Cher Jean-Jacques Goldman

o-negatif

Permets-moi de troubler un instant le cours certainement paisible de ta retraite. Je t’imagine vivre dans un tonneau, prônant l’ascétisme, à poil, composant à l’occasion des chansons d’amour minimaliste new-wave sur une guimbarde ; mais remplissant surtout des grilles de Sudoku niveau sept. Ta récente élévation au rang de personnalité préférée des français te replace bien malgré toi sur le devant de la scène médiatique. Comment vis-tu ce brusque retour dans la lumière ? Je dois avouer que je m’en fous, oui je m’en fous, de tout, de ces chaines qui pendent à mon cou. Je pensais d’ailleurs t’avoir complètement oublié, en même temps que les Pin’s parlant et Chris Waddle. Sache que... Je. Non. En fait. Aucunement.

J’ai grandi à ton sein, Jean-Jacques, pendu à ton nichon spirituel, comme bon nombre de victimes mineures des années 80 ; génération élevée aux savoureux bâtonnets du Captain Igloo et à la variété française, dont tu fus, et demeures, malgré ton absence, l’incontestable chef de file. A l’âge de sept ans, donc, je considérais le titre « Envole-moi » comme la plus poignante partition musicale jamais écrite par l’Homme. J’avais entendu parler de Beethoven, certes, mais il s’agissait surtout pour moi d’un gros chien marrant, et je ne voyais pas le rapport. Aussi, dans mon esprit malléable au matraquage radiophonique, les chansons de Jean-Jacques Goldman constituaient le fleuron de la technologie française, bien avant les chars Dassault. Il faut rappeler qu’en 1987, vous aviez plus de chance de vous faire emporter la jambe par un requin, disons en Alsace, que d’écouter la bande FM cinq minutes sans tomber sur « Je te donne ».Tu n’es pas seul responsable de ton succès, et je ne te jette pas la pierre, et qu’on nous épargne, à toi et moi, si possible très longtemps d’avoir à choisir un camp.

Mes parents, en première ligne, auraient dû prendre davantage soin de mon éducation musicale, plutôt que de me gaver de Nous ne nous parlerons pas ou d’Actes Manqués, en rabâchant inlassablement que « cette musique est bonne ! » (Bonne !) (Bonne !)  (Bonne !). Tout le monde n’a pas la chance d’avoir des géniteurs mélomanes et barbus, jouant des disques de Jethro Tull sur la chaine du salon, en faisant tourner une pipe bourrée d’opium. Non. Notre discographie à nous se résumait à tes œuvres, celles de ton frère Francis (« chouette, tonton sarbacane !»), de ton cousin Julien C. sans oublier tata Jonas. Comment ai-je survécu à cet enfer acoustique ? N’aurait-il pas été moins préjudiciable de mourir d’une otite généralisée?

Seule concession (minime) à la variété molle, LE disque de Téléphone que nous possédions était classé au rayon « Satanisme de base » et prenait la poussière en compagnie d ‘un album d’Emilie Jolie et d’un opus de Jean-Michel Jarre (Oxygène, volume 2). En revanche, ta discographie exhaustive s’exhibait sur l’étagère, de même que ton Live à l’Olympia, cuvée 1988. Quand j’ai finalement atteint l’âge de faire mes propres choix musicaux, et que ma mère est tombée sur Dookie, le premier album de Greenday, la pauvre femme m’a jeté dans la bagnole et conduit pied au plancher chez un magnétiseur. J’étais victime d’un envoutement au rock and roll, selon elle, mais tu connais la chanson : ça m’a pris par surprise, quand j’étais qu’un gamin, je regardais tomber mes nuits, et j’en attendais rien, moi à Springfield, Massachusset, bla, bla, bla.

A dix ans, je te considérais, Jean-Jacques, comme le seul auteur-compositeur-interprète-homme-orchestre-père-spirituel-aux-cheveux-fous digne d’intérêt.

A quinze ans, je te voyais comme un musicien potable.

