DIAMANT À MILLE FACETTES ( club jetez l'encre)

matt-anasazi

Sur le fleuve, une péniche éclairée aux guirlandes. De la musique, des voix qui s’entrechoquent. Passionnément. Un couple emporté dans le tourbillon de la danse. Puis les baisers enlacés, les chuchotis légers les enveloppaient dans une ronde enchantée. Il l’entraîna le long d’un escalier de bois précieux pour descendre dans une chambre.

En poussant la porte, une ombre s’était blottie dans un recoin. L’homme se précipita sur le bouton de la lumière. Puis la scène se fit confuse. Des cris de femme. Deux coups de feu. Une alarme incendie. Des bruits de pieds. Des yeux hagards.

Sur le fleuve, une péniche éclairée aux guirlandes. De la musique, des voix qui s’entrechoquent. Passionnément. Un couple emporté dans le tourbillon de la danse. Le jeune homme, de haute stature, maitrisait la valse à la perfection. Il était la classe personnifiée. Son smoking semblait virevolter à chacun de ses mouvements. Le noir de son costume pour la prestance de ses pas de fin danseur, le rouge de son nœud papillon pour la passion qui illuminait son visage. Ses cheveux blonds faisaient une auréole qui le nimbait de lumière en cette nuit joyeuse. Ses yeux bleus brillaient de bonheur ; son sourire flamboyait. Il ressentait une joie extrême, celle de partager une valse au bras d’une cavalière aussi resplendissante que raffinée.

Il chercha son regard, enflammé et fougueux et le croisa. Deux étincelles marron pétillantes et charmeuses. Il chercha ses lèvres ; elle le fit attendre, ses perles rouges lippues s’esquivant à l’ultime seconde. Il la regarda  de pied en cap, comme pour capter toute sa personne et la garder prisonnière. Une robe de soie noire, aux reflets moirés et fendue outrageusement jusqu’à mi-cuisse de chaque côté. Elle se terminait sur un bustier serré au décolleté suggestif et tentateur. Des épaules fines et un cou droit qui rendaient son port de tête altier. Son visage délicieusement ovale couronnait cette merveille de la nature. Malgré le refus du baiser, il s’enhardit dans la danse en la serrant encore plus fort, en se lovant plus encore. Ses bras d’homme à poigne se refermaient sur le dos de la belle avec l’autorité du chasseur dominant sa proie. Elle répondait de tout son être à son omniprésence, sourire radieux, pas glissés, yeux de biche.

Soudain il se pencha et l’embrassa. Puis les baisers se firent plus appuyés, ils finirent par cesser de danser pour s’enlacer. Il lui chuchota des mots doux. Elle frissonna. Les chuchotis légers continuèrent, les enveloppaient dans une ronde enchantée. Il l’entraîna le long d’un escalier de bois précieux, l’embrassa et la serra de toutes ses forces. Il se redressa, la regarda intensément. Dans ses yeux brillaient un désir impétueux, qu’il peinait à maitriser. Elle le ressentit, à sa grande joie, elle y répondit par le même emportement du regard. Il la prit par la main et l’emmena dans l’entrepont. Il connaissait le propriétaire des lieux et une chambre lui était réservée.

En poussant la porte, il sentit quelque chose d’anormal : la pièce n’était pas vide. Il ouvrit la porte à toute volée. Une ombre se blottit dans un recoin, sous le bureau style colonial. L’homme se précipita sur le bouton de la lumière. Le plafonnier jeta une lumière aveuglante sur la cabine luxueuse. Un homme en noir était accroupi, prêt à bondir sur eux. Le danseur sortit de sa veste un revolver, le brandissait à deux mains comme s’il remettait sa vie à une relique magique. Il esquissa un pas, puis un autre dans la chambre. Le silence n’était rompu que par leurs respirations. Un mouvement brusque fit sursauter la femme qui s’agrippa au jeune homme. Décontenancé par le geste, le jeune homme ne fit pas l’ombre fondre sur lui.

La jeune femme se mit à hurler.

