Ejaculation au Janicule ou le Coitus interruptus

momo84

par Monique Benintendi et Arnaud Friedmann, écriture à quatre mains dans le jeu de Cadavesky sur Face book Thème imposé : l'assassinat de Jules César Genre : érotique


Procula promena son doigt sur la lame du couteau qu'elle venait d'émoudre, avant de le poser à côté de ceux que Sextus proposerait l'après-midi même dans l'échoppe qu'il possédait près du Sénat. 
Il n'était pas dans les habitudes des femmes romaines de participer aux activités professionnelles de leurs époux, mais Procula était née avec d'anachroniques conceptions sur l'égalité homme-femme, et elle avait su les imposer à son mari.

Pour ne pas heurter la société romaine de cette période dont rien ne laissait supposer qu'un jour on la recenserait dans les livres d'histoire en années négatives, elle se contentait, depuis leur somptueuse villa surplombant le Janicule, d'apporter son soutien au commerce conjugal en aiguisant secrètement les couteaux destinés à de riches sénateurs dans un appentis adossé à l'atrium, à l'abri des regards des esclaves.

Le souvenir de la lame contre son doigt provoqua à Procula d'érotiques et déviantes pensées, au point qu'elle reprit le couteau dans sa main gauche pour l'appuyer à nouveau contre la chair tendre de son index droit, dont elle songea en frissonnant que ce matin encore elle l'avait logé et agité dans l'anus étroit de Sextus avant qu'il ne partît pour les thermes. 
Là encore, jamais elle n'aurait osé avouer cette pratique aux élégantes amies qu'elle recevait les après-midi dans son gynécée.

Elle se demanda si le couteau serait vendu ce jour des Ides de Mars, et si dès le soir-même une virile main d'homme le plongerait dans la chair juteuse d'un fruit ou d'une volaille cuite à point.
L'excitation née de cette vision lui fit oublier que ses contemporains n'utilisaient pour manger que des cuillères et des fourchettes.

Les lames la fascinaient. Elle aimait voir son visage et sa chevelure se refléter dans ces dizaines de miroirs grossiers, posés dans l'atelier. 
Elle prenait plaisir à laisser glisser ses doigts sur le métal tranchant et glacé, doux comme une caresse. 
Elle songea à sa fente, déchirure originelle de la femme, vulnérable et délicieuse plaie offerte aux lames viriles.

Elle n'entendit pas entrer l'homme mais sentit un souffle dans son cou. Elle lui fit face. Visage fin, corps massif, l'homme était grand et portait le laticlave à bandes rouges des sénateurs. Elle eut un mouvement de recul. Il la saisit par le bras.

« N'aie pas peur, je viens choisir mon couteau », chuchota-t-il.
Elle n'avait pas peur, à peine était-elle intriguée par la présence de cet homme dans l'atelier de Sextus. 
Il lui lâcha le bras et se mit à examiner un à un les couteaux, les soupesant de sa main gauche, passant l'index sur le fil de la lame, tâtant de la première phalange le pointu de l'acier, mesurant leur portée sur sa main. 

Procula l'observait. Le regard était sombre, grave.
Délicatement, comme on cueille un fruit, elle s'empara du couteau fraîchement émoulu par ses soins et le posa dans la main de l'homme, qui y promena ses doigts selon le rituel désormais établi. 
Puis il examina la femme longuement, des cheveux à la pointe des pieds, avec ce même regard qui soupèse et évalue la qualité de la marchandise. 
Sans la quitter des yeux, il fit disparaître le couteau entre les plis de sa toge. 
Un secespita, couteau destiné aux sacrifices.

Il se fit un silence. Leurs regards semblaient maintenant rivés l'un à l'autre comme la lame sur le manche.
« Je dois te payer maintenant. »
Elle eut un instant d'hésitation. Elle n'avait jamais encaissé d'argent, c'était le rôle de Sextus. Elle n'avait d'ailleurs aucune idée du prix auquel il vendait ses couteaux.

« C'est que... je ne sais pas... »
« Moi je sais. »

Il fit un pas vers elle, souleva d'un geste sa tunique et se plaqua contre elle. 
Elle n'avait jamais trompé Sextus, ni même envisagé de le faire; les délicats cunilingi qu'elle échangeait à l'abri du gynécée avec ses amies ne comptaient pas. 
Pourtant elle ne repoussa pas l'inconnu. Un désir violent s'était emparé d'elle. 
Une phrase lui vint à la bouche, qu'il lui parut indispensable d'articuler avant d'être
emportée par l'envie d'utiliser cette bouche à d'autres fins :
« Quel est ton nom, sénateur ? »
« On me nomme Marcus Junius Brutus. »
Et en écho au triple énoncé de son identité, il pénétra Procula par trois coups de rein successifs. Avant de laisser sombrer son esprit, elle s'étonna de n'avoir pas remarqué l'érection du sénateur, qui n'aurait pas dû lui échapper pour autant qu'elle pouvait en juger par le volume du membre qui distillait dans son entrejambe un plaisir supérieur à tous ceux qu'elle avait éprouvés avec Sextus.

