et j'ai peur du noir aussi

Marie Eve Brassard

Synopsis

Se faire larguer le jour de ses vingt-neuf ans et réaliser, contre son gré, qu’on survivra. Se faire larguer et ne pas vouloir oublier. Se faire larguer et oublier quand même. Et recommencer.

Le cri de détresse rempli d’humour et de naïveté d’une jeune femme à l’aube de la trentaine qui aime les mots. Et les hommes aussi. Et l’alcool un peu. À une époque où l’amour et l’engagement ne sont plus ce qu’ils étaient, cette jeune femme a peur. Peur de vieillir seule mais peur d’aimer également. Peur de la routine. Peur de l’ennui. Et peur du noir aussi. 

Extrait

Avril

Tu es parti. Comme tous ceux qui sont passés avant toi, tu es parti. Quand tu t’es garé devant chez moi, après mon souper d’anniversaire dans ton restaurant préféré, j’ai compris que ce serait la dernière fois. La dernière fois que tu m’embrassais. La dernière fois que je te serrais dans mes bras. La dernière fois que j’enfouissais mon nez dans ton cou pour te respirer un peu avant d’aller dormir.

Et pourtant, nous avions passé une si belle soirée. Heureuse à la simple idée que tu te sois rappelé mon anniversaire, j’ignorais assez facilement le pincement qui me chatouillait la poitrine, pas très loin du cœur. Comme une petite douleur. Comme une petite tristesse. Je savourais le simple plaisir de te regarder jusqu’à ce que tu m’annonces que tout ça allait trop vite. Jusqu’à ce que tu me balances en pleine face ce que toutes les filles rêvent de ne jamais entendre : ce n’est pas toi, c’est moi. Jusqu’à ce que tu m’expliques qu’on pouvait peut-être continuer de se voir de temps en temps. Mais moins souvent.

Au moment d’ouvrir la portière pour descendre, ce n’est pas moi que tu as regardé, c’est ton volant. Et j’ai fixé ta voiture qui s’éloignait, les larmes aux yeux, jusqu’à ne plus la voir.

Tu es parti. Tu es parti il y a deux heures et tu me manques déjà. Je t’oublierai sûrement toi aussi comme ceux qui sont passés avant. Mais cette fois, sans trop savoir pourquoi, je n’ai pas envie d’oublier. J’ai envie de m’asseoir sur mon balcon et de fumer cigarette après cigarette en pensant à toi. Je veux me coucher ce soir et imaginer que tu es à mes côtés et que tu me caresses les cheveux. Et je ressens un violent besoin de t’écrire. T’écrire pour te garder là, avec moi, encore un peu. Écrire notre histoire pour ne pas qu’elle s’efface. Comme toutes les autres histoires avant la nôtre. Même si, en fait, ce n’est pas vraiment à toi que j’écris. Même si, quand on y pense bien, il n’y a pas vraiment d’histoire.

Tu es parti. Tu m’as larguée. Comme un lâche. Tu m’as embrassée. Tu as regardé ton volant pendant que je descendais de la voiture, tu as redémarré et tu es parti. Le lendemain de mon anniversaire.  Le premier jour de mes vingt-neuf ans.

On peut continuer de se voir de temps en temps. Mais moins souvent. Va. Donc. Chier.

La nuit fut courte et agitée. Silencieuse. Je n’étais pas saoule. Je n’avais même pas la force de me lever pour boire. Allongée sur le lit, je repensais à la soirée en fixant le plafond. Tout semblait parfait. Trop parfait. Ce n’était pas nous. C’était toi. Toi et tes manières froides et polies.  Même pour me dire adieu. Depuis des mois, les signes étaient là. Depuis qu’on se connaissait les signes étaient là. Mais je ne voulais pas les voir. Ne pas regarder la réalité en face, n’est-ce pas le meilleur moyen de l’ignorer ?

La nuit fut longue en fait. C’est mon sommeil qui fut court. Agité. Je n’ai pas très bien dormi. Je n’ai pas dormi du tout. J’ai repensé chaque rendez-vous. Chaque coup de fil. Chaque minute. Chaque parole. Je m’étais bâtie un beau scénario dans lequel tu étais fou de moi et je jouais mon rôle. Et je jouais le tien aussi. Comme d’habitude.