Puis la scène se fit confuse. L’ombre se jeta sur le jeune homme et l’agrippa. Les deux hommes se livraient un combat acharné pour contrôler l’arme. Corps-à-corps, bras, jambes, torses mêlés. Impossible de débrouiller les formes dans cette lutte. La jeune femme hurlait toujours quand une détonation claqua, puis une autre. Elle s’abattit sans bruit.

L’homme au costume s’arrêta, les yeux exorbités. Il ne pouvait accepter la réalité. Il n’en eut pas le temps non plus. Un coup brutal l’atteignit à la nuque. Il perdit conscience avant de toucher le sol.

Quand il se réveilla, un bourdonnement vrillait ses tempes. Il ne savait si c’était un son strident ou la douleur du coup. Ce ne fut que quand ses yeux perçurent le feu qui ravageait la chambre qu’il comprit : c’était l’alarme incendie. Il se leva avec effort. Sa tête tournait. Une vague de chaleur lui cingla le visage, le forçant à reculer de deux pas. Une forme noire gisait à quelques mètres de lui. Il ne réalisait qu’à ce moment que le corps de la femme qu’il tenait dans ses bras quelques instants plus tôt brulait dans le brasier qu’était devenue la chambre. Il se jeta dans la coursive, grimpa les escaliers, se perdit dans la foule des convives affolés. Il ne reprit son souffle que sur la rive. Il resta devant les flammes léchant les hublots bâbord. Les yeux hagards.

Sur le fleuve, une péniche éclairée aux guirlandes resplendissait de mille feux. Eclairée de lampions chinois, plutôt car la réussite du maître chinois coïncidait avec l’entrée dans l’année du Buffle, année propice aux affaires. Les lumières de fête se reflétaient sur les aménagements somptuaires qui avaient transformé une péniche houillère du XIXe siècle en yatch fluvial. De la musique, des voix qui s’entrechoquent. Les invités en tenue de soirée terminaient leurs coupes de champagne et l’orchestre installé sur le pont supérieur entonnait les premières valses.

C’était le signal que  Stuart Fielding-Crown choisit pour se rapprocher de celle qu’il convoitait depuis le début de la soirée. La jeune femme était arrivée parmi les dernières. Il avait admiré le maintien parfait de son corps sculptural, l’allure souple et féline de sa démarche, sa chevelure châtain. Sa robe noire dessinait autour d’elle un écrin où scintillait chaque partie de son corps. Mais ce qui avait enflammé son esprit, c’est la rivière de diamants qui ornait son cou. Son coup d’œil d’homme du monde et de joaillier voyait la merveille qu’elle portait. Il s’était rapproché des petits fours pour entendre sa conversation avec un homme corpulent. Elle parlait des diamants de l’Afrique du Sud. Stuart surprit dans son phrasé une pointe de nostalgie et un accent particulier : l’accent afrikaner. Selon lui, c’était l’héritière d’une famille sud-africaine enrichie dans l’industrie diamantaire. Un beau parti en l’occurrence ! Il n’oubliait pas que sa propre famille, de noblesse tardive, avait eu son heure de gloire au début de l’ère industrielle mais que sa fortune périclitait de manière rapide.

Il choisit de l’approcher avec tact. Il la complimenta sur sa beauté et sur sa parure si scintillante. Elle le remercia, un sourire radieux éclairant ses yeux marron. Il ajouta l’air connaisseur une remarque sur la qualité et la magnificence des diamants sud-africains. Gagné ! Il vit un éclair dans ses yeux. Une sud-africaine ? Oui, Petra van de Rees. Il mena la conversation en lui demandant sa région d’origine, partagea avec elle des anecdotes de voyage. Il se fit charmeur, prévenant. Il souhaitait à toutes forces marquer des points auprès d’elle ; les occasions de lui plaire seraient plutôt rares à part celle-là. Il fit une dernière remarque drôle et put admirer son rire franc. Elle s’excusa et le laissa s’extasier sur ses jambes longues et fuselées que l’on devinait sans peine à travers sa jupe suggestive.

