Cinq semaines
victoria28
J’étais au chaud, peinard, à écluser un godet dans l’intestin de ma petite vieille, ah ! je peux pas me plaindre. La table était bonne. Et de la viande, et du mille-feuilles, et du porto en veux-tu en voilà… Y a pas à dire : le troisième âge sait vivre !
Avec tout ce bon gras, évidemment, le système digestif était bien rembourré. Je m’étais installé à la coule, un super spot avec vue panoramique sur l’estomac, prêt à sauter sur le premier suc qui m’emmènerait jusqu’aux reins. Et là, banzaï. Le coup du lapin. Infection. Zigouillée, la petite vieille ! Ca lui apprendrait à manger des légumes.
A vrai dire, j’étais pas pressé. Je regardais passer le fricot en sifflant les résidus les mieux roulés, et les plus moches je commentais aussi, y a pas de raison. Eh ! L’endive ! T’as entendu parler des UV ? La moule ! Tu comptes ressortir comme tu es rentrée ?
Et c’est là que je l’ai vu arriver. Une espèce de chose blanchâtre et molle, dont on ne voyait pas le bout. Un ver solitaire. J’en avais entendu parler, mais en cinq semaines d’activité, c’était la première fois que j’en rencontrais un. Il s’était mis à lécher les bords de l’intestin. Bon sang, c’était pas beau à voir. Genre crampon, si vous voyez ce que je veux dire. Crampon et tartignolle. On allait bien rigoler.
« Holà, j’ai dit. Mon ami. Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? »
Il s’est interrompu et m’a regardé avec ses espèces d’yeux comme des lunettes à double foyer, et il m’a demandé ce que je faisais là. Y en a, je vous jure, faut croire qu’ils ne lisent jamais les journaux.
Mais c’était un sacré balèze. « C’est chez moi, ici », il a dit d’une voix traînante. Il fallait jouer finement pour ne pas finir dévoré.
« Mon ami, j’ai dit. Tu ne vas pas me jeter dehors tout de même. Tu es un parasite ? Je suis un parasite. Tu veux rester ici ? Je veux rester ici. OK, je suis plus beau que toi. Non non, ne proteste pas. Compare ce joli teint purpurin à ta complexion cadavérique. Ce détail mis de côté, on est pareils tous deux. Et tu sais quoi : l’intestin appartient à tout le monde, mon ami, et surtout à celui qui a faim. Toi, moi, on se comprend. Tout le monde nous déteste, et en te regardant je comprends pourquoi. Mais faut se serrer les coudes. C’est pour ça que je suis là. Je voulais te rencontrer. Aussi incroyable que ça puisse paraître, on peut avoir besoin de toi. J’étais dehors, sur mon fumier, je m’ennuyais à cent sous de l’heure. Et devine quoi. On m’a utilisé comme engrais. Les crétins ! Ils m’ont mis direct sur les bonnes pousses de concombre. Alors tu penses ! aussi sec, j’ai sauté dans l’assiette et hop ! dans l’estomac et hop hop hop ! intoxication alimentaire, insuffisance rénale, couic ! Un de moins à nous chercher des noises. Tu imagines ! du haut de mon micron, j’en ai expédié dix-huit ad patres. Alors toi ! long et mou comme je te vois, tu dois pouvoir faire des merveilles ! »
Il a vaguement bougé un anneau en signe d’approbation. Ces obèses, je vous jure.
« Toi et moi, on va tous les éradiquer ! A bas les bipèdes ! Le monde est à nous !
– Ben oui mais… qu’est ce que je fais moi là dedans ? a dit mon nouvel ami.
– On fait alliance.
– Ben oui mais… comment ?
– On reste groupés. Quand je sors, tu sors.
– Ah bon… ah bon… c’est que tu comprends…. Je suis pas très mobile… j’aimerais bien, hein… mais c’est à cause de mon enfance tu vois… ma mère… je suis né dans un tas de caca…
– Moi aussi, camarade ! moi aussi ! Ah ça ! Quand je pense qu’on a un point commun tous les deux !
– Alors bon… maintenant que j’ai trouvé une maison pour manger et rester propre… j’ai pas très envie de bouger… ça m’a l’air bien révolutionnaire ton affaire… moi… la révolution… tu sais…
– T’inquiète pas. J’en ai vu de plus empotés que toi, eh bien ! aujourd’hui ce sont des héros.
– Non ?
–Parole d’honneur.
– Ben ça alors… si tu le dis…
– Ta mère serait fière de toi »
Il m’a regardé et je vous jure qu’il m’a souri. Ce gros ver blanc ! Et il s’est mis à ramper vers moi en disant « viens là que je t’embrasse ». Il allait m’avaler tout cru, ma parole !
C’est là que j’ai compris qu’il fallait à trouver un moyen de ramener le calme.
J’ai préféré partir en vacances.
C'est bien joué Victoria !
· Il y a plus de 13 ans ·je vais faire comme ta bactérie, je pars en vacances 3 semaines pour m'aérer, j'espère comme Edwige et André que vous plancherez la semaine prochaine sur un sujet plus délicat ...
je ne sais pas les fleurs, les petits oiseaux, les amours de vacances, l'été, les congés payés ......
sophie-dulac
Bien léché, si j'ose dire ! C'est vrai, comme le dit Edwige, que nous avons tous donné dans la nausée cette semaine et que le prochain exo mériterait une orientation fraîcheur.
· Il y a plus de 13 ans ·Michel Chansiaux
Je vais m'là jouer oncle ben's : Les textes de Victoria, c'est toujours un succès :)
· Il y a plus de 13 ans ·Très bonne lecture, ça s'engloutit comme l'appétit d'un ver solitaire. J'aime aussi l'approche révolutionnaire de zen la bactérie avant le gloups final ! Bien joué !
leo
coup de coeur!
· Il y a plus de 13 ans ·l'animelle
lanimelle
Oui très réussi ! c'est sincère... bien que j'ai vaguement la gerbe sur le site cette semaine !!! mais bon... l'amitié c'est sacré !!!
· Il y a plus de 13 ans ·Edwige Devillebichot
Cinq semaines ballonné. Bien joué.
· Il y a plus de 13 ans ·yl5