Cari de Tous les Saints

nyckie-alause

Pour ma fille… qui va râler que je publie avant de l'avoir goûté

Cari de Tous les Saints


Les ingrédients ne seront pas forcément faciles à trouver, les Saints le sont encore moins ! Commençons !

Il te faut un vent du sud très établi, un ciel clair, et un degré élevé sur l'échelle de Beaufort. Si à cela tu peux adjoindre les ingrédient suivants, la journée sera réussie et le déjeuner aussi. 

Un de ces poulets que j'adore, une bestiole élevé dans les Hauts, qui a couru, qui a mangé des trucs plus ou moins sauvages picorés au cours de pérégrinations qui ont pu lui laisser croire à la liberté, enfin un vrai poulet quoi, un de ceux que là-bas ou ailleurs on nomme poulet-bicyclette. Encore ! La chose est dite et comprise. A me répéter on risque de dire de moi que je « répiape ».

Un pot de pâte de cari Maël mais à défaut un peu de curry rouge, voire de massalé, (comme d'habitude et comme ta mère tu fais avec ce que tu as…).

Commençons par la bestiole. Tu la détailles plus que tu ne la découpes, en morceaux vifs (aucun des convives ne se limiterait à n'en manger qu'un…) à l'aide du couperet, à grands coups et tant pis si ça réveille le petit Adryel. S'il a déjà des dents, ne force pas trop sur les épices, il ne va quand même pas se contenter d'une tranche de jambon.

Dans ton wok-faitout-cocotte-etc., un verre d'huile. Oui je vois à ton regard que tu te demandes ce qui me passe par la tête pour verser tant de matière grasse ? Le poulet dont la peau brille d'extase frétille à l'idée de cet ultime saisissement. Comme le dit ta grand-mère pour presque toutes ses recettes, « tu fais rôtir chaque morceau de tous les côtés avec générosité ». Et même si elle ne le dit pas on sait toi et moi que sa générosité passe par nos assiettes non ?

Je n'ai pas parlé du sel car on verra cela plus loin, car, comme tu ne l'ignores plus, le sel arrache de la chair la tendre humidité. La joli couleur/texture de nos morceaux de viande étant atteinte, ajoute dans ton plat de cuisson une bonne cuillerée de pâte de Cari, une branche de thym, un oignon et demi haché. En option : quelque peu de coulis de tomate, du curcuma, du gingembre et deux feuilles de combava (Paris-Store ou maman).  Après avoir donné quelques tours de spatule et un verre d'eau, on laisse cuire à tout petit feu jusqu'à la transparence de l'oignon et la tendreté de la viande mais sans que celle-ci ne quitte les os. 

« Enfin, cette dernière remarque, il me semble que tu l'as déjà utilisée, tu devrais mettre ton discours à jour » dit la fille ingrate qui pourtant salive en lisant. Voici pourquoi elle salive : la viande est presque cuite et elle vient de tremper son doigt dans la sauce et de se dire qu'un soupçon de sel va suffire comme exhausteur de goût.

Ce qui va suivre est plus compliqué, en apparence. 

Il nous faut absolument (ou presque) des lentilles AOP de Cilaos. Elle sont toute petites, brunes, avec une peau très fine, comme des lentilles du Puy que l'on cultiverait dans une île de l'océan Indien. Je dis ça, je dis rien, ou juste une piste. Pour la pâte de Cari je la trouve chez Paris-Store, alors pour les lentilles…, ou du Puy qui sont si bien aussi.

Pour le riz, Jeanine, la mère de mon amie ne jure que par le Basmati. Ses petits-enfants et son gendre préfèrent le riz rond un peu collé, voire le riz gluant. J'adhère au choix du Basmati dont le parfum de fleur sèche envahit la cuisine et complète la fragrance du plat de poulet.

Tu imagines que nous avons atteint la perfection ? Et bien pas encore. La dernière touche, celle qui fait la différence entre un repas et un banquet sera la plus difficile car il va nous falloir quatre (ou deux) mangues vertes et quand je dis vertes c'est que ni la chair ni la peau n'ont encore changé de couleur. Enfin fait ton possible. Nous, ce matin de Tous les Saints, ou presque, nous les avons maraudés sur l'arbre du voisin dont les branches ont le bon goût d'empiéter sur notre allée et dans cette histoire-là, il s'agit justement de « bon goût » alors tout va bien. Tu les pèles-épluches, les découpes en petits morceaux, en prenant soin d'ôter le noyau et la peau qui l'entoure et qui reste solidaire de la chair. Ensuite, il faut les rincer puis les hacher assez finement au mixer avec une cuillerée d'eau. Tout cet appareil patiente dans un chinois à s'égoutter pendant que tu fais la même chose (le mixer) avec un demi-oignon rose et un ou deux petits piments, du sel, du poivre sauvage de Madagascar, un peu d'huile. Ce que tu es en train de préparer s'appelle « rougail » ce qui signifie sauce dans laquelle on met un peu d'ail (ou pas). Notre chinois a fait en partie son office, en partie seulement. C'est le moment d'y mettre les mains. Par poignées, on exprime, on essore, la mangue hachée ; un jus vert glisse entre les doigts serrés jusqu'aux larmes des saints, « Mais enfin, pourquoi ma mère met tant d'emphase à son discours ? Ce n'est pas juste une recette ?».

Mélangeons à présent les ingrédients du rougail et ajustons le piment et le sel.

Quelques feuilles de salade comme caution à une diététique raisonnable et au bon goût (encore) désinhibé. Le cari sera servi dans le plat de cuisson, le riz, les lentilles, le rougail dans des plats adaptés à la quantité présenté. Et si j'ai trouvé sur cette île les fameux paniers qui tiennent le bol de la rizotière (cook-rice) au chaud, c'est sûr qu'il y en aura un pour chacun de mes enfants.

Passons maintenant à nos assiettes avec l'ordre de service : Servir deux portions de riz recouvertes par une portion de lentilles. Tu juxtaposes une ou deux pièces de poulet et deux généreuses cuillerées de sauce sur le riz/lentilles. Il reste encore un quartier de l'assiette libre et c'est l'espace où, pour compléter le tableau, vient s'asseoir une jolie portion de rougail de mangue.

J'espère que la bestiole était de bonne taille ou que les convives ne sont pas trop nombreux, car en dégustant ce plat on ne manque pas de rajuster son assiette : soit on manque de lentilles, soit de poulet, de sauce, de riz, enfin on rajuste souvent, par pure gourmandise. 

C'est le moment pour nous de nous échapper de l'île pour choisir un vin de par chez nous, pas trop fort ni tannique.

Pour le dessert, un carpaccio d'ananas Victoria de la même provenance (ou de Paris-Store) assaisonné d'un émincé de gingembre suffira à une digestion légère et à une sieste de Tous les Saints (dont je me lève à peine).


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