Cahiers d'automne et petits poèmes à Rose

hel

première volée

Elle m'a écrit :

« Je pensais avoir le temps de te voir mais non..... Les au revoir je n'aime pas trop ça! Je te donne le numéro de mon frère comme convenu, il habite vers le métro Charpennes, tu trouveras facilement. Je te téléphonerais quand je rentre de Bretagne, bonne route et prends soin de toi. A bientôt. »

Elle n'a pas appelé. On aurait dit la distance déjà un peu installée.

Dans les yeux de son frère, il y a ce même éclat, comme une jeunesse, un rire dont on se dit qu'il traversera le temps.

J'ai pris les tabourets, comme on prend avec soi quelques reliques. Comme si j'emportais  avec moi cet éclat, le rire de ses yeux, celui qu'elle a quand on se raconte des bêtises ou que je lui fais un compliment. Ou encore quand elle est émue et qu'elle ne sait pas, ne peut pas dire.


***

Parfois je regarde le ciel d'ici, de la même manière que se croisaient nos regards.

C'est un ciel qui n'est pas pareil, un ciel que je n'aurais jamais vu et  qui porte cette lumière, qui même quand il tire au gris, transperce.

Les jours beaux quand il tire au bleu, il vous noie, vous innonde, et sa grande lumière masque tout.

Dedans des cartes postales de vacances, l'image d'un été éternel.

J'oublie déjà un peu.

Je dis mal. Il n'y a pas de mots pour dire, ou je ne les sais pas, et peu importe puisqu'il n'y a qu'à se tenir dessous pour comprendre.

***

J'ai fait toutes sortes de choses avant de partir. Il y a eu beaucoup de silences songeurs, quelques questions, et puis des réflexes comme fixer certains lieux, dépoussiérer de vieilles routes.

Au dernier moment, j'ai pris un taxi sur un coup de tête.

Je ne reconnaissais presque plus rien, même su par cœur et emprunté mille fois, je n'ai commencé à reconnaitre qu'à partir du troisième pâté de maison.

Je suis descendue du taxi, en disant au chauffeur d'attendre, que je n'en avais que pour quelques minutes.

Une femme d'un âge est de suite sortie sur le perron, un peu dans l'urgence, les mains encore mouillées s'essuyant dans un torchon. Je n'avais pas sonné, me contentant d'observer la façade. Elle est venue vers moi sans que je n'aie rien à dire. On ne s'était vues que deux fois dont une chez le notaire, avec des années passées depuis, mais elle m'a reconnue tout de suite. Elle a dit vos yeux, cet air-là, vous aviez le même les autres fois, et cela n'avait rien à voir avec moi quand je parle du regard d'Odile. Je pense qu'elle devait dire— comme d'autres souvent— cette dureté, ce noir si noir, enfin ce genre de remarques que je ne comprends pas, même si cela ne me faisait rien là, ne me gênait pas comme d'autres fois, ou encore pouvait presque avoir du sens.

J'avais envie de revenir une dernière fois sur mes pas. Plus par l'idée d'un regret qui pourrait me coûter plus tard, si je ne le faisais pas, que tout autre chose.

Cette maison n'est plus à moi et je ne l'ai au fond jamais considérée comme telle. J'ai été un relais, un passe témoin, trop hantée pour m'y projeter. Je ne voulais ou ne pouvait peut-être tout simplement pas y mettre autre chose que ce que je n'en garde : des dessins de craie esquissés du sol de la cour à tous les murs et qui faisaient bondir Henri, ses belles de jour et comment Rose en était fière, ses tuiles qui penchent drôlement sans jamais être tombées, ses feuilles humides aux escargots cachés, ses limaces grosses comme des mains d'homme, ses bancs verts écaillés, ses fruits qu'on croque en cachette, ses escaliers aux marches fêlées…c'est une liste sans fin qui à trop s éprouver me donne des vertiges et ne rend justice à rien.

