléchir pendant parfois plus de 10 heures, une aiguille de 40cm plantée au creux des reins, un cathéter émergeant de l'avant bras, vêtue d'une immonde chemise d'hôpital dévastant la pudeur, aux conséquences réelles et parfois très douloureuses d'un moment d'amour plaisant, dont le souvenir agréable s'efface à la vitesse de l'éclair à chaque contraction, au point de prendre tous les attributs d'un mirage: c'est loin et hop, ça a disparu.
2) Je passe le coup du baby blues que connaissent certaines. S'il n'y avait que ça comme désagréments en suites de couches! Toute est pénible: les remarques assassines de la belle-mère, la perte des liens sociaux avec les collègues de travail, les nuits sans sommeil, les valises sous les yeux, le régime à faire absolument, pendant que le dernier glouton né décide de faire une grève de la faim si vous décidez de le sevrer à 6 mois. Lui réclame du nichon à 4 plombes du mat' jusqu'à 18 mois et les mères lessivées par les journées de boulot, bourrées de culpabilité d'avoir laissé leur fragile progéniture aux mains d'une nounou qui fait autant de remarques sur votre capacité d'élever votre chérubin que votre mère et votre belle-mère réunies, cèdent. C'est aussi un moyen objectif de se rendormir rapidement, sans être complètement réveillée par la sonnerie du micro-ondes ou les néons de la cuisine.
3) Une fois le petiot sorti des langes, la mère va se rendre compte que le mener à l'école, l'y laisser et suivre des années de scolarité émaillées de pleurs, de notes pourries, de discussions vaines avec l'éducation nationale, relève d'un autre challenge, comparable à la montée de l'Everest chaussée d'une paire d'espadrilles, sans sherpas ni ânes, les tempêtes de grêle, de pluie et de bourrasques se succédant. Je cite juste pour mémoire et par souci d'exhaustivité, la purge que constituent les révisions des examens, du brevet au Bac, le casse-tête de l'orientation, les arrachages de cheveux avec le site Post-Bac, les convocations égarées, les commissions d'appel en fin de 3° et seconde, les réunions parents-professeurs où l'on poireaute des heures en se rongeant les ongles dans un couloir jaunâsse, la tenue du stand de pêche à la ligne ou la réalisation d'un taboulé pour la kermesse, le fait de coudre à la veillée une cape de Batman ou de Zorro parce que: "mais Maman, demain c'est carnaval! T'as pas oublié quand même?"
4) A côté, la mère -normalement avec le père, mais pas toujours parce que Monsieur a des horaires de travail et des dates de vacances qui lui imposent de - bref, la mère donc, lors des congés d'hiver ou d'été, est souvent celle qui va harnacher le moutard au ski, lequel a toujours perdu un gant ou sa paire de lunettes au moment de rejoindre le moniteur - le bel âtre en costume rouge rutilant qui regarde les mères d'un air torve pensant "ah ben celle-ci, pourtant pas l'air débordée - pourrait au moins vérifier le matos avant d'arriver!" C'est elle qui a dans le blouson ou le sac à dos, la crème solaire, le stick à lèvres, les forfaits, une bouteille d'eau, un slip et des chaussettes de rechange au cas où, une dose d'arnica, le numéro du poste de secours, le plan des pistes...L'été, c'est elle qui se payera avec sa fille pré-pubère les crises de nerfs dans les magasins de maillots de bain: "j'suis énorme! Ce truc me fait des grosses fesses! J'ai pas de seins/j'ai trop de poitrine! C'est quoi ces imprimés zarbes, moi je veux du noir..." ce qui fait suite à des années de larmes salées: "la mer...snif... elle a emporté ma pelle! Peux plus construire mon château! Faut m'en racheter une tout de suite sinon qu'est-ce que je vais fai-ai-ai-re?". Le tout de suite est temporellement situé dans les minutes qui suivent l'arrivée sur la plage, l'installation entre deux parasols d'autres quidams, à distance de la bouche d'égouts du bled, de ceux-ce qui révisent la position de la bête à deux dos, du marchand de glaces, de la bande qui a mis la musique à fond, de la grosse vache septuagénaire qui fait du monokini, du type seul, poilu comme un gorille et ventru à l'air chelou...Il y a des gamins qui font plus original, vous demandant le dernier jour de farniente et de ciel bleu, si vous lui avez dit la vérité sur la vie après la mort, ce qui garantit de facto l'abandon d'une lecture qui se promettait d'être réjouissante. Ces loisirs sont bien entendu émaillés d'accidents ordinaires ou non: le pétage de poignet le premier jour du cours de surf et la queue de 4 heures dans le seul cabinet médical de la station de ski, la piqure de guêpe ou de vive, la marche sur oursins, la volée de sable dans les yeux juste au moment où vous étiez en train de finir d'étaler la crème solaire sur le minois, la boule de glace tombée dans le sable après 20 minutes d'attente en plein cagnard, le canot pneumatique prenant le large, le chavirage du catamaran prêté par l'école de voile plongeant toute la fratrie dans un banc de méduses, les insolations, le mal de terre suivant immédiatement le mal de mer...
