Donnez à l'insouciance ses lettres de noblesse

hectorvugo

Nos nuits étaient plus longues que nos jours. Nous étions riches de nos rêves et ivres de nos folies. Quand le soleil ouvrait les rideaux gris roses d’un ciel hésitant entre l’automne et l’été, il nous exhortait à suspendre le temps. Il nous disait à sa manière : « Donnez à l’insouciance ses lettres de noblesse ».

Alors nous allions faire la route comme d’autres faisaient droit ou médecine prenant les itinéraires bis pourvu qu’ils menassent à la mer.

C’était l’époque des voitures polluantes, de l’essence abordable, des amours jetables. Nous conduisions des décapotables empruntées à nos pères. Elles atteindraient la Méditerranée comme toujours.

Peu importait notre état de fatigue, les heures d’avant le lever du jour où nous bondissions sur la piste de danse pour les uns, parlions  de nos vies avec le détachement indispensable de ceux qui se croyaient tout permis pour les autres.

On nous appelait les survivants parce que nous dépassions nos limites et ne rentrions pas chez nous. Nous aimions jouer les prolongations.

Surtout les jours de septembre.

Septembre sa chaleur timide, sa douceur jumelle à celle des femmes, son impossibilité à repousser l’inéluctable feuille morte.

Nous portions des pulls en laine pour supporter la fraîcheur du petit matin. Et au sortir de la ville encore endormie nous empruntions la nationale le vent dans les cheveux, la cigarette mentholée en bouche (l’incomparable Kool).

C’était la vie facile sans peur du lendemain. Un lendemain dont nous ignorions tout.

Seul comptait le présent, ces moments d’émerveillement devant un village aux petites ruelles, un pont en vieilles pierres enjambant un fleuve, une église et son clocher. Il y en eut tant de traversés.

Quoiqu’ils fussent ressemblant, la lumière leur donnait une particularité.

Les heures passaient, le jour baissait.

Les vignes à l’ombre, un raisin triste puisqu’éconduit, le vin heureux, les marchands de fruits aux bords des chemins, les brugnons et les pêches. Le verger du sud annonçait la nuit nouvelle.

Pas encore, le soleil faisait de la résistance, on le sentait de nouveau vivant quand la route montait.

Par hasard nous frôlions des villas qui chichement derrière les portails dévoilaient leurs chapeaux de toitures.

Elles avaient toutes vue sur la mer.

Nous descendions quelques lacets et avions cette vue là pour nous seuls.

Le ciel avait ce dégradé de couleurs du blanc à l’ocre.

Nous priions Dieu d’arriver à temps sur la plage pour voir le soleil se noyer dans l’horizon.

Une dernière accélération,  un stationnement en épis et le bonheur était à portée de mains.

Nous quittions nos voitures, ôtions nos chaussures, courions en riant sur le sable. Un instant rapide d’enfance vite effacé par la vision du crépuscule naissant.

Puisqu’ils ont dit que ma fin était proche, j’ai voulu voir le soleil se coucher en méditerranée une dernière fois, comme aux temps de ma jeunesse. J’ai fait le mur de la maison de retraite, emprunté clandestinement la voiture de mon fils, traversé la Nationale 7.

Ce coucher de soleil je l’ai vu.

Ce jour s’en va et je ne verrai pas l’autre.

Les éléphants meurent dans l’anonymat

A l’abri du regard des proches

  • La fin est glaçante mais elle donne tout son sens et son essence au texte. Les souvenirs sont décrits avec justesse, j'aime beaucoup.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    20130820 153607 20130820153847362 (2)

    rafistoleuse

  • Souvenirs délicatement écrits... J'aurai aimé une autre fin... glups...

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Ange

    Apolline

  • En effet, moi j'ai pas compris l'image, Elfie :D
    Et Hector, c'est pas sur le "a" que tu as oublié l'accent, plutôt ?
    Cela dit, j'ai trouvé la chute plus parlante que tout le reste du texte. Elle nous laisse sur une très forte impression.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Logo bord liques petit 195

    octobell

  • Joli souvenir. J'ai eu l'impression d'entendre un récit de mon père sur sa jeunesse. La chute est belle. Bravo.

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Vava

    fairyclo

  • Je me suis laissée bercer par la nostalgie, et cette improbable touche finale, parfaitement juste...un peu comme l'accent circonflexe sur forêt. Bon personne comprendra l'image employée, mais moi j'me comprends ben, donc y a bon! Merci d'avoir participé!

    · Il y a plus de 10 ans ·
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    El. Imy

  • tres beau texte

    · Il y a plus de 10 ans ·
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    christinej

  • Merci Alinoe, il y a une erreur d'interprétation de ta part. J'ai utilise le verbe mener à l'imparfait du subjonctif. J'y ai oublier un accent sur le "e".

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Image 8 54

    hectorvugo

  • Très joli! ;) J'aime beaucoup la chute.
    Juste un petit truc qui pique un peu les yeux: "qu'ils menassent" au lieu de "menacent".

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Vhrwx7 t 400x400

    Alinoë

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