Des nuits et puis des jours.

ellis

A ne plus rien voir qu'une brume sur tes volets*.

Nuit 1. Fossé dans la poitrine quand j'ouvre les yeux. Je cherche son corps dans le lit, mais seulement des yeux.  Au début, je crois être seule, mais je vois la masse se soulever tranquillement et masquer à intervalles réguliers les chiffres sur le radio-réveil. Il dort. Aussi paisible qu'improbable. Mes yeux ne parviendront plus à se fermer. Le vertige me prend. La panique me saisit à la gorge. Bientôt, nous serons seule dans un lit qui ne sera pas celui-là. Les questions et les peurs prennent un corps. Un corps avec de longues mains qui me fouillent la poitrine et se posent sur mon cou. Il est devenu si fin, mon cou. Si elles serrent trop fort, il va céder. Il va y avoir un petit craquement et puis le noir. J'ai presque l'impression de battre des jambes sous la couverture, comme pour chercher à remonter à la surface. Il ne dort plus. Je lui dis que j'ai peur. Il ouvre les bras et dit que c'est normal. Que ça ira mieux les jours suivants. Déjà demain. Il dit que je suis une petite fille. « Tu as toujours été une petite fille ». En moi, ça tempête. J'acquiesce et je prends l'étreinte comme un semblant de refuge. Mais je ne suis pas une petite fille. Tu ne sais pas qui je suis. Tu n'as jamais voulu poser les yeux sur le fond de moi.  Moi je te vois. Tu es une masse, calme, paisible. Un peu secouée là, sur le moment. Un peu effrayée par le raz de marée qui nous attend, mais les rochers savent qu'ils ne sombreront pas. Qu'ils ne bougeront pas, ou si peu. Tu n'es pas un arbre. Il n'y a pas de sève qui court, folle, derrière le mur de ton front. Rien qui se cache. Tu es de roche, de roche mon amour. Et la pierre c'est froid. Je pensais aimer un arbre. Je posais mes mains pour pénétrer de chaleur un caillou. Peine perdue. Tout ce que j'y ai gagné c'est de vilaines entailles sur les mains.

Et des cailloux qui percent tes chaussures.
J'ai pris tes pieds pour leur mettre des sabots.
Tu as rougi mes draps de tes blessures*.

 

 

Jour 2. Quand j'entre dans cette maison, c'est comme retrouver une part de jeunesse, de rires. Les souvenirs me reviennent et c'est doux. Elle me prend dans ses bras à peine j'ai poussé la lourde grille. Sa mère nous prépare un thé. La cuisine est petite et chaleureuse. Elégance surannée de ces vieilles maisons de famille à la campagne. La vie en plus. Dehors, toujours la même table en vieux fer forgé blanc. La piscine est recouverte. Les cris d'enfant courent joyeusement le long des murs. Les tapis sont de travers dans l'entrée. L'œuvre de l'enfance. Le service à thé est tellement joli, porcelaine dessinée. Je pourrais me baigner dedans. Elle tient ma main dans la sienne, doucement et fermement. Je me souviens il y a dix ans, nous avions pleuré dans un lit à l'étage. Sa sœur passe m'embrasser. Me dit que c'est bon de me voir. Elle vit à Paris maintenant, quand elle ne voyage pas. Elle est belle, sa sœur. Je me souviens d'elle, de son appareil dentaire et de sa spontanéité. Maintenant on dirait une grande chose végétale. Elle sent le printemps, la douceur et la pluie. Elle lui ressemble. Sauf que je ne connais pas son cœur.

 

« Cet été, on partira, on taillera la route, on ira où tu veux, y aura du soleil et on dansera en culotte, les pieds dans l'eau avec nos enfants. »


* Des Jours et puis des Jours. Philémon Cimon

  • Tu as de très jolies formules ou tournures sur ce texte il est fluide et très agréable à lire merci !

    · Il y a presque 9 ans ·
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    Christophe Paris

    • merci beaucoup msieur ! si t'aimes, je te conseille l'album de Philémon cimon, L'Eté, il m'a bien inspirée :)

      · Il y a presque 9 ans ·
      248407193 78b215b423

      ellis

  • Caillou. Je comprends. Mais ça fait quand même lourd, un peu, comme si il était au fond du ventre, le caillou.

    · Il y a presque 9 ans ·
    Vie1

    thib

    • Oui. En plus, les mésanges ne mangent pas de cailloux. Merci..

      · Il y a presque 9 ans ·
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      ellis

  • Très joli, doux et porteur d'émotions, j'aime beaucoup !

    · Il y a presque 9 ans ·
    Img 3458

    mamzelle-plume

    • ce qui est doux c'est les commentaires que tu laisses, merci :)

      · Il y a presque 9 ans ·
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      ellis

  • D'une jolie légèreté, et très agréable à lire

    · Il y a presque 9 ans ·
    Vava wlw

    ella

    • merci ;)

      · Il y a presque 9 ans ·
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      ellis

  • cool le mood, parce que c tt toi (encore une fois... ;-)
    une sorte de prolongement de "il y a des matins..." ???

    · Il y a presque 9 ans ·
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    wic

    • merci d'être passé (et merci pour le mood de ton commentaire aussi ;) ) pas vraiment un prolongement de "il y a des matins", non. peut-être dans l'humeur. je ne sais pas. en vérité, il est dans le prolongement de rien celui-là.

      · Il y a presque 9 ans ·
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      ellis

    • raté alors...
      ...mais le plus important est dedans: on y trouve ta griffe ;-)

      · Il y a presque 9 ans ·
      332791 101838326611661 1951249170 o

      wic

    • en le relisant, je comprends pourquoi. le premier paragraphe, effectivement...

      · Il y a presque 9 ans ·
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      ellis

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