Epuiser l'ennui (part 1)

jones

L’été annonçait son retour, il se mettait à dégouliner dans les dos, sous les aisselles, les omoplates, dans les tees shirts, sous les jeans. On ne pouvait pas le rater, accroché aux fleurs, aux branches, roulant dans la gorge des oiseaux, fixant le soleil au milieu du ciel toute la journée, mais c’est aussi et surtout la réapparition des punks à chiens sur les places qui signait le plus sûrement le changement de saison.  

En rentrant du boulot, je les ai croisés chez l’épicier du quartier en train d’acheter des munitions pour la soirée. ils m’ont filé la gerbe avec leurs peaux déjà rouges et leur vocabulaire aussi maigre que leurs chiens. Une envie de les insulter et puis rien. J’ai traversé la place, je me suis assis sur un banc pour les observer encore un peu. J’ai fini par remonter jusqu’à chez moi par la rue en pente, ses arbres faméliques et ses crottes de chiens. 

Les clés, le couloir toujours au frais et la porte avec la clenche qui couine un peu. Sitôt entré, j’ai jeté mon sac et ma tenue de boulot sur le fauteuil, j’ai retiré mes chaussures. Le carrelage froid sous mes pieds, je suis resté au milieu de la pièce à pousser des petits cris de plaisir et de perte en même temps comme un veau sous sa mère. Mes pieds ont laissé des traces humides. Je me suis dit que les punks devaient en laisser de bien pires si toutefois leurs pieds rencontraient un jour un carrelage.

Devant la télé allumée, j’ai flingué l’ennui à coup de bière en canette et de whisky bon marché. Rien qu’une foule de visages, de voix, de mots détachés qui se mêlaient aux bruits de la rue. J’avais attendu ce foutu moment toute la journée comme tous les autres jours et pourtant il laissait au fond de moi ce même goût amer, blanc et métallique et qui faisait comme un tic tac. Je suis allé pisser et je me suis arrêté devant la chambre de la petite, son bordel, ses dessins partout accrochés aux murs, ses fringues éparpillées sur la couette rouge, celle avec les lapins dessus. Papa, tu me fais la couette qui vole, je l’ai entendu dire dans un coin de mon cerveau imbibé. Je suis retourné dans le salon et je me suis accoudé à la fenêtre pour finir ma bière. Les rats filaient sous les voitures, la lune crevait d’ennui. J’ai laissé glisser la canette entre mes doigts. Elle a fait un petit bruit mat en rebondissant au sol puis elle a roulé sur quelques mètres avant de dévier du trottoir et de se retrouver bloquée sous une roue. La rue enflait, étendait son domaine sous le pas du monde. Et pas moi. A ce moment précis, c’était tout l’inverse, je me vidais de tout. J’étais tout vide. Sous vide. Evidé. Creux et résonant. Je pouvais entendre mon cœur compter les jours dans ma poitrine. Un squelette avec un cœur dedans tout juste bon à bosser, boire des bières et pisser des sarcasmes. En ça, j’étais un homme moderne, transparent, consommateur, seul et anonyme. Du moins, c’était ce que je croyais. 

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