5) Etre mère c'est aussi pour beaucoup, faire chauffeur de taxi à n'importe qu'elle heure du jour ou de la nuit, y compris les dimanches, les vacances et les jours fériés. En effet, la démocratisation des loisirs permet aujourd'hui à beaucoup de développer leurs multiples talents lors d'activités extra-scolaires. C'est donc ainsi que les mères passent régulièrement leurs après-midi dans des salles de sport surchauffées sentant le caoutchouc tiède et les vapeurs de dessous de bras, ou, à l'inverse, au bord de terrains boueux, en plein hiver, parfois sous une pluie cinglante, au bord d'une rivière pour les petits adeptes de la pêche, mais toutes ces conditions austères ne doivent jamais les empêcher de procurer à leurs enfants moult encouragements. Le contraire serait vécu comme un désintérêt manifeste, un manque d'amour voire une humiliation. A ceci s'ajoutent d'autres activités plus paisibles mais qui peuvent paraître lassantes avec le temps, tel le gala de danse, l'audition de musique, où, avec le temps, la mère la plus dévouée, celle qui venait au départ les yeux brillants et le coeur en liesse, finit par apporter ses mots croisés, sachant qu'elle ne contemplera sa progéniture à l'ouvrage que quelques minutes sur les deux heures imposées. J'ai remarqué que la majorité des pères vient aux premières représentations avec le camescope, mais qu'ensuite, les années passant, de multiples réunions inopinées ou embouteillages soudains, les en dissuadent ou les font arriver à l'heure des petits fours.
6) Et puis et d'abord, être mère c'est écouter au fil des jours, des chagrins et des crises, soigner, carresser, cajoler, réconforter, rassurer, guider ses enfants, jouer, rire...C'est aussi choisir le cadeau d'anniversaire avec soin, préparer le gâteau qui convient, sans oublier les bougies ni les ami(e)s du moment, c'est tenter de réparer les injustices de la vie, voir quand ça ne va pas, prévenir les multiples bobos du corps et du coeur.
Tout ça est beaucoup et assez pour revendiquer le statut de mère, sans qu'il soit besoin d'y adjoindre la liste sans fin des missions domestiques idiotes, répétitives et sans vertus.
Je suis donc une mère poule ou panthère noire selon les jours et les occasions, mais je refuse que l'on me confonde avec une mère-ménagère. Ceux qui en douteraient doivent bien se convaincre que l'énergie, le temps passé, la patience et l'abnégation parfois qu'il faut avoir pour assurer l'essentiel de la mission, la lucidité et le sang-froid exigés, ne laissent pas la possibilité de se tranformer en Conchita, que par ailleurs, les qualités requises sont telles, que ceux qui en profitent par voie de conséquence, y compris les familles, belles-familles et conjoints, devraient se féliciter, plutôt que de trouver sans cesse que les mères n'en font pas assez, plutôt que de multiplier les remarques acerbes. Ainsi je dis flut, zut et "occupe toi de tes gosses ça m'évitera de les récupérer en larmes à la maison" à celle qui me fit la remarque que mon tiroir à couverts était mal rangé.
Je trouve très drôle de faire ce genre de suggestion à une ébéniste d'art! Je me disais bien, que j'allais me lancer dans le comique.