Le temps se suspendit dans l'appentis. L'embrasement des corps se répercutait dans le métal des lames, la poussière du sol amortissait les gémissements des deux protagonistes de cet adultère anté-christique. Ils jouirent en même temps.
Il sembla à Procula que Brutus avait grogné en se retirant :
« Je vais tuer mon père. »

Mais elle n'en était pas sûre ; au reste, il pouvait s'agir d'une de ces phrases étranges que les hommes prononcent post coïtum, et que les femmes selon elles, ne devaient pas chercher à comprendre.
Viendrait bien le jour où un médecin viennois se chargerait d'y apporter les réponses appropriées, pour l'heure elle s'en contrefoutait.
Elle n'avait qu'une envie, c'était de rester entre ces bras puissants, de s'y lover et de lui raconter les subtilités de son corps de femme, excitée et insatisfaite d'un coït si fulgurant.

Procula caressait maintenant la peau de l'homme, oubliant complètement le temps et le lieu où elle se trouvait. L'idée même que Sextus pût arriver l'avait abandonnée.
Un peu surpris de l'audace de cette femme, il se laissait palper, et ne sentit pas la fine main reprendre, dans le pli de sa tunique, le couteau dont elle promenait l'aplat de la lame, maintenant, sur le corps de Brutus.
L'homme ne bougeait plus, sidéré par le jeu pervers et fascinant de ce couteau serpentant sur sa peau et de cette chair ondulant sur la sienne.
C'est tout juste s'il frémit quand il sentit que la lame décrivait des arabesques sur son ventre. Tout juste s'il tressaillit quand les lèvres douces prirent son sexe pour le glisser dans la moiteur d'une bouche.

Il répéta distinctement « Je vais tuer mon père » .
Un manche dans chaque main, elle serra les dents sur le phallus et le couteau marqua un temps d'arrêt.
Il prit la tête de la femme entre ses doigts et lui enfonça profondément son sexe dans la gorge. Il vit sa lame pénétrer César à la curie de Pompée.
Il appuya sur la tête de la femme plus fort encore et sentit la pointe du couteau piquer son ventre.

Un hurlement rauque s'échappa de ses entrailles quand il gicla en repoussant la femme sur le sol. Un nuage de poussière donna à la scène le charme d'une peinture vésuvienne.
Brutus reprit le couteau.
Elle ferma les yeux pour ne pas le voir s'éloigner.
Sous ses paupières défilèrent un chaos d'images : manche, phallus, lame, foutre, coups de rein, coup de couteau, fente, plaie béante.

Sur ses lèvres, comme un goût de sang.

  • Whaohh j'adore !

    · Il y a presque 7 ans ·
    Img

    Patrick Gonzalez

    • Merci Patrick ...plaisir de plaire.

      · Il y a presque 7 ans ·
      Momo 2

      momo84

  • Super !!!

    · Il y a presque 7 ans ·
    Avatar

    nyckie-alause

    • Partage ...j'aime tant te lire !

      · Il y a presque 7 ans ·
      Momo 2

      momo84

  • oh c'est chouette génial le thème, le vocab les tournures le texte est fluide super cool à lire merci ah génial, j'vais moins faire la tronche au boulot !

    · Il y a presque 7 ans ·
    P 20140419 154141 1 smalllll2

    Christophe Paris

    • Merci !! Un thème imposé qui permet de sortir de sin propre imaginaire. Ravie que ça adoucisse ta journée de boulot !!!

      · Il y a presque 7 ans ·
      Momo 2

      momo84

  • Un plaisir de se remettre en bouche cette gourmandise. Un goût de reviens-y ;)

    · Il y a presque 7 ans ·
    Evanescence

    perle-vallens

    • J'y reviens parfois aussi. Merci Perle.

      · Il y a presque 7 ans ·
      Momo 2

      momo84

  • Bonjour toi/vous puisque vous êtes 2 à avoir commis ce bijou ! carrément j'adore. C'est coloré et chaud, plein de détails qui nous enseignent et puis...bref, je kiffe vraiment ce texte. Bravo.
    Je vais partager car c'est trop bon !

    · Il y a presque 7 ans ·
    D9c7802e0eae80da795440eabd05ae17

    lyselotte

    • Merci, venant de toi, je suis zémue !! J'en profite pour te recommander de lire Arnaud Friedmann...Ce fut un plaisir d'écrire avec lui ce texte, anonymement. Puis un grand honneur de découvrir qui était mon partenaire de jeu de mains ( mais pas de vilains ! ).

      · Il y a presque 7 ans ·
      Momo 2

      momo84

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