Chaos
inta
L’aéroport est gris de poussières mortes. Le goudron des routes intérieures craquèlent en lambeaux résistants. Elles marchent, elles courent presque et ne savent plus quelle direction prendre. Les panneaux s’étalent en désordre sur les escaliers mécaniques.
Partout, à travers les vitres brisées, le chaos a pris sa part d’existence.
Il faut fuir, aller là où l’homme sorcier leur a dit que les ferrailles défaites n’étaient plus, rejoindre le silence et le calme des arbres.
Des ouvriers aux regards vides démantèlent les ruines, écartèlent les chemins tracés sur les champs de terre.
Le claquement des métaux et le brouhaha des voix qui détalent, leurs mains nouées l’une à l’autre vers la piste, vers un avion hypothétique, c’est dans l’absence de couleur que les hommes et les femmes se fraient un avenir d’ailleurs.
Il n’y a plus dans les pupilles que l’espoir de ce dernier vol, les mâchoires de la guerre ont broyé le reste des possibles, ici, tout se meurt, où tout reprend ce qui a toujours été. Mais leur place n’est plus là, il faut se retirer et laisser ce monde se disloquer.
Sur la lente escalade, l’enfant s’accroche aux mains, aux oripeaux de tissus ternes, il ne lâche rien. Là-bas, sur la piste de trous dispersés, l’avion ronronne les hochets d’une mécanique défaillante.
C’est leur tour, bientôt, elles s’installeront dans le cockpit poussiéreux, le petit garçon cerné entre leurs cuisses tendres.
Bientôt, l’oiseau brisé sillonnera les nuages de fumée de mort et dégrafera un à un les futurs interdits.
Le sorcier qui se refuse lui dira oui, à elle, la plus âgée des deux, celle qui n’est pas mère, celle qui sait que rien ne peut lui résister.
C’est ce qu’elle se dit, alors que de la route défoncée la machine s’arrache, alors que le ciel sombre fait pleuvoir les vestiges d’un monde en fin de souffle.
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Il avait hurlé, craché, jusqu’à l’autre piste. Il s’était avachi sur les restes de bitume, écrasé de fatigue, ces écrous grinçant dans un effort extrême.
A travers le hublot, les résidus de cendres enflaient l’air de suffocants cauchemars.
L’enfant, à peine éveillé, avait plaqué sa joue sur le verre sale, et sa mère, passait dans ses cheveux d’or une main tendre et répétitive, le regard perdu.
« La mère ronge, plonge, défait les érosions épaisses, gratte les moisissures des végétaux pendus. Rien ne dure, tout est puisé d’avance, éclaté de bataille de corrosion mourante.
Ils ont détruit les fuites des inaudibles cieux, ont creusé la terre glaise et l’ont rendue si dure que les jours à surgir n’auront de courbes molles que les bras décharnés de la mort qui se glisse. »
Elles ont descendu les marches tâchées, rouges, ont posé leurs pieds nus sur l’asphalte gelé. Rien au loin, rien si près, des aspérités égarées les cernaient de soupirs de rouille.
La parole, enfouie, reprenait ses élans pour souffler l’essentiel.
Alors, elles se taisaient en attendant.
Il fallait traverser l’aéroport.
Des ferrailles songeuses s'amassaient dans les coins mornes des horizons. Le fer avait claqué la porte aux murs de bétons.
Il fallait enjamber, prendre garde à ne pas se blesser. Plus de traces de bois, chaque planche avait brûlé, sacrifié.
Il fallait passer les clôtures déglinguées, le bruissement menaçant de l’acier qui survit.
De l’autre côté, l’homme sorcier était là, silhouette contenue, tremblante et sombre.
Et ici, dans l’âpre odeur de fonte, ils avancent. Elles ne sont pas seules et l’enfant suit.
Elles espèrent que l’ombre les choisira.
Celle qui n’est pas mère, n’a pas de doute.
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Les voyageurs éreintés, tournés aux quatre cardinaux, se figèrent entre les corps désolés des matières. On entendait crisser les effondrements des âmes.
Le sorcier ne bougeait pas, les poussières suspendues laissaient autour de lui des espaces à soupirer.
Elles se l’étaient imaginé, avaient échangé des mots rares, de peur que ne cille l’infime destin désiré.
Quand il se déplaça, vivement, un pas ferme en avant, la parole se réveilla en légèreté murmurante. Une lumière trouble et lasse se plaça là, entre lui et les silences revenus. Il était massif et sombre, noir, si noir, que son épaisseur façonnait dans l’horizon un trou béant de vie. Sa bouche, à peine close, laissait le blanc du dedans tendre une voie vers eux.
