En quête de fuite

Luce Is No One

Incipit.

Un hibou hulula dans la nuit claire. Les reflets de la lune s’accrochèrent dans les bancs de brouillard qui se baladaient dans la propriété, surplombant les murs d’enceinte, perdus entre deux fourrés, ou flanant au pied de la maison colossale, enroulés autour des piliers soutenant le porche. Des arbres habillés de givres perdaient leur verdure, laissant peu à peu tomber leur manteau d’automne et ses couleurs rouillées. Des feuilles échouées à leurs pieds, cachettes secrètes abritant les réserves que les écureuils s’étaient constitués, coloraient ces espaces dénudés par la venue de l’hiver. Sur une allée de pavés rouges, un corbeau picora quelques miettes échouées là par le vent.

La portière de la camionnette claqua dans le silence nocturne. Perturbé dans son festin de minuit, le corbeau prit son envol. Glacées jusqu’aux os, deux mains se posèrent sur le volant. Dans le pare-brise s’encadrait une allée pavée longue de vingt mètres et un portail ouvragé grand ouvert sur une route déserte. La vieille Ford F 100 de 1956 avait été rénovée et modernisée du plancher au moteur. C’était à la fois une merveille et une aberration, quand on songeait au monument que cette voiture constituait, altérée par des innovations que l’époque n’aurait jamais pu imaginer.

Sur le plateau arrière, une bâche masquait à la vue et protégeait du vent toute une cargaison de vivres non périssables, des jerricans d’eau, du matériel de survie neuf et des vêtements propres. Sans destination précise en tête, Virgile avait embarqué tout ce qu’il avait pu trouver ; boussole, réchaud au gaz, une arbalète, une canne à pêche télescopique, des chaussures de marche et tout ce qui lui avait paru utile.

Dans le rétroviseur central – élément inconnu à la Ford d’origine – Virgile admira son reflet. Sous une tignasse touffue encore humide, une ecchymose achevait de verdir autour d’une cicatrice rosâtre en forme de fourche sinueuse. Il s’était rasé de près, habillé chaudement. Une cachette spacieuse, dans le plancher, abritait une réserve conséquente de billets de banques tout neufs, retirés la veille de son compte. Il n’avait rien oublié, selon toute vraisemblance. Argent, nourriture, vêtements, et adieux différés. Il ne lui restait plus qu’à mettre le contact et à démarrer.

La clé s'enfonça fluidement dans le Neman. Virgile hésita. Maintenant qu’il y était, la peur de l’inconnu se mêla à l’excitation, au creux de son ventre. Une peur qui paralysa ses poumons, enserra son coeur dans un étau de glace. Cette route, devenue familière au cours de ces dernières semaines, se para d’un mur en béton armé bardé de barreaux d'acier trempé. L’indépendance à laquelle il aspirait se mua en monstre de pacotille, un démon qui attisait sa convoitise en lui promettant monts et merveilles pour finalement lui reprendre ses rêves. À l’envie de liberté s’opposa, dans le cœur de ce jeune homme en perdition, un désir de sécurité, ce sentiment qu’il lui semblait n’avoir jamais connu.

Il renifla.

Ce n’était pas ici qu’il risquait de se sentir en confiance. Les mensonges et les non-dits étaient aussi fréquents que les sourires de façade. Il aspirait, non seulement à la sécurité, mais avant tout à la vérité, sans far ni déguisement. Et dans les yeux de ces étrangers filiaux, c'était un puits qui s'y reflétait. Un déguisement laissant miroiter de jolies choses pour mieux cacher de terribles secrets.

Il n’était plus temps de reculer. Cette indépendance, il en rêvait depuis qu’il s’était réveillé, depuis qu’il avait posé le regard sur un visage qui s’attendait tant à être appelé « maman ». Il rêvait de découvrir qui il était, qui il pouvait être, quand on ne le lui soufflait pas à l’oreille. Découvrir des lieux nouveaux, des gens différents, loin de cette richesse opulente et indécente, de cette supercherie superficielle. 

Exhalant lentement la tension qui freinait son allégresse, Virgile regarda la muraille s’effacer sur une route pleine de promesses. Le moteur, qui se mit en route au premier tour de clé, ronronna joyeusement dans la nuit. Un nuage blanc s’éleva de l’échappement, masquant peu à peu l’immense demeure qui se reflétait dans le rétroviseur, et la fenêtre qui s’éclaira au premier étage.

Virgile ne savait pas où il allait. Il n’avait ni plan ni GPS, simplement la route pour guide. Un serpent de bitume qui l’appelait d’une voix enjôleuse.

Une invitation vers la liberté.        

Synopsis.

Virgile, après un accident de voiture, passe deux mois dans le coma. À son réveil, il apparait très vite qu’il est amnésique. S’il se souvient des choses fondamentales, il ignore qui il est. Les anecdotes de sa famille, leurs certitudes sur ce qu’il aime manger, boire, faire et dire, ne lui évoquent rien. Il ne reconnait pas ces personnes qui assurent et prouvent, à l’aide de photos, être des proches. Amis et famille, étrangers dans le cœur et les tripes de cet homme nouveau.

