C'est du flan

petisaintleu

Charlotte avait reçu la plus stricte des éducations. Lors des repas dans l'hôtel particulier de la rue Saint-Honoré, où on aimait à recevoir des diplomates, des ministres congolais ou des génoises de la plus haute extraction, il aurait été impensable de mettre les coudes à table ou de tremper le biscuit. Le trou normand n'était pas de leur monde. Sa famille, originaire de Livarot, en aurait fait tout un fromage. Vous pouvez vous fourrer le doigt dans l'œil quant à vous imaginer que la conversation ne fût pas édulcorée. C'est à peine si on se permettait, en se gourmandant d'un pet-de-nonne, d'aborder l'eschatologie.

Quand arriva l'heure de l'adolescence, elle se fit moins onctueuse pour devenir acide. Elle en avait soupé de jouer la bonne pâte et la cucul la praline. Derrière ces cheveux d'ange se profila la ferme décision de rattraper le temps perdu et de mettre les bouchées doubles. Toutefois, lors des premières sauteries auxquelles elle participa, elle ne pipa mot. Consciente qu'elle avait du pain sur la planche, elle n'en oubliait pas moins ses bonnes manières, notamment de ne jamais parler la bouche pleine.  Encore pudique, elle rougissait comme une tomate à la moindre histoire un peu salée. Craignant de se faire cuisiner ou de faire un four avec une anecdote pas assez épicée, elle restait mutique, à tel point qu'on disait d'elle qu'elle n'avait pas inventé le fil à couper le beurre. Se sustentant de mignardises dégoulinantes de crème fouettée, elle marchait encore sur des œufs ce qui était préférable à être le dindon de la farce. Il n'empêche que de jeunes marmitons la mangeaient des yeux, rêvant de la sublimer et de la déguster. Ils restaient en carafe, la demoiselle étant aussi inaccessible et glacée que le mont Blanc.

Aux grandes vacances, elle fut invitée chez sa cousine armoricaine. Elle prit le Paris Brest, accompagnée de sa cadette Lorraine, une quiche insipide qui ne cessât de lui rentrer dans le lard. Avant que ça ne partît en cacahouète car elle était allergique à l'idée de lui coller un beignet, elle lui proposa une trêve des confiseurs. Elles débarquèrent exténuées, mettant à mal leur teint de pêche. La parente se mit aussitôt au travail et, avant qu'elles ne fussent frites, mit les pieds dans le plat pour les régaler de galettes et d'un far qui leur redonnât des couleurs.

Le lendemain, tous les jeunes mâles de Landerneau l'attendaient de pied ferme en rang d'oignons. Ces pauvres choux bretons pleurèrent comme des madeleines après qu'elle les eut toisés et traités de vieilles patates. Durant son séjour, elle n'eut de cesse d'user de vieilles recettes pour les allumer en ajoutant de l'huile sur le feu. Elle n'y alla pas avec le dos de la cuillère pour leur mettre l'eau à la bouche. Elle les pressa comme des citrons pour assaisonner les regards de merlans qui la dévoraient à tout bout de champ. Ils finirent par lui lâcher la grappe, préférant retourner à la récolte des bigorneaux.

En revenant à la capitale, sa mère s'étonna de son changement. Elle avait pris de l'assurance pour ne pas dire le melon. C'est ainsi qu'elle jetât aux orties sa coiffure, une choucroute, après lui avoir raconté des salades. Elle opta pour une coupe frisée. Ce n'était pourtant pas encore la fin des haricots. À la louche – il serait trop long de détailler comment elle roula sa famille dans la farine voire comment elle leur cassa du sucre sur le dos – on assista, entre la poire et le dessert, devant des religieuses ou des financiers médusés, à une malheureuse descente aux enfers. Ça partait en eau de boudin, Charlotte affublant sa génitrice d'expressions qui ne manquaient pas de croquant. Elle fut traitée de tarte, d'escalope panée ou de morue.

La cerise sur le gâteau vint le jour de sa majorité. Elle avait mijoté un petit jeu où il fallait deviner qui était l'invité surprise. On pensa à un Chinois, à un ami de la forêt Noire ou à un jésuite oranais. On finit par donner sa langue au chat. Les convives tombèrent dans les pommes quand apparut un mendiant qui n'avait rien de merveilleux. En un éclair, après avoir sorti des nougats flétris de ses poches qu'il offrît en guise de friandise à Charlotte, il réclama le beurre, l'argent du beurre et le cul de la crémière. Sans faire la fine bouche, elle l'invita à le suivre dans sa chambre pour pédaler dans la semoule.

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