Pendant les premières danses, il  fit mine de discuter et de valser avec d’autres jeunes femmes. Il voulait sonder sa réaction. Petra paraissait lointaine mais par deux fois, il croisa son regard, vrillé sur lui. A la quatrième danse, il s’empressa de l’inviter. Il lui glissa à l’oreille des mots doux. Elle arbora sans répondre la mine réjouie de la femme qui espérait entendre de tels aveux sans oser les prononcer elle-même. Il accentua sa cour, se faisant plus entreprenant, plus pressant. Ses bras d’homme à poigne se refermaient sur le dos de la belle avec l’autorité du chasseur dominant sa proie. Il finit par l’enlacer après un premier baiser refusé, puis l’embrassa. Il lui chuchota alors des compliments. Elle frissonna. Les chuchotis légers continuèrent, les enveloppaient dans une ronde enchantée. Il avait réussi à la séduire, restait à la faire fondre définitivement.

Ses gestes, son regard, tout son être ne respiraient qu’une chose : Petra. Elle, sa cible, sa proie… peut-être sous peu, sa promise ! Quand il eut fini de dévorer ses lèvres et de la dévorer des yeux, sa faim ne se trouva pas rassasiée : il la voulait toute entière et même la lier à lui, à son destin et… à sa fortune ! Son désir et son empressement finirent par vaincre la résistance de la jeune femme qui se laissa guider d’une main vers la cabine que Stuart avait fait réserver pour lui.

En poussant la porte, il sentit quelque chose d’anormal : la pièce n’était pas vide. Il se fia à son instinct : ouvrir la porte d’un coup de pied, sortir mon Beretta de sa holster d’épaule. Il le portait depuis une soirée en boîte de nuit à Ibiza qui avait mal fini. Depuis, il commençait par éclater un genou et avisait ensuite. Les deux mains sur le pistolet, il fit un pas, deux, tr… Petra bondit sur lui, effrayée par quelque chose à sa gauche. Elle emprisonnait son bras, l’idiote ; bien le moment de paniquer ! Son bras bloqué lui empêchait de tirer. Pire, son attention distraite lui interdit de stopper l’ombre qui agrippa son arme.

La jeune femme se mit à hurler.

Un combat à mort s’engagea pour l’arme à feu. Stuart avait la force mais cette ombre avait une dextérité phénoménale. Au bout de quelques secondes, l’agresseur réussit à tordre les mains de Stuart, les pointer vers le plafond. Stuart pesa de tout son poids sur ses mains pour faire lâcher prise l’ombre noire. Le pistolet vira vers la droite. Un coup de feu claqua. Puis vers la gauche. Une deuxième détonation. Un petit cri bref et Stuart vit Petra s’effondrer lentement. Il resta tétanisé, d’horreur et… de colère. Une si belle femme, et un parti si prometteur !

Il sentit un coup violent le frapper à la nuque. La douleur résonna dans sa tête toute entière, au point qu’il crut que son crâne explosait. Il tomba à genoux, puis s’écroula. Dans une semi-conscience, il perçut des bruits… un corps qui se relève… un autre traîné dans la pièce… des chuchotements de femme… deux voix. Puis d’un coup, le noir se fit dans un petit chuintement gazeux.

Il revint péniblement à lui, la tête lourde. Sa première sensation fut la chaleur sur son visage. Il ouvrit les yeux et sentit plus qu’il ne vit les flammes. La cabine était ravagée par un incendie qui dévorait la moitié de la cabine et se dirigeait vers lui. Il se couvrit la figure pour se redresser. Ses yeux tombèrent sur un corps dévoré par les flammes. La parure, sur laquelle le feu jetait des éclats mortels fit surgir la scène qui s’était produite quelques minutes auparavant. Il feula de rage et se rua hors de la cabine. En s’engouffrant dans l’escalier du pont supérieur, il se retrouva bousculer par une cohorte de serveurs, cuisiniers, servantes. Il joua des coudes sans ménagement pour atteindre la passerelle et posa le pied enfin sur le quai de Seine. Il se courba en deux, mit la tête entre ses genoux. Il repensait à Petra… sa beauté… sa prestance… sa position… sa distinction… une princesse qui allait si bien à son bras. Un joyau, comme sa parure l’était. Il repassa la soirée, les yeux hagards. Le feu achevait de détruire ses rêves de grandeur et de beauté.

