Catherine.

ellis

Photgraphie Roy Kahmann

Catherine a une histoire avec son corps.  Catherine, c'est le genre petite et menue, presque sèche. Petit corps frêle, qu'elle tient dans sa fine main de fer. Pourtant parfois, lorsqu'elle marche, elle ondule sans s'en apercevoir. Elle a une amie qui lui dit en souriant qu'elle a un port princier et une démarche un peu chaloupée. Ca la fait sourire. Ca la fait rougir. Mais c'est secrètement. Catherine, y a des années qu'elle empêche le corps de s'exprimer alors qu'elle aimerait bien. Y a des années, y a une vie. Qu'elle cherche à le museler, qu'elle refuse de l'écouter. Qu'elle marche même à côté de lui, sans le comprendre. Sa peau lui crie contact, sa peau lui crie rencontre. Catherine appuie la pulpe de ses doigts au creux de ses paumes. Parfois, elle étend le bras devant elle dans un geste de refus. 

 

Le corps de Catherine aimerait danser. Il n'y a rien qu'elle aime autant que regarder le corps des danseurs se tordre et se désarticuler. Elle dit c'est beau, tous ces muscles saillants, ça fait presque pas humain. Elle a tort, elle le sait. Ca la fascine, c'est tout, ça lui pose question, ça la trouble au ventre. Danseurs. Danser. En vérité, ses mains aimeraient rencontrer d'autres peaux.  Appuyer sur elles une caresse bienveillante et libératrice. Sa nuque s'abandonner. Et ses doigts, toujours tendus, toujours écartelés, ses doigts demandent à plonger dans de la terre humide.

 

 

Un jour, Catherine a quitté le travail et n'est plus revenue. Trop. Trop peu. Le corps a crié. Ca l'a clouée au lit. Longtemps. Même son mari a pris peur. Au début, il s'est un peu inquiété, il s'est même moqué d'elle. Le corps a cessé d'avoir faim. Alors, il s'est fâché. Paniqué, le mari, fallait voir ça, son petit soldat qui voulait plus bouger, ça l'a mis dans un de ces états de furie. Mais Catherine n'a pas cillé. Son corps avait parlé. Et pour la première fois, elle l'avait entendu.  Ca l'a complétement déstabilisée. Elle est restée des jours au lit, sans sortir, à se nourrir seulement pour ne pas sombrer, seulement quand le mari ne la voyait pas, seulement quand il ne lui demandait rien.

Une dépression. Un burn-out qu'on lui a dit. Si tu le dis... Le médecin l'engage à rencontrer une psychologue. Quand le corps se lève, de guerre lasse, elle y va. Le mari préfère ça à cet état pseudo-végétatif qui le désarçonne.  Mais tout de même, c'est pas glorieux qu'il se dit. Qu'est-ce qui lui arrive, à mon petit soldat ?

 

Les rendez-vous ne mènent pas à grand chose. Catherine résiste. Elle ne veut pas parler. Alors, la psy l'envoie voir un autre médecin, un psychomotricien. Elle l'a cernée, pour sûr : si elle ne veut pas parler, son corps, lui, en crève d'envie.

 

Ca lui fait peine, à Catherine, de se rendre là-bas, la première fois.  Elle sait, elle ne peut plus faire semblant de ne pas savoir. Depuis que le corps a crié et qu'elle l'a entendu, elle sait.

C'est un homme et elle se trouble. Elle a presque toujours ça, avec les hommes. D'instinct. Elle repense aux danseurs. Sa chemise est relevée sur ses avant-bras. Danseurs. Muscles saillants. Corps exprimés.

- Je ne viendrai plus. lâche-t-elle au bout du deuxième rendez-vous. Je suis mal à l'aise.

C'est lui qui semble dérouté tout à coup. Les gens n'osent pas dire, d'habitude. Ils obéissent. Exécutent les gestes. Le laissent les toucher. Les guider. Puis reviennent. Ou ne reviennent pas. Mais ils ne disent rien.

- Pourquoi ? Est-ce que vous êtes plus à l'aise si je m'assieds ici ?

Il s'éloigne d'elle et retourne la chaise.

Elle rit doucement. C'est ridicule.

- Oui. s'entend-elle répondre.

