Destin noyé

Yeza Ahem

De la difficulté de résister...

Je sais que je devrais m'arrêter, mais il est déjà trop tard, beaucoup trop tard pour que j'arrête de boire, de m'enivrer jusqu'à l'oubli, l'oubli de tout, y compris de ma vie, bientôt finie.

La journée avait bien commencé : déjeuner au petit jour chez le vieux Gaston, balade digestive et goûter à l'ombre chez Mademoiselle Henriette. J'avais même réussi à échapper à ces prédateurs, toujours enclins à vous briser et à aspirer toute votre énergie vitale. J'étais heureux, encore au masculin, mais je le savais : ce ne serait plus pour longtemps. Et je ressentais la hâte que donne la curiosité de découvrir l'altérité, ce qui m'avait été caché, tel le truc du magicien enfin dévoilé.

Mes hormones bouillonnaient. Le combat entre les natives, viriles, et celles venues coloniser leur bastion (moi), faisait rage. Alors, oui, j'ai peut-être oublié la prudence et les rumeurs. Et lorsqu'une délicate odeur de houblon s'est faite sentir près de moi, je me suis laissé guidé ; sans réfléchir j'ai glissé du côté de la tentation. Plus je me rapprochais, plus les fragrances devenaient fortes, irrésistibles. Et puis ça y était. C'était là, devant moi. Je l'ai humée longuement : houblon très floral, avec une touche de fruits exotiques et, juste derrière, un peu de levure. Avant même d'avoir eu le temps de me demander ce que j'allais faire, je le faisais. Le liquide coulait doucement en moi, clair, trouble. Les notes de fruits exotiques se précisaient : litchi, ananas, coco, contrebalancées par la belle amertume d'une excellente chicorée.

Quelques bulles me surprenaient encore quand a commencé à s'allumer le feu dans mon corps, là où le liquide se frayait un chemin. Mes sens ont commencé à s'émousser, le sol à tanguer, les couleurs autour de moi à se mélanger. C'est là que j'ai réalisé qu'il était trop tard et que j'allais finir noyé. Et alors jamais la vie au féminin je ne connaitrai. Stupide limaçon !

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