Un couple courait, main dans la main. Leurs habits de servante et de cuisinier les faisaient se fondre dans la pénombre du pont des Arts.

« Merci de m’avoir amené cette tenue. Je me sentais nue dans cette robe et l’autre me palpait assez pour que je le sache !

-  L’avantage de travailler en cuisine, tu peux faire entrer plein de choses dans un bateau. Sinon, comment j’aurais planqué le gaz soporifique et le cadavre ? » L’homme s’arrêta et regarda la jeune femme dans les yeux. « Alors, mademoiselle Ellie Gardner, voleuse la plus recherchée, pas trop dure, la mort ?

-  Avec un ange gardien comme toi, l’enfer est doux ! dit-elle, emportée d’amour.

-  Alors tu ne peux pas refuser mes demandes : danse avec moi et prends ce cadeau en attendant un autre… Je l’ai volé sur une vieille qui n’en pas besoin, avoua-t-il en pouffant. »

Le jeune homme lui glissa à l’annulaire une bague surmonté d’un énorme diamant et l’attrapa pour la faire valser. Les scintillements d’une fausse parure jetée par terre, leurs pas de danse et leurs rires éclairaient la base du pont.

Passionnément.

  • bonjour, j'aime beaucoup l'image en haut à droite du diamant inondé de lumière : pouvez vous me dire ou vous l'avez trouvé? Merci PF

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Default user

    coeurdeterre

  • Merci beaucoup à tous ! Je penserai à rallonger cette nouvelle... même si j'ai du mal à dépasser les 10 pages, ce qui semble indispensable avec trois personnages.
    Merci encore !

    · Il y a environ 11 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

  • Une chevauchée rapide, une intrigue très bien posée, parfaitement maîtrisée, et le sens qui se fait peu à peu. Effectivement, je rejoins les autres, ça aurait mérité d'être encore plus long, de s'attacher sur les détails, mais c'est vraiment très bien mené ! Deux jours pour l'écrire, waoh, ça rajoute à ton talent!!!! C'est magistral!
    Bravo !!!!
    Et merci d'avoir embarqué sur la péniche :)

    · Il y a environ 11 ans ·
    Img 3458

    Alice Neixen

  • Le voyage fut agréable mais court. Je salue ton invention et ce don de nous embarquer. Dommage que la traversée se fasse à la vitesse d'une vedette. J'aurais adoré encore plus être promener à l'allure d'une péniche. L'idée est super et mérite un traitement plus long. Une grande nouvelle, un roman ? Why not.

    · Il y a environ 11 ans ·
    Image 8 54

    hectorvugo

  • vraiment genial, tu nous embarques dans cette folle histoire. c'est comme si on se rapprochait de la scene, que tu enleve un voile a chaque nouveau developpement bravo c'est grandiose

    · Il y a environ 11 ans ·
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    christinej

  • @ Rafi : merci. Je le répète, de ta part, ça me touche beaucoup !
    @ Octobell : merci. C'est vrai que le concept de reprendre l'histoire m'a intéressé mais pas eu plus de deux jours pour l'écrire. Je pense reprendre ce texte plus tard !

    · Il y a environ 11 ans ·
    Avatar loup 54

    matt-anasazi

  • Le seul truc que j'trouve dommage, c'est que ça méritait d'être vachement plus développé :D. Un bon concept, bien intriguant, en tout cas ! J'aime beaucoup cette impression qu'on "dézoome" de l'histoire pour en comprendre progressivement le sens global. C'est bien trouvé ! Du bon boulot (même si j'ai l'impression que ça a été écrit très vite !)

    · Il y a environ 11 ans ·
    Logo bord liques petit 195

    octobell

  • Wahooooooou !!! Ça c'est un boulot de dingue ce que t'as fait ! C'est énorme.
    Je suis bluffée.
    ENORME !!!!

    · Il y a environ 11 ans ·
    20130820 153607 20130820153847362 (2)

    rafistoleuse

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