Effeuillage amoureux
Colette Bonnet Seigue
Exercice d'écriture proposé par Pascal Perrat dans son atelier :"Entre 2 lettres"
« Ne vous froissez-pas ! » Murmura Félicien (jeune- puceau-écrivain-en- herbe) à la page vierge. Aujourd'hui, je crois que je suis prêt à vous dévoiler l'empreinte de mes sens. Voilà un moment que je voulais le dire, du bout de ma plume. Mais je ne pouvais pas affronter le velouté de votre peau. La lumière et la pureté virginale de votre trame délicate sont si tentatrices ! J'ai osé parfois, mais, sans réponse de votre part, j'ai préféré attendre. La page vierge ne broncha pas, tandis que Félicien continuait maladroitement ses approches espérant une tentative de sa part. Alors, il caressa du bout d'un mot solitaire le doux vélin.
- C'est bon ! Soupira-t-elle. J'aime cette caresse inattendue ! Un soupir de papier s'envola vers la plume interrogative.
- Comment vais-je m'y prendre ? Songea le puceau. C'est que je manque d'expérience ! Mon père Gilbert Cesbran, grand écrivain de son état avait défloré tant de feuilles vierges, qu'on ne pouvait compter toutes ses conquêtes ! Lui, au moins, il savait faire ! Un jour, il m'a dit : « Mon fils, pour devenir un grand séducteur de page blanche, il faut que je t'initie. Tu sais, les pages virginales sont les plus dures à appréhender. Il te faut de l'imagination, un doigté de maître pour câliner tous ces mots de peau. Surtout, surtout pour une première fois, savoir attendre… L'attente est la lave du désir. »
A ce moment-là, pensant au conseil de son père, il sentit monter ce flux de feu brûlant sous ses doigts impatients, ça allait déborder !
Le puceau effleura la page une nouvelle fois, en évalua la brillance et la teinte nacrée de sa robe. Il prit son plus beau stylo trempé de bleu et d'une envolée angélique laissa glisser ses premiers mots maladroits.
- Continue ! Oui ! Comme ça !! Invita la page qui en voulait plus. Alors, à hue et dia, de long en large, d'autres mots se bousculèrent tellement que la page osa de la trame, facilitant ainsi le glissé de doigt sur le stylo voyeur, elle s'arque bouta, tandis que la plume se fit amoureusement plus assurée.
- Tu dois attendre ! se disait le jeune puceau - Pourquoi attendre ? Questionna la page devinant soudain le transport.
- C'est que… Je me sens maladroit !
- Ose donc ! Dit-elle, je n'attends que ça ! Je suis toute à toi en majuscule, en italique, en interlignes, en alinéas, comme tu le sens !!! Sauf, en points d'interrogations, j'en ai horreur, ils me laissent sur ma faim. Je n'y puis répondre. J'ai aussi une aversion pour les points de suspension. Je n'aime pas le doute. J'adore les points d'exclamation admiratifs ! Ce qui me rassure, ce sont les mots à virgules amoureuses. Elles n'en finissent pas les virgules sur mon corps alangui. Elles effeuillent ma peau langoureuse pour un prélude de mots en sensuelles respirations, en bémols vibratoires.
Alors, le puceau ne se fit pas attendre. Il aligna un paragraphe à virgules et la page se laissa effeuiller.
-Encore ! Encore ! C'est si bon ! Soupira-t-elle avec délectation.
Soudain Félicien commença à détendre ses doigts pour honorer sa trame.
- Tu deviens expert ! Encore ! Encore !
Une psalmodie de doigté de mots prit corps sur toute la page qui perdît sa virginité. Le jeune puceau sans expérience posa en interlignes et alinéas les phonèmes les plus savoureux, allégoriques, élévateurs !
Un orgasme fou s'imposa, faisant éclater guillemets et parenthèses avec dextérité et une telle passion qu'une lettre d'amour s'imprima sur le corps frémissant de sa page.
Elle commençait ainsi :
Mon amour,
Je te veux toute entière,
Muse de mes mots
Consacrée à mon âme,
Salvatrice de maux,
A l'écoute de tes soupirs
Reçois mes désirs
Imprègne mes silences
En point de suspension
Pour prolonger
Le mystère du phrasé
De ma nouvelle vie Avec toi…
De rendez-vous en rendez-vous, de virgules en points-virgules, de points en doubles points la page inspiratrice accoucha en points d'exclamations de jeunes feuillets multiples et beaux.
Or, le jeune écrivain libéré enfin de son pucelage reçoit ce jour le Prix Goncourt…
Superbe trouvaille
· Il y a environ 6 ans ·menestrel75
Je découvre ton sublime texte que j'ai vu sur la page Facebook de Roselyne ! Quel talent et quel écrit jouissif et jubilatoire (c'est le cas de le dire) ! Un véritable ode aux mots ! CANOTIER A RAS DE TERRE Colette et merci pour ce moment durant lequel le temps a suspendu son vol ! bisous et douce journée à l'ombre !! Quelle maestria !!
· Il y a plus de 6 ans ·Christine Millot Conte
Il avait surement trouvé le point G...Bisous Colette
· Il y a plus de 6 ans ·marcco
Bonjour Joël! Sans doute! Merci pour ton commentaire. Bisous
· Il y a plus de 6 ans ·Colette Bonnet Seigue
C'est plaisant à lire. Ceci dit, il est indéniable que plusieurs sont inspirés par les idées de Pascal Perrat. J'ai retrouvé plusieurs débuts d'exercice sur son blog Entre 2 lettres. Dans notre monde, il est habituel de citer les sources !
· Il y a presque 9 ans ·mamidoux
Merci pour votre commentaire. Si j'ai mis le thème de l'exercice en italique c'est pour dire que l'idée n'est pas de moi. Je ne manquerai pas de citer Pascal Perrat pour qui j'ai une grande admiration. J'ai été sur votre page, mais n'ai rien trouvé, dommage!!!
· Il y a presque 9 ans ·Colette Bonnet Seigue
Que c'est joliment écrit !
· Il y a environ 9 ans ·valjean
Soigneusement écrit et bien guidé Colette ! ça donne "en vie" ;)
· Il y a plus de 9 ans ·Apolline