Des pailles pour demain
hel
Je ne mets plus de rouge sur mes ongles, c'est devenu trop criard. Je ne mets pas de noir non plus, j'ai épuisé trop de flacons. Et puis il faut savoir passer à autre chose. Alors j'affiche les couleurs de l'entre-deux, du bout de mes doigts déteints je pousse de la fourchette des particules sans matière. D'ailleurs je ne regarde même pas ce que j'avale, j'ai perdu le goût et la faim aussi. C'était entre hier et aujourd'hui, je n'avais déjà pas envie de demain. Je ne te dis rien, je me fatigue moi-même et ça fait longtemps que ça dure, ce goût de poussière sur la langue. Des bouts de terre craquelée entre les molaires, du moins la sensation.
Je sais que tu es là, quelque part à côté, mais je m'applique à l'ignorer. Je bâfre d'autres images, dans un recoin de ma tête, loin de tes bruits de succion. C'est pas de ta faute, si ton appétit me rend malade et que mon tablier habite ailleurs. Non, je crois que c'était écrit, quelque part sur la carte entre les hors d'œuvre et le dessert. Mais j'ai fait semblant de ne pas savoir, et de jouer le jeu. Je continue de dresser les nappes et le couvert, je colle des simulacres et des bougies sur nos festins en mine de papier mâché. Et parfois le vin arrive à me faire oublier le manque de substance au creux de la faïence.
Dans sa robe, il y a encore le reste de nos vieux voyages, des routes en tandem au milieu d'autres nuits et des paysages sans cartes ni boussoles. Des mouvements et des bruits enfuis sous le ciel de notre lampadaire. Y'a des toiles entre ses branches, je sais pas si t'as fait gaffe ? Elles filochent légères au courant d'air, elles ont cette force qui nous échappe, d'exister sans effort ni besoin. Alors qu'il nous en faut des coups de cuillère, toujours plus, même que le sel ne nous suffit plus, qu'on y met des épices et d'autres choses. Qu'on cherche le bon contenant pour raviver le goût. C'est ça qui me tue, l'effort à fournir, et l'ampoule noircie au bout de la troisième branche, qui murmure trop fort tout ce que je sais. C'est la mécanique qui m'épuise. Les mêmes heures, la même salade qui décline au fil des saisons. On passe notre temps à avaler, et le reste à digérer. Le même air qui traine et tourne en boucle sur la piste. On l'a déserté pour se rapprocher du centre de l'assiette. Y'a des tas de choses qui nagent dans la soupe, si tu regardes bien. Mais cela ne sert à rien que je te le dise, parce que peut-être tu ne comprendrais pas, ou encore que cela te ferait trop mal. Pourtant chaque bouchée nous enlise un peu plus, quand ça craque sous tes dents, ça me brûle la trachée. Cette image de graisse et de lipide qui nous enlise, et les infos qui défilent par-dessus depuis l'écran.
Je voudrais retrouver les saveurs d'hier, juste le goût d'un morceau de pain et de nos piques- nique improvisés. Les heures sucrées de rien au bout de nos doigts. Juste quelques pommes dans un panier, et que le frigo ne déborde plus notre absence. J'achèterais des pailles et de la limonade, et on ferait un vrai festin. De bulles légères comme les toiles qui nous ont mangés.
J'adore ton style, ces petits mots qui changent tout. Même quand ça donne envie de chialer, je souris de la jolie tournure que tu adoptes pour rendre tout plus beau.
· Il y a plus de 10 ans ·dreamcatcher
Merci pour ce très joli commentaire, contente que cela te paraisse ainsi et que tu le partages avec moi.
· Il y a plus de 10 ans ·hel
wahou! Trop beau. J'adore le dernier paragraphe.
· Il y a plus de 10 ans ·aile68
Merci pour ce cri enthousiaste :)
· Il y a plus de 10 ans ·hel
Je suis tombée sur ce texte par hasard et je dois dire, pour le coup, serendipity ! Non, sérieusement, je le trouve très joli, et il y a quelque chose de très sincère qui émane d'entre tes mots...ça m'a touchée.
· Il y a plus de 10 ans ·serendipities
Merci au hasard et pour ta lecture.
· Il y a plus de 10 ans ·hel
Hel de l'esprit ou du Sprite!
· Il y a plus de 10 ans ·Philippe Larue
De l'esprit en forme de bulles, hips ! c'est bien ça :)
· Il y a plus de 10 ans ·hel
"C'était entre hier et aujourd'hui, je n'avais déjà pas envie de demain" :-)
· Il y a plus de 10 ans ·jasy-santo
:)
· Il y a plus de 10 ans ·hel
j'ai aimé ce texte bien barré et original! on te retrouve, mais j'ai envie de dire, pas tellement paradoxalement! il y a beaucoup de toi, et on passe de l'émerveillement permanent (toi) à un côté cynique que je ne te connaissais pas forcément! c'est beau, ça craque sous la dent, c'est hel tout simplement!
· Il y a plus de 10 ans ·jasy-santo
Il faudrait que tes commentaires soient moins généreux, me laissent la place de l'humilité, d'un autre côté c'est très plaisant. Je dirais pas cynique, plutôt désabusé, mais y en a toujours des traces un peu partout, sauf que (peut-être) d'habitude il y a d'autres choses en tapisserie aussi.
· Il y a plus de 10 ans ·hel
quand tu commenceras à faire des choses sur lesquelles j'ai à redire, peut-être! aha
· Il y a plus de 10 ans ·C'est toujours rattrapé par un petit émerveillement. La question du mal chez toi est vite remplacée par la capacité de chacun de s'émerveiller, la capacité du monde à enchanter et aux émotions de se trouver partout. dans un bruissement léger, dans une lumière oblique etc.Mais je relirai tout depuis le début avec cette lueur de désabusement
jasy-santo
Je deviens lectrice de tes commentaires ^^
· Il y a plus de 10 ans ·( et c'est pas pour être vilaine mais désabusement ça se dit ?) Peut-être que tu le lis comme ça (comme je le ressens en fait) parce que l'on a une sensibilité qui communique, mais c'est chouette merci :)
hel
(je sais pas trop aha)
· Il y a plus de 10 ans ·oui je crois aussi :)
jasy-santo