· Il y a plus de 11 ans ·divina-bonitas
Il y 'a l'envie de l'humour. Evidemment ce que tu dis, je l'ai lu cent fois et Florence Forestie est la reine pour parler de ce domaine. Ca fait penser aux articles dynamiques pour les femmes "actives " de femina rire. Mais je ressens une sorte d'écriture éprouvé. Je pense que tu as beaucoup écris de choses avec la volonté de ce style et peut être ce genre de thèmes. Je crois que tu mérites un autre défi pour te redynamiser. On sent que tu peux être très pétillante et tu as la volonté de plaire au public, d'ailleurs ça a l'air de marcher. Ce que je veux dire c'est que je me languis de lire un truc ou je me dis " ah oui là y'a qu'elle pour écrire ça ! ". Tu vois, je dirais cela à un menuisier pour comparer: tu fais de très belles tables chez ikea, mais ça fait longtemps que je ne t'ai pas vu essayer de faire un modèle pour un particulier "
· Il y a plus de 11 ans ·jone-kenzo
Ah la mère la mer l'amer !
· Il y a plus de 11 ans ·Stéphan Mary
Excellente réflexion que tu nous livres la.
· Il y a plus de 11 ans ·Sweety
D'autant que des couverts en bordel dans un tiroir oblige celui qui cherche un ustensile à un exercice de discrimination visuel pointu et à beaucoup de vigilance s'il ne veut pas se couper. Moi je dis...c'est tout bénef.pour les cerveaux en développement!
· Il y a plus de 11 ans ·divina-bonitas
Oh que si Sophie, justement ton texte mérite ces éloges parce que je préfère aider un de mes enfants à apprendre plutôt que ranger soigneusement mes couverts dans le tiroir !!!
· Il y a plus de 11 ans ·wen
Messieurs, merci de vos commentaires.
· Il y a plus de 11 ans ·@Philippe: ravie d'avoir un statut de Mérovingienne et la tenue qu'on imagine: casque et peau de bête.
@Wen: je ne sais pas si ce texte vaut tant d'éloges. Je l'ai écrit ce matin en pensant bien à deux de mes enfants lesquels planchaient sur des épreuves d'hist-gé au Bac. Ils étaient super stressés et moi aussi! A priori, il semblerait que ce soit pas trop mal passé. Je viens de réviser avec celui qui n'a pas de prof de français depuis 3 mois (!) tout ou presque de ce qu'il faudrait savoir sur le commentaire composé et l'écriture d'invention et suis épuisée!!!
divina-bonitas
@Sophie, c'est exceptionnel ! Texte fabuleux et génialissime.
· Il y a plus de 11 ans ·Je ne veux pas me lancer des fleurs mais je suis rassuré, en tant que père, je suis donc une mère comme les autres...
CDC évidemment, c'est tellement pertinent !
wen
Ouh la la , une chroniqueuse de Marie Claire qui dort en diagonale! A-t'elle le petit truc d'une bonne mère qui a le principe de causalité?
· Il y a plus de 11 ans ·Nom de Dieu de putain de bordel de saloperie de merde de connard de putain de sa mère...la matrice t'aidera !
Bravo Mérovingienne !
Philippe Larue
Merci Pawel et courage à toi Lounalovegood! Moi j'ai annulé la retraite pour la profession de foi parce qu'il y a en même temps répétition au conservatoire pour le concert de fin d'année. Comme mon fils est déjà parti à Lourdes la semaine dernière faire brancardier, j'ai considéré qu'il avait suffisamment "travaillé" la spiritualité au plus près de sa source.
· Il y a plus de 11 ans ·divina-bonitas
Je lis ça, je viens de finir mon repassage. Ce soir je vais à la soirée post voyage scolaire à Paris de mon fils . Il vient de me prévenir par sms que je dois ramener des trucs à manger parce que les autres mamans vont le faire..... Shit ....
· Il y a plus de 11 ans ·lounalovegood
Je, Sophie Scribouillarde, narrateur (je révise le Bac de français avec mon troisième fils, donc ça laisse des traces)
· Il y a plus de 11 ans ·Le pauvre tu le frappes donc ! ça c'est une mère qui a de la poigne, un vrai père pour ce gamin!
bisous , j'adore détourner les propos des vré maires !
Pawel Reklewski