La femme m'a proposé d'entrer, si je voulais. Je l'ai regardée un peu plus, ses cheveux cachés, sa façon de se tenir, parler, en évitant de penser à Rose, qui je le savais aurait désapprouvé du tout au tout.

Rien ne ressemblait à rien. J'ai hésité, rien qu'à la barrière, au crépi, à tout ce que je ne voyais pas encore mais que je redoutais déjà.

Ce n'était plus tout à fait la maison de Rose.

On a fait quelques pas jusqu'au jardin, j'ai gratté machinalement un peu de terre du bout de mes semelles. La femme a dit que ça devait me paraitre bien changé, j'ai acquiescé. Tout était retouché, plus contemporain, plus dans l'air du temps. De gros lampadaires comme des bulles prêtes à exploser de chaque côté de la petite allée, ce n'étaient plus des brins d'herbes éparses, ni de vieilles planches de traverses mais de sages petit cailloux blanc, ordonnés, ratissés.

Elle m'a demandé si je voulais boire un café, ou voir l'intérieur, et j'ai refusé. C'était déjà trop pour moi, et son accueil bien aimable puisqu'elle ne me devait rien et semblait comprendre tout. Des jouets d'enfants trainaient dans un coin, et j'ai tout misé sur ce seul détail pour me convaincre du bien-fondé de mes décisions.

J'ai revu fugacement Rose à la barrière, la même silhouette épanouie, poitrine ronde serrée dans une robe à fleur. Elle tournait trois fois la clef, et serrait la poignée vingt autres fois avant de se résigner à s'éloigner.

J'ai fermé les yeux, le taxi a démarré.

  • je l'aime aussi ce cahier vide spleen, je reviendrai lire les autres pages sur Rose ;)

    · Il y a environ 8 ans ·
    Loin couleur

    julia-rolin

    • c'est peut-être juste ça, oui.
      Merci Julia, contente que cela t'ait plu.

      · Il y a environ 8 ans ·
      Avat

      hel

  • Bel je profite d'un peu d'énergie pour te lire. Tu me séduis toujours autant par ton aspect romanesque. Je ne devine pas qui tu es toi qui écrit et moi je ne sais plus du tout faire. M'effacer pour laisser vivre des personnages.

    · Il y a environ 8 ans ·
    Bbjeune021redimensionne

    elisabetha

    • :)
      merci Elisabetha, de lire et dire, qui je suis, je ne saurais dire moi même, il me semble dans tout ce qu'on peut dire de soi que rien n'est jamais complet.

      · Il y a environ 8 ans ·
      Avat

      hel

  • Très sympas, j'ai beaucoup aimé le premier !

    · Il y a environ 8 ans ·
    110 f 36716650 xenkavv6slkrmgb7skhvnqjgd670qb5n

    parismrs

    • Merci :)

      · Il y a environ 8 ans ·
      Avat

      hel

  • J'ai été bien contente de te lire. il me semble que du temps a passé…

    · Il y a environ 8 ans ·
    Avatar

    nyckie-alause

    • Merci Nyckie, et oui il y a peu d'endroits où je me sente durablement chez moi, alors je suis toujours un peu en voyage et puis je reviens.

      · Il y a environ 8 ans ·
      Avat

      hel

  • Je m'en doutais un peu, merci quand même !

    · Il y a environ 8 ans ·
    W

    marielesmots

    • :)

      · Il y a environ 8 ans ·
      Avat

      hel

  • Une revenante :) Heureuse de te revoir ici ... Il vaut mieux parfois garder ses jolis souvenirs intacts ...Très joli texte prometteur ... Une suite j'imagine ?? merci Mamz ' Hel !!

    · Il y a environ 8 ans ·
    W

    marielesmots

    • Cela ne fait qu'un mois non ?;)
      Merci Marie, des suites, oui, ce sont plus des fragments de mon cahier vide spleen, et puis quelques choses j'espère.

      · Il y a environ 8 ans ·
      Avat

      hel

    • manque *jolies* quelques jolies, belles choses peut-être j'espère...

      · Il y a environ 8 ans ·
      Avat

      hel

Signaler ce texte