Les jours qui suivirent furent longs. Longs comme la nuit. Trop de temps pour penser à toi. Trop de temps pour penser à nous. Trop de temps pour penser point. Je me suis cachée sous ma couette, incapable de trouver le courage de manger. Ni le courage d’appeler une copine. Pas même le courage d’ouvrir la télévision pour me déprimer encore plus. Le seul courage que j’ai eu se nomme vodka. Avec un peu de tonic. Et beaucoup de lime.

Le printemps est là. Le soleil plombe sur la ville et fait fondre ce qu’il reste de neige. Le soleil plombe sur la ville et fait fondre chaque souvenir de toi. J’erre dans les rues et je te cherche. Je nous cherche. Quelque part sous cet arbre nous sommes là à nous embrasser. Derrière ce restaurant, tu me prends dans tes bras. C’est dans cette ruelle que tu m’as dit « je t’aime » la première fois. Je marche dans le parc et je nous cherche. Mais je ne trouve que des gens heureux. Il y a plein de sourires qui se baladent main dans la main. Ils sont chanceux de s’aimer au printemps. Moi je t’ai aimé l’hiver.

Si je devais choisir un seul et unique mot pour décrire comment je me sens, j’hésiterais entre déchet et merde. Je pue. J’ai les cheveux gras. J’ai mauvaise haleine. Je ne me suis pas lavée depuis ton départ et je me sens sale. Sale de ton regard. Sale de ton parfum. Sale de ton amour. Si tu ne m’avais pas déjà quittée, c’est sûrement maintenant que tu le ferais. J’ai besoin de savon.

La première fois, j’avais cinq ans. On jouait au ballon et tu m’as embrassée sur la joue pour ensuite te sauver en courant. La semaine suivante, tu as disparu. Je t’ai d’abord cru malade. Les jours passaient et tu ne guérissais pas. Un matin, en me déposant devant l’école, maman m’a expliquée que tu étais parti. Déménagé loin. Trop loin pour deux enfants. Cette nuit-là, j’ai serré mon ourson très fort pour m’endormir. Je n’ai pas pleuré. Je n’ai pas pleuré mais je n’ai plus jamais aimé les ballons.

Et l’histoire se répète. Tu m’as brisée le cœur à cinq ans et à huit ans aussi. Et encore à treize ans,  à seize ans, à dix-huit ans. Cœur en miettes. Ensuite, j’ai quitté la maison, le nid familial. J’ai quitté la maison en y laissant mon vieux cœur. J’ai quitté la maison en y laissant partout des morceaux de cœur. Oui. C’est ça. Des morceaux de cœur. Partout. Cachés.  Ensuite ce fut mon tour. Ma vengeance. Je t’ai brisé le cœur à vingt ans. À trente ans. Et même à cinquante. Oui oui. Juré. Un vieux cœur aussi ça peut casser.

Le bain coule. Un bon bain brûlant. Un bon bain plein de bulles. Tant qu’à me reprendre en main, aussi bien le faire avec des bulles. J’ai besoin de me laver. Me laver de toi. Me laver de ton corps. Me laver de ton visage. Je me glisse dans l’eau. Doucement. Sans faire de vagues. Et pour la première fois depuis tellement de jours, je ferme les yeux et j’inspire. Et j’expire. Longtemps. Jusque dans mon ventre. Jusque dans mes trippes.

Est-ce que tu sais que je rêve de te frapper et de te noyer dans ton bain ?

Est-ce que tu sais que j’aimerais ça hurler et t’attacher pour que tu m’écoutes ?

Ou te forcer à me regarder. Droit dans les yeux. Me regarder.  

Je te hais tellement que je te prendrais dans mes bras.

Et ça me réveille la nuit. Le ciel est gris. Y’a des étoiles.

Si ton char pouvait déraper.

Tes yeux sont gris. Voir des étoiles.

Je deviens folle.

J’ouvre les yeux et je suis encore là. Allongée dans la baignoire. J’aurais aimé disparaître. Me noyer pour t’oublier. Me noyer pour ne plus penser. Mais je suis encore là. Et je suis propre.

Liste des choses à faire pour t’oublier :

- Me laver

- Mettre du vernis sur mes orteils

- Magasiner une nouvelle robe pour l’été

- Changer de tête

- Effacer tes messages

- Recommencer à répondre au téléphone sans craindre d’entendre ta voix

- Sortir dans un bar, séduire un bel inconnu et baiser

- Idéalement te faire savoir que j’ai baisé avec un bel inconnu

- Arrêter de fumer

- Recommencer la course à pied

- Partir loin


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