Eternel sans mère

Juliet

Son regard est celui d'un enfant abandonné
Son corps mélange la beauté de la masculinité et la fragilité de la pureté
Derrière la tendre blondeur de ses mèches
Deux yeux couleur noisette fixent mélancoliquement un point perdu à l'horizon
Des larmes transparentes coulent
L'enfant se croit seul à les voir

Il tend la main,
c'est une prière envers une entité à laquelle il n'a plus confiance depuis longtemps déjà
Et au-delà de son désespoir il n'imagine pas
Que quelqu'un rêve de cette main tendue chaque jour
S'il n'ôte pas ces mèches blondes de devant ses yeux
c'est pour préserver le secret de cette mélancolie qui est née peu après lui
Il est frêle, seul, sensible et beau à en pleurer
Ce sont des caractéristiques qui lui sont intrinsèques,
Tout comme lui est devenu intrinsèque
le fait d'être resté sans le savoir un enfant abandonné


Pourtant, voilà trente-quatre ans déjà
que dans une blanche chambre d'hôpital
un nouveau-né pleurait et hurlait le subit arrachement à la protection maternelle,
celle qu'il n'a plus jamais retrouvée depuis
Et aujourd'hui encore
C'est comme si les pleurs et les cris qu'il avait poussés à ce moment-là
se répercutaient comme un écho à l'intérieur de son être
En lui subsiste le souvenir horrifiant de l'arrachement


Il a trente-quatre ans

Elle en a dix-huit
Au détour d'un chemin, alors qu'elle passait par-là un peu par erreur
Et que lui se tenait droit debout, immobile,
occupé à taire et à penser ses larmes
Elle a croisé son regard éteint
Et derrière ce sombre rideau de retrait et d'indifférence
Elle a vu le fond de ces abysses qu'il pensait avoir à jamais recouverts


Sans le savoir, sans le vouloir
Il a dû rester un enfant,
Cette évolution forcée de cet être vivant qu'est le fœtus prostré
Et inconsciemment, il cherche l'amour et la protection qu'il n'a jamais ressentis

Alors qu'il se pense condamné à vivre seul et mal-aimé
      Elle, elle n'arrive plus qu'à le chérir et l'aimer
Alors qu'il se tord d'angoisse et s'étrangle avec une corde d'insécurité
Elle, elle ne rêve que de le libérer et le protéger


Elle le regarde, elle l'admire, elle le pleure
Elle l'observe et le chérit en silence
Elle se sait prête à sacrifier sa vie pour envelopper la sienne dans un cocon de sécurité
Mais lui, derrière son voile de solitude et d'indicible chagrin, il a cessé de voir
Sont-ce les larmes qui l'ont aveuglé ou bien verse-t-il des larmes car il est aveugle ?
Il est aimé à en mourir
Elle veut bien mourir pour l'aimer

Par-delà son mal-être, cette tristesse indéfinie mais infinie
L'extrémité des doigts de sa main tendue pointe vers le ciel
c'est un appel à l'aide comme un appel au vide
Les yeux de l'enfant incomplet s'embuent
                Et elle, transparente à l'enfant comme les larmes de celui-ci le sont au reste du monde
se plie en deux et hurle son nom du fond de ses entrailles
Tandis qu'il se plie à Dieu et l'abandon du fond de toute son âme


Il a trente-quatre ans
Elle en a dix-huit
Elle voudrait être sa mère pour qu'il se sente aimé
Elle voudrait être sa mère pour qu'il la voit l'adorer
Elle voudrait être sa mère pour qu'il se sente protégé
Elle voudrait être sa mère pour qu'il arrête de se tuer

Il a trente-quatre ans
C'est un enfant beau à en pleurer qui ne peut plus que se laisser mourir et laisse faire le temps
Il n'a fait que s'imaginer l'amour sans se douter qu'il le fuyait en avant

Elle a dix-huit ans
Elle a sondé son âme comme s'il était la chair de sa chair, le cher de son cœur
Elle n'a fait que rêver de lui donner cet amour en redoutant qu'il ne fuie plus avant

Et à chacune de ses larmes qu'il tait
Elle hurle un peu plus fort pour le sauver
Mais les oreilles de l'enfant sont closes,
Plus aucun son ne l'atteint
Seuls résonnent encore dans son esprit
Ces hurlements qu'il a poussés à sa naissance

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