 

 

Ce soir-là, Catherine ne rentre pas chez elle. Elle reste longtemps garée le long de la Deûle, immobile. Puis elle sent quelque chose d'immense, qui vient d'elle - d'elle - de son intérieur, qui fait trembler son ventre, frémir la racine des cheveux. Ses lèvres bougent sans rien dire. Ca éclate tout à coup, dans un sanglot qui ressemble à un bruit de soie déchirée. Et longtemps, longtemps, Catherine pleure, dans ses mains, elle agrippe le volant, puis laisse ses mains glisser sur ses cuisses, qu'elle serre, serre, jusqu'à sentir la pulpe de ses doigts s'imprimer dans sa chair à travers le fin tissu de son pantalon.

 

_ Quand j'appuie ici, est-ce que ça vous fait mal ?

_ Non.

_ Est-ce que ça vous dérange ?

_ Non.

_ Dites moi à quel moment ça vous dérange.

_ Je ne sais pas.

_ Qu'est-ce que vous ressentez ?

 

Silence.

 

_ Dites-moi ce que vous sentez.

_ Rien.

 

Bruit de verre qui se brise entre les deux yeux. Catherine a comme une révélation.

_ Je ne sens rien. Je n'y arrive pas...

Elle répète.

_ Je ne sais pas. Je ne sais pas. Je n'ai jamais su. Oh mon Dieu, oh mon dieu, je ne sais pas. Je ne sais pas ressentir.

 

Il appuie contre son front un regard qui comprend.

_ Je sais. Nous allons travailler ça ensemble. Il n'est pas trop tard. Nous sommes ici pour ça maintenant.

 

Ce soir-là, Catherine ne rentre pas chez elle. Le vent siffle en se frayant un chemin à travers la vitre entre-ouverte. Elle a froid. Elle est fatiguée. Elle a envie de s'étendre. De respirer longuement.

 De sentir le sable. Le vent. La pluie. 

Ca tourne.

Elle se dit - elle a envie d'un benoiton aux olives.

 

 

  • Tjs aussi grande...
    J'aime celui-là. aussi. bcp,..
    Merci d'être repassée. ;-)

    · Il y a presque 8 ans ·
    332791 101838326611661 1951249170 o

    wic

    • merci à toi. (et non, pas si grande du tout, mais merci du compliment ;) )

      · Il y a presque 8 ans ·
      248407193 78b215b423

      ellis

    • Tse tse... ;-)

      · Il y a presque 8 ans ·
      332791 101838326611661 1951249170 o

      wic

  • J'aime, beaucoup.

    · Il y a presque 8 ans ·
    Desert242

    pierredesilence

    • merci !

      · Il y a presque 8 ans ·
      248407193 78b215b423

      ellis

  • j'aime,,, bravo

    · Il y a presque 8 ans ·
    Img

    Patrick Gonzalez

    • pas de quoi pour le bravo... mais merci beaucoup !

      · Il y a presque 8 ans ·
      248407193 78b215b423

      ellis

  • Tout est dit dans les précédents coms vraiment un beau texte, qui parle et ébranle aussi

    · Il y a presque 8 ans ·
    Ade wlw  7x7

    ade

    • merci ade

      · Il y a presque 8 ans ·
      248407193 78b215b423

      ellis

  • J'aime. Beaucoup. Le corps qui parle et reprend la main quand l'esprit ne sais plus.

    · Il y a presque 8 ans ·
    Ananas

    carouille

    • le corps devrait toujours avoir la main, ça va avec l'esprit. Main dans la main. merci mdame

      · Il y a presque 8 ans ·
      248407193 78b215b423

      ellis

  • Et même des fois plus que de l'envie. Des fois de désir, où on se tend vers quelque chose.
    Menue menue. Mais ça n'empêche pas au dedans. Y a des trucs comme ça on sait. On oublie parfois mais on sait. Je savais. Et ça fait du bien de pas avoir tout à fait oublié. De simplement retrouver, pas des mots, mais ta langue à toi. Merci.

    · Il y a presque 8 ans ·
    Vie1

    thib

    • le désir c'est la vie. On a toujours su. Merci. (c'est un grand merci avec plein de trucs dedans tu sais)

      · Il y a presque 8 ans ·
      248407193 78b215b423

      ellis

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