Il décide de partir à l’aventure, de se découvrir sans que personne ne soit là pour lui souffler le bon comportement à adopter. Il visitera les plus grandes villes du vieux continent, parcourra la cambrousse avec son vieux pick-up, il rencontrera des gens et apprendra de leurs rêves. Saisonnier dans les vignes d’Italie, membre d’équipage sur une croisière qui le mènera en Australie et dont le salaire lui permet de se payer un billet d’avion pour les Etats-Unis, où il se perd dans ces vastes terres que l’homme n’a pas encore foulées, pour échouer dans le désert, en pénurie d’eau et de carburant.

Au long de son périple, un homme apparaitra souvent. Vendeur dans une station-service, promeneur le long de la plage, à chaque fois, ses mots, pourtant innocents, badins, mettront Virgile mal-à-l’aise et le pousseront à écourter la conversation, persuadé de l'avoir déjà vu quelque part, conscient de ne pas vouloir se remémorer de l'endroit où ils s'étaient vus avant son réveil. Mais Virgile ne pourra pas faire l'autruche éternellement.

C'est au milieu d'un désert, dans un cul de sac, que cette rencontre devient inévitable. Rien que lui et cette bande de goudron flottant de chaleur et, à perte de vue, des centaines d’hectares de sable à la croute écaillée de rares cactus et de buissons croquants.

Cet agaçant homme aux questions percutantes s’arrête devant lui. Il conduit le pick-up abandonné par Virgile, fringuant, à l’inverse de ses précédentes apparitions, et sourit durement en enjoignant Virgile à se relever. Tout en poussant sur des muscles récalcitrants, Virgile se souvient d'où il connait cet homme.

Incapable d’échapper à la mémoire, que cet homme omniprésent tente de lui faire recouvrir, il se souviendra de l’homme qu’il avait été, et cette quête d’identité prendra alors des allures de fuite effrénée.

Cet alors qu’il se souvient de l’accident, du choc qui le plongera dans le coma. Lui qui croyait prendre un nouveau départ, comprends qu’il n’était, en fait, qu’en sursis. Tout était décidé depuis ce jour funeste où il avait pris un arbre de plein fouet. Un accident causé par l’apparition soudaine, au milieu de la route, de cet homme qui, au vu de ces révélations, n’avait pas accompagné sa quête, mais l’avait pourchassé dans sa fuite.

Dans la vie, tout se paie, et au cours de ces derniers instants, Virgile se remémore les raisons qui avaient poussés cet homme à s’intéresser à lui, à lui faire payer la gravité de ses actes. Sursis temporaire ou chimère éthérée du coma, une chose l’attend : le jugement de cet homme venu le chercher pour le mener dans l’autre-monde.

De l’autre côté.

  • Merci beaucoup, tromatojuice ! C'est plaisant à lire.

    · Il y a plus de 11 ans ·
    15820663 10211693996614240 962943202 o

    Luce Is No One

  • En ce qui me concerne, ça parait plus original que les quelques autres synopsis que j'ai parcouru. Pour ce que ça vaut, je me permet d'encourager l'auteur ! Bonne chance.

    · Il y a plus de 11 ans ·
    140527 heart surge

    tromatojuice

  • Merci, Lézard.

    · Il y a plus de 11 ans ·
    15820663 10211693996614240 962943202 o

    Luce Is No One

  • Moi je trouve ça franchement très bon. Et peut-être que cela à déjà été vu, mais cela ne veut pas dire que l'on ne peut pas créer quelque chose de beaux, à contrario de l'art contemporain qui recherchent à tous prix la démarcation et qui au final pond de la bouse en séries conceptuelles. C'est fluide, et cela donne envie de lire. Je te souhaite donc une grande chance pour le concours !

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Dargon d absinthe orig

    Lézard Des Dunes

  • Oui, ne t'inquiètes pas, j'avais saisi. Simple précision de ma part, quoi que peut-être inutile.

    · Il y a plus de 11 ans ·
    15820663 10211693996614240 962943202 o

    Luce Is No One

  • Justement, c'est pour ça que j'ai écrit "paraît"...C'était une remarque "à première vue".

    En réalité ça m'a tout l'air d'être bien amené !

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Sdc12751

    Mathieu Jaegert

  • L'originalité devient compliqué dans un temps où les auteurs ont déjà explorés tous les méandres de l'imagination. Tout dépend de la façon dont on amène un sujet, de la manière dont on tourne les choses.

    En tout cas, merci à vous de m'avoir lu.

    · Il y a plus de 11 ans ·
    15820663 10211693996614240 962943202 o

    Luce Is No One

  • Ce concours m'attire, du coup j'ai lu avec attention. Ca paraît pas original mais dans le cadre du sujet c'est bien écrit et ça donne envie d'en savoir plus ! A suivre !

    · Il y a plus de 11 ans ·
    Sdc12751

    Mathieu Jaegert

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