Entre la poire et le dessert
petisaintleu
Je l'ai cru. Il faut dire que je suis d'un caractère coulant. Quand mon crémier m'assura que le roquefort était la panacée pour lutter contre la covid-19, je me montrai bonne pâte et je lui en pris vingt kilos. Il m'avait convaincu en m'affirmant que pour cent briques du Forez, t'as plus rien. Bien que j'aie un faible pour la fourme d'Ambert, j'en conclus qu'il était préférable d'opter pour le persillé aveyronnais.
La facture était salée. En arrivant chez moi, je fus saisi d'un doute. Tandis que tout le monde se précipitait dans les supermarchés pour se jeter sur le papier toilette par panurgisme, je me demandai s'il ne m'avait pas fait tourner chèvre. Je ne suis pas du genre à cogiter des heures par peur que mes idées ne moisissent.
Je retournai le voir pour lui faire remarquer qu'il m'avait pris pour un jambon. Il me rétorqua que le charcutier, c'était la porte d'à-côté et que je pourrai bourrer ma quiche lorraine, vu que je lui avais déjà fait une ribambelle de lardons. Il commençait à me les brouter. Je lui rétorquai qu'il en faisait des tartines et je lui collai un pain. J'ai de l'humour, mais il avait dépassé les bornes en insultant mon épouse Madeleine originaire de Commercy. En sortant, je posai le pied gauche dans un crottin de Chavignol. J'y vis un signe du destin. C'était mieux que de porter l'époisses.
J'en étais à mon deuxième mois à consommer cette spécialité fromagère. Quand ma femme me fit remarquer que je sentais le bouc, j'en déduis qu'il était temps de changer de régime tout autant que de T-shirt qui commençait à fermenter sous mes aisselles, avant qu'elle ne me mette un soufflet. Elle est d'un caractère assez vache et je n'osai pas l'envoyer paître. Pour rester fidèle à mon esprit un peu rance, je rentrai dans ma coquille et je me mis à parler en yaourt.
Je pris sur moi et je décidai de lui apporter sur un plateau une humeur plus crémeuse. Elle en eut en abondance. Je devins aussi sage qu'un gamin, quelles qu'en soient ses origines, à l'instar d'un petit-suisse, d'un bleu d'Auvergne ou d'un gastronome en culotte courte. Elle buvait du petit-lait de voir qu'enfin je rejoigne le troupeau.
Je dois vous confesser que je ne suis pas d'un extrême fidélité. C'est ainsi. Je suis comme le chanteur batave : j'aime les dames. Malgré mon âge, je me crois encore beau et fort. Depuis plusieurs mois, j'étais fondu d'une laitière de Chambourcy. Elle fit rentrer le loup dans la bergerie. Par son entremise, je rencontrai le gratin de son comté. Remarquez, ça tombait plutôt bien. Vu que j'étais fauché, je n'ai pas craché sur des vieilles croûtes pour mettre du beurre dans les épinards.
Un matin, après une nuit trop arrosée, j'avais le crâne fracassé avec la désagréable impression qu'il était percé comme du gruyère. Simone était pourtant sympa, surtout quand elle me surnommait son chabichou, une appellation contrôlée par son désir de m'affiner. Je ne sais pas ce qui m'a pris. Je la menaçai de mon laguiole et elle me mit à la porte, me jetant avec mon pardessus râpé.
J'étais à la rue et je me les caillais. J'entamai une transhumance en meule qui me mena des alpages du pays de Gex à la brousse la plus reculée. Finalement, j'atterris en Savoie et je me dégottai une tourte qui me recueillit. Je dois avouer que c'était un véritable délice et je la dégustai à la petite cuillère. Pris en sandwich entre cet amour et mes remords, je décidai un jour de quitter son buron. Elle me comprit. En guise de souvenir, elle m'offrit une tomme qui à ce jour est toujours dans ma bibliothèque.
Je finis par rejoindre Neuchâtel, en braies, après que j'ai travaillé une saison au parc Astérix. Madeleine ne m'en tint pas rigueur. Je fis profil bas et je devins son croque-monsieur. C'est alors que je fis la découverte de mon fromager. Il comprit qu'il pouvait me presser et il ne se gêna pas pour grignoter mes économies.
Mais aujourd'hui, c'est terminé. Je suis allé le voir et j'ai menacé cette patate d'ouvrir un restaurant dédié à la poutine. J'ai vu à son teint qui blanchissait qu'il m'a pris au sérieux et que son sang coagula à la seule évocation de mon baratin.
Commentaire d'un de mes zenfants : yep...il arrive à en faire tout un fromage !
· Il y a environ 4 ans ·Gabriel Meunier
J'en reprendrais bien un morceau !
· Il y a environ 4 ans ·Sy Lou
Un texte bien pensé, original et plein d'humour !
· Il y a environ 4 ans ·Sy Lou
Deguuuuuuuuuu !!! Ah, la vache ! ça au moins ça mérite le détour !!!!!!!!!!!
· Il y a environ 4 ans ·Gabriel Meunier
En voilà un texte qui fleure bon le terroir, sur du pain de seigle à peine grillé, sans modération aucune !!
· Il y a plus de 4 ans ·caza
Quel humour ! Ça fait du bien ! Comme une tartine de maroilles trempée dans du café :)
· Il y a plus de 4 ans ·chaleur
Un puant de Lille, c'est mieux.
· Il y a plus de 4 ans ·petisaintleu
sur cette page, ça tabasse !!!! Youpee !
· Il y a environ 4 ans ·Gabriel Meunier
Un texte à dévorer !
· Il y a plus de 4 ans ·Louve
Ah, le fromage ! Chaque jour - que Dieu ne fait pas - pour moi, c'est le fromage de chèvre - pas sec, au contraire bien moelleux - je ne peux m'en passer !!
· Il y a plus de 4 ans ·Très bon texte, drôle à souhait !!
Louve
Oui mais la vache qui rit elle rit, sacré valkierie ou valérie, c'est celon….;0)
· Il y a plus de 4 ans ·flodeau
les walkiries avaient une belle silhouette...mais leur fromage était assez près d'une panzerdivision
· Il y a environ 4 ans ·Gabriel Meunier
Eclatée de rire de bout en bout, il faut l'avouer, c'est du grand art ! bravo l'artiste, c'est du joli travail que voilà :)
· Il y a plus de 4 ans ·marielesmots
je plusssoie
· Il y a environ 4 ans ·Gabriel Meunier