Comme tous les matins [Défi n°4/ club "Jetez l'encre"]

Waow… elle est déjà là.. Elle a campé ici cette nuit ou quoi ? Je parie qu’elle arrive la première à chaque fois. Faudrait que je prenne le bus de 6h un de ces matins, rien que pour voir si j’ai raison. Bon, je crois que là je suis grillé, elle m’a repéré depuis le haut de l’escalier. J’aurai dû me fumer une clope peinard avant de me pointer ici.

Comme tous les matins, Loïc se posa sur le petit muret, sous le kiosque, face au parking des scooters.  Comme tous les matins, Nadine est déjà là depuis une heure, ses joues rougies par le froid. En revanche, le ciel découvre à peine ses couleurs.  

Loïc cherche à éviter ne serait-ce que l’embryon d’une conversation avec elle, il sait que ça pourrait s’éterniser. Mais il sait pertinemment que c’est foutu, elle a toujours envie de parler, la pauvre.

" -          Salut ! Ca va ?

-          La tête dans le cul …

Sans la regarder une seule fois, toujours limiter le contact, il fouille dans son sac à la recherche d’une feuille pour se rouler un tabac.

-          Ah je vois … Moi aussi je suis assez crevée ! J’ai passé la soirée à …

-          Putain, fais chier !

-          Quoi ? Tu veux du feu ?

-          Non, j’ai même pas mes feuilles.

-          Tu veux une clope ?

-          Ouais…

Ca vaut au moins ça, une demi-heure,  seul  avec  toi. J’ai hâte que ces cons arrivent.

Nadine lui tend une cigarette  et s’en allume une.

-          Je disais … Hier soir, … Ah pardon…"

Loïc avait enfilé ses écouteurs et faisait mine de ne pas l’avoir entendue.  Il tortillait nerveusement le fil autour de son baladeur CD, mais le résultat n’était pas concluant, ça sautait toutes les deux secondes et demie. Le temps lui semblait déjà long, et ça faisait à peine quelques minutes.

Un peu déçue qu’il n’ait pas envie de discuter, Nadine se plongea dans ses notes du dernier cours de Philo.

Les lycéens arrivaient au compte-goutte avec un enthousiasme qu’ils avaient du perdre en chemin. Et sous le kiosque, la petite bande se pointait enfin.

" -   Hey ! Vaut que j’de ragonde la vin d’choirée, du vas bas me groire ! Lança une petite brune, un crayon entre les lèvres, et les mains roulant ses cheveux.  

-          Tu fais pitié mon gars, t’as dormi dehors parterre ou quoi ?

-          J’ai pas dormi espèce de con, et on se demande à cause de qui hein !"

Quelques bises, et quelques poignées de mains plus tard, le petit groupe se greffe naturellement autour de Loïc, qui n’a plus de raison de s’acharner sur son compact disc. Ca discute de la veille. Aquarium dans la chambre, vodka piment,  pots de fleurs des vieux renversés dans le jardin, pas de clopes faut cotiser, pas de feuille double tu peux me prêter,  la flemme d’aller à la cafet’, tu vas me chercher un café, la flemme d’aller en cours j’sais même pas de quoi on a parlé. 

Toujours à l’écart du groupe, Nadine tente de se concentrer sur ces cours,  ils ne l’ont pas entendue dire bonjour. Alors elle a préféré les laisser discuter.  Mais elle n’est pas très loin et elle ne peut pas s’empêcher de laisser traîner ses oreilles. Elle prend des notes mentalement.  Elle a des carnets noirs remplis de notes sur eux, mentalement. Elle les entend rire et ça la fait sourire, elle passe un bon moment.  Elle aurait envie de leur demander.  Comment c’était cette soirée, chez qui c’était, les délires qu’ils se sont tapés, mais ils sont dans leur trip. Elle ne veut pas déranger. Et pendant que Loïc et ses potes cherchent un prétexte pour ne pas aller en cours, Nadine réfléchit à une bonne phrase d’accroche, une bonne phase d’approche.  

Bientôt la cloche va sonner, elle voit Loïc et ses amis prendre leurs sacs, elle les rattrape.

" -          Vous avez bossé votre dissert’ sur le langage ?

-          Euh … on y va pas… Loïc m’a dit que t’avais des clopes, tu peux nous en dépanner quelques unes ?

-          Euh … ben c'est-à-dire que… Bon ouais, mais que trois, c’est un peu chaud pour moi aussi…

-          Ouais trois, c’est bien, merci !

-          Tu nous passeras tes notes ?

-          Je sais pas si ça va être très lisible !

-          T’inquiète … Bons cours !

-          Ouais… "

" J’aurais pu trouver mieux " se dit Nadine, intérieurement.

Un jour, peut-être ce weekend, ou le mois prochain, elle fera partie des rires.  Un jour, peut-être demain, elle ne sera plus à coté.

Un jour peut-être, elle trouvera mieux.