Mais ses pupilles, aussi noires que le noir de sa peau, la regardait, elle, celle qui n’était pas mère.
De sa main gauche, elle prit la main de l’amie, de sa main droite, se baissant pour l’atteindre, elle prit la main de l’enfant. La marge entre elles et lui s’étirait, il fallait marcher prudemment, ne pas heurter les métaux, endigues de chemin, mais leur regard n’avait pas d’autre choix que de rester planté dans le sien.
Quand, enfin, insignifiantes, elles effleurèrent l’odeur verte des muscles, un chuchotement de peine s’étira derrière elle. Celle qui n’était pas mère laissa sa vigilance écouter la douleur des autres.
Maintenant, il était temps de partir, de le suivre, et d’oublier qu’elles ne savaient rien.
Alors, il se courba, lent et lourd, et il prit l’enfant dans ses bras.
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L’enfant dort, posé sur la sombre épaule du sorcier. La mère marche, le regard porté sur les yeux fermés de son fils. Il y a sur les traits de son visage une inquiétude sourde, on ne sait d’où est naît ce filin crevassé sur son front.
Elle, l’autre qui n’est pas mère, suit et ne sait pas. Elle ne veut pas savoir. Elle avance et chasse une à une les limites qui pourraient l’arrêter. Elle a parfois devant elle des ombres pathétiques qui se collent à ses pas, elle fait fuir, les balance d’un geste intime et ferme.
Les poussières suspendues les accompagnent, les ferrailles jalonnant en haies d’honneur le cortège silencieux.
Plus de sons, ce qu’il reste de terre est muet, déserté, interrompu.
Figé.
Seul le souffle les retient sur la route et la présence noire de l’homme.
Si vivant.
Puis, c’est arrivé, rien ne s’annonçait, ni avant, ni après. Ils n’ont pas ralenti, ni cligné des yeux, ni vibré sur la couleur qui bondissait.
Elle a vu, compris, quand d’une plante légère, une feuille a frôlé sa joue, quand la mère a laissé son corps se prolonger devant, quand l’enfant s’est éveillé.
L’air est passé sur sa peau en douche fluide, a parcouru en fuselage épais la caresse oubliée de son ventre.
Et d’éclat de ramures, en soleil contenu, couvertes des frondaisons sauvages, elles ont repris le cours des mouvances secrètes, ont su, sans y penser, qu’était là le refuge.
Quand elles sont arrivées au pied de l’arbre, l’enfant galopait entre les branches vives. Le tronc était immense. Juste au loin, quelque part tout en haut, tout en bas, sur les côtés herbeux, elles percevaient ses bords, ses rondeurs sinueuses.
De vertige, en nœud de bois, il s’enflait d’être là, résistant, racine colossale dévorant en griffure la terre brune et fertile.
Plus haut, là où leur regard pouvait encore sentir, une embrasure s’entrouvre, pont-levis d’écorces ciselées, une lumière lisse émergeant du passage.
Le sorcier tend un doigt sur la crête abondante, sur les cimes insolentes.
Il faudra grimper tout là-bas, jusqu’au seuil entrebâillé, la mère et l’enfant et elle, la tête chavirée sur un point de ciel bleu.
FIN
C'est dense, profond, touchant, super bien écrit. Que dire d'autre ?
· Il y a presque 14 ans ·J'ai beaucoup aimé Inta. Merci.
bibine-poivron
Une très belle écriture qui creuse dans l'envers des images du journal télévisé.
· Il y a presque 14 ans ·Jiwelle
Prophétique, immense, boulversant, ah inta quelle est belle ta nouvelle
· Il y a presque 14 ans ·gandalf989
Chaviré moi aussi
· Il y a presque 14 ans ·.
Je n'ai toujours pas lu,ni vu "la route", mais il faut que je le fasse. Voilà 3 fois qu'on m'en parle sur cette nouvelle. Il n'y a pas de hasard. Merci
· Il y a presque 14 ans ·inta
Le temps de reprendre mon souffle Inta....J'ai visionné avant hier soir "La route" de John Hillcoat, un film à couper le souffle, esthétiquement parfait, sentimentalement dense, au désespoir crevant...Ton écrit Inta, est aussi beau que ce film. Coup de coeur.
· Il y a presque 14 ans ·leo
wow...
· Il y a presque 14 ans ·leo
Magnifique!
· Il y a presque 14 ans ·pointedenis