Des contrées lointaines
petisaintleu
Bien des communautés vinrent s'installer sur ces terres avant que la Gaule ne soit la patrie des Ruthènes, des Tricasses ou des Unelles. Dans ce cul-de-sac tempéré, des colons y échouèrent, se réjouissant de goûter enfin au repos. Pourquoi ces individus avaient-ils renoncé aux rives plaisantes du Danube, aux plaines fertiles de l'Indus ? Des mythologies forgées lors des transhumance, survenaient des famines, d'effroyables pandémies ou des guerres qui déchirèrent des nations se côtoyant autrefois avec intelligence.
Au 19ème siècle, à l'ombre du romantisme et de la science qui se voulait toute puissante, de nombreux savants se penchèrent sur nos origines. Le Morvan, lui-même, n'échappa guère à cette règle. À Château-Chinon, des parvenus mal dégrossis créèrent la Société éduenne des Gens du Savoir. Parmi eux se tenait une exception : François de Dourmont. Linguiste averti, il pressentit très tôt que des mots patoisants trahissaient des sources pré-celtiques et dissimulaient des histoires insoupçonnées de Jules César. En effectuant ses recherches, il constata que plus d'un lieu contenait encore des témoignages de civilisations faussement acculturées. Il en conclut que Blismes avait pour racines les Ligures. La toponymie de sa commune natale l'amena jusqu'à Belisama, la reine du ciel des Phéniciens. Ses longs et pénibles travaux ne pouvaient le conduire qu'à cette incroyable conclusion. Comment expliquer qu'au 5e siècle les Autunois promenaient la statue d'Isis à travers leur cité attelée à des bœufs, à l'exemple des Puniques ? Une frange des Ligures n'avait-elle pas suivi comme voie de migration le bassin de l'Euphrate, s'imprégnant des mœurs des Hamites ? Et que penser de Strabon, ce géographe grec du Ier siècle avant notre ère qui s'ébahit que les femmes Ibères, les descendantes de ce peuple indo-européen, furent si faiblement éprouvées par leurs délivrances ? Il lia cette trouvaille à ses compatriotes morvandelles, réputées pour la qualité de leurs parturitions et pour l'excellence de leur lait qui les faisait embaucher comme nourrices jusque la capitale.
Ses excursions l'orientèrent vers Douan-la-Brezeille. Le Morvan abonde de mégalithes qui inspirèrent des contes où le druidisme subsistait, le catholicisme naissant et conciliant acceptant de les intégrer par pragmatisme. On peut ainsi y remarquer une profusion de sites dont certains ne sont pas en odeur de sainteté : la Table du festin des Fées, la Pierre du Pas de saint Martin, le dolmen des Grandes Cornes ou les Pierres de saint Maurice. Il eut écho d'une stèle présumée gallo-romaine sculptée au hameau de la Pierre Écrite. Une famille l'y attendait, deux adultes et trois enfants, burinée pour l'éternité dans le granit paléozoïque. Une citation en grec reposait à leurs pieds.
Dans ces contrées, le quotidien se berce de la monotonie des labeurs champêtres. Le plus infime des évènements se transforme en légende. Il se dit que le docte homme erra dans les bois, un papier à la main sur lequel étaient inscrites des lettres que les locaux prirentpour la griffe du Diable. Un spécialiste dépêché de Nevers n'eut aucun mal à y déchiffrer cette citation d'Aristote : « Ερωτηθείς τι έστιν ελπίς Εγρηγορότος είπεν ενύπνιον », « Quand on lui a demandé ce qu'était l'espoir, il a répondu que c'était le rêve d'un homme en éveil ».
Brigitte possédait incontestablement l'âme d'une narratrice. Je vaguais du royaume de Magadha en passant par les sables bitumeux de la Mésopotamie jusqu'aux croupes boisées qui dominent les berges de la Cure et du Chalaux. Je regagnais mon logis pour m'écrouler sur mon canapé. Le sommeil ne venait pas et des cohortes de migrants exsangues m'assaillirent, scrutant les étendues à traverser dans l'espoir de poser leur errance dans des bassins engageants à l'humus fertile, ensemençant puis récoltant le fruit des entrailles généreuses de la matrice terreuse. Au crépuscule, des corps nus enduits de glaise assistaient des chamans en transe pour implorer Belisama, la Très Brillante.
Je me levai d'un pas souffreteux. La grisaille parisienne et mes nausées, dues au breuvage infâme de Brigitte, me coupèrent l'envie de me rendre au Louvre pour suivre les pas de myriades d'amateurs qui hantent ses galeries. Une pile de livres en retard m'attendait mais je ne pouvais me détacher du récit de Jean Bonnoy. Un magnétisme abscons me poussa à me plonger dans les lignes de cet homme.
C'est ce qui s'appelle du beau travail, bravo à ces quatre mains !!
· Il y a plus de 8 ans ·marielesmots
Patienter pour lire un texte d’une telle qualité valait vraiment la peine d’attendre. Je lis beaucoup ici ou là, mais je dois avouer être conquise par vos lignes. Votre récit est d’une richesse incroyable tant sur le point historique, que sur l’écriture.
· Il y a plus de 8 ans ·J’ai lu certains de vos textes individuels à tous les deux, que j’ai fortement apprécié également, vos univers se complètent parfaitement. Au risque de me répéter, je n’ai qu’un conseil à vous donner, si vous me le permettez, continuez, très sincèrement c’est prometteur et je vais continuer à vous suivre de près. Excusez la longueur de ce commentaire, au plaisir de lire la suite
miss
Que dire hormis un grand merci !?
· Il y a plus de 8 ans ·petisaintleu
Que vous allez continuer, car ce n'est pas du réchauffé ?Vous pouvez aller loin, merci à vous deux !
· Il y a plus de 8 ans ·miss
Petite confidence. J'en discute avec Ade. Et nous sommes d'accord pour dire que nous sommes encore loin de notre objectif.
· Il y a plus de 8 ans ·petisaintleu
L'exigence est une qualité, écrire ne se résume pas à poser des mots sur une feuille sans réfléchir. Un objectif ne peut s'atteindre qu'en travaillant.
· Il y a plus de 8 ans ·miss
Beau voyage ravivant du lointain.
· Il y a plus de 8 ans ·yl5
Quel travail de recherches !!!!! Bravo ade !
· Il y a plus de 8 ans ·L'écriture est fluide. J'attends la suite afin de poursuivre le chemin. Bravo Christophe !
Lire un extrait en grec ancien va droit à mon cœur d’helléniste !
veroniquethery
Voilà donc le secret de la collaboration ;)
· Il y a plus de 8 ans ·Christian
Non, c'est une véritable écriture à mains. Ade ne se contente pas que du travail de recherches !
· Il y a plus de 8 ans ·petisaintleu
Tu aurais du me le dire quand on en discutait ! Cela m'aurait éviter cet impair !
· Il y a plus de 8 ans ·Alors, je rectifie : bravo pour ce texte à vos quatre mains !
veroniquethery