A dix-huit, j’aimais toujours tes pochettes d’album.

A vingt, je crachais sur toi et ta clique d’enfoirés, en écoutant Ok Computer et Mellon Collie and the Infinite Sadness.

Le bon magnétiseur n’a pas pu me sauver. Mon âme ira au diable.

Aujourd’hui, c’est triste mais je marche seul dans les rues qui se donnent, m’arrêtant simplement pour acheter un kébab de temps à autres.

Aujourd’hui, les jeunes pousses foireuses de la scène pop française commercialisent un album de reprises de tes plus grands tubes (l’an dernier, pour la fête des pères, ma fille de quatre ans a recyclé des pots de petits suisses en cendriers fantaisie) (je trouve sa démarche artistique beaucoup plus subtile).

Et puis il y a cette phrase qui m’obsède depuis toujours, dont je croyais pourtant avoir fait le deuil, mais qui me tire de mon sommeil au milieu de la nuit, m’arrachant à de formidables rêveries érotiques : « J’ai trop saigné, sur les Gibson, j’ai trop rôdé dans les…( ?)… ». Oh bordel de tous les Dieux, Jean-Jacques Goldman, mais où as-tu donc trop rôdé? Précisément ? Dans les tabacs-couronnes ? Dans les Tobakurown, carrément ?  Dans quel merdier t’es-tu encore fourré, à trop trainer tes guêtres dans les Tubas-Gouwon ? Rien que pour cette phrase, responsable à elle-seule de plusieurs milliers de suicides, chaque année, dont les victimes sont majoritairement des chanteurs de karaoké de race blanche ; rien que pour cette maudite phrase sibylline, tu méritais ce billet.

Ce que je te reproche au juste, c’est d’avoir participé sans mon consentement à mon parcours musical, familial et globalement culturel ; à mes dons, mes défauts (que ta voix les emporte à son propre tempo). Parfois, je me dis qu’il aurait été  préférable  me faire bouffer par un requin blanc, à Schiltigheim.

Tu m’as violé dans l’oreille, Jean-Jacques Goldman.

Je t’embrasse quand même, pour Confidentiel et Filles Faciles, et tous ces moments passés sous ma couette, un walkman à piles (auto-reverse) au creux de la main, m’essayant à la tristesse.

  • J'adore.....

    · Il y a presque 10 ans ·
    Gif hopper

    Marion B

  • C'est un des meilleurs textes que j'ai lu à ce jour sur WLW. Non, le meilleur. Pff, je suis limite jaloux ! ;)

    · Il y a presque 10 ans ·
    Cp2

    petisaintleu

  • Très bien vu et encore mieux écrit !
    CDC

    · Il y a environ 11 ans ·
    Flottins orig

    sophie-dulac

  • "Aujourd’hui, les jeunes pousses foireuses de la scène pop française commercialisent un album de reprises de tes plus grands tubes" Sachez que c'est Jean-Jacques lui-même qui est à l'origine de cet album.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Avant bras 465

    morgan-kepler

  • désolé, sans porter JJ homme d'or,ce n'est pas de sa faute si les débiles n'achetaient allaient à ses concerts il aurait le succès de son talent qui existe un peu!!! en fait la musique esr régi par d'autres que lui, il a simplement eu le bol de tomber dans leur marmite, mais putain que c'est bien écrit bravo

    · Il y a environ 11 ans ·
    Mariage marie   laudin  585  orig

    franek

  • Waou la vache, ça faisait bien longtemps que je n'avais pas lu un billet qui dépote comme celui là !!!
    Y'a du style, du rythme, un sens aigu de l'auto dérision et un sacré coup de plume.
    Alors adepte du billet dur de Conte dans les Inrocks ???
    Ben en tout cas, j'm'en vais faire un tour sur le reste de tes compos ce week end... Pour l'instant coup de coeurisé dans la foulée ;)
    A plus

    · Il y a environ 11 ans ·
    Dsc00245 orig

    jones

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