Extrait

eukaryot

Ce texte est un extrait d'un roman actuellement en cours d'écriture, soumis ici à votre critique, dans l'espoir d'un maximum de retours et de commentaires, n'hésitez pas à être sévères!

Elle! Malade! Non! Non! Non! Soit, elle déclinait depuis peu, mais elle avait toujours solidement tenu le toit commun, elle était la poutre centrale, elle était le moment même, l'origine, l'antépénulchatte d'où j'étais sorti! La mère d'avant la mère, mère du père, mère de nous, mère.  

Elle était un putain de viking fier et droit, et la voilà asséchée, horizontale, elle qui tenait tant à tenir debout! Malgré l'arthrite et ses jambes milles fois fracturées.  Je suis arrivé forcément en retard, à la clinique, loin, loin de Paris, entourée d'un parc superbe, secret, des arbres qui ombrent les pas, pas de chemin autre que les feuilles et branches mortes, et le soleil au dessus qui fait de son mieux. Un cocon pour mourir, et masquer sa mort, et c'était absolument charmant.  

Et je l'ai vue. Faible, allongée, maigre, maigre... Ses cheveux bien peignés, bien coiffés, pensée d'infirmière, un verre d'eau juste à côté sur une tablette roulante, inutile, et puis... Je pleure de voir.  C'est à pleurer, cette fenêtre qui donne sur de grands arbres, et le sol recouvert de feuilles et d'herbe, ils auraient pu l'allonger sur le humus, qu'elle respire encore une fois la terre. Ce parc immense, et au milieu coule la rivière des partants, le sifflet imaginaire de ce dernier train pour la côte qui nous attend tranquillement. Qu'il était joli, ce parc. Ma soeur me regarde, retient ses larmes sous un air de défi qui lui va maintenant beaucoup trop bien. On s'entraîne à souffrir? On se fait à la douleur?

Je la regarde, respirer, respirateur, je la regarde, ses côtes maintenant comme succession de dunes, soulever, baisser le drap, je regarde les mains noueuses et musclées qui se déssèchent, c'est ce goutte à goutte vampire, je suis sûr, j'en parlerai à une infirmière. Curieux, d'ailleurs, je n'en ai presque jamais croisé à l'étage gériatrie. Je regarde les yeux fermés, sachant qu'ils ne s'ouvriront plus, et je hurle dedans, dehors ça m'est interdit. Hurlement dedans parce que ya encore un petit garçon là, qui dit fort fort fort que c'est pas juste, pas normal, qu'on peut pas mourir lorsqu'on est immortel, qu'on peut pas mourir parce qu'on ne le veut pas. Voulait-elle mourir? En terminer enfin avec cette vie pire qu'une chienne qu'elle a eu? Je la regarde, je regarde ce visage maintenant inconnu.Il ne nous appartenait plus, il appartenait à l'autre côté, à tout jamais.
 

 Et la bouche! Cette bouche commune à tout les mourants, la lèvre du bas rentrée presque dans le menton qui supplie, la supérieure courbée, semblant soutenir le visage qui s'affaisse! C'est à ce moment qu'on réalise pourquoi il y a tant de tableaux dépeignant le visage des mourants. C'est beau, c'est ridicule, ça touche par delà toute expression, c'est une douleur première, universelle dans sa simplicité, et son intensité. N'importe qui reconnaît un mourant, de suite. Difficile de la voir derrière ce masque. On reconnaît le carré de la mâchoire, les dents plantées dans la gelée rose derrière les lèvres grandes ouvertes. Oui, sa bouche m'obsédait! Elle remplaçait ses yeux sur le visage désormais clos.

Elle est restée dans la grâce, sa douleur obsédante comme une photo parfaite, qu'on verrait s'abimer, flétrir les couleurs; presque friable sa peau à présent.  

Le plus violent fut la réalisation, pleine, entière, subite, évidente, que je ne la verrai jamais plus ouvrir les yeux, que ce regard bleu à la transparente volonté s'était caché derrière les paupières, par pudeur, par honte de cette dernière soumission, elle qui n'y tenait plus. Son souffle rauque,  ces tuyaux filasses dans le nez, ces humeurs qui sortaient d'autres tuyaux sortant d'elle, aspirant la vie comme la merde, et putain de merde, cette absence, partout, partout, qui l'entourait, qui émanait d'elle comme un pet. Et le reste de vivants, à contempler crétins ce corps déjà crevé, déjà parti, qui expirait son âme au rythme méthodique du respirateur. Saloperie. Envie d'arracher tout ça, de la secouer, de lui dire d'arrêter les conneries maintenant, hein! Un pilier ça ne lâche pas le bar comme ça, on sort pas de la pièce avant la fin du dernier acte et même pas d'Ex Machina? Mauvais.  
 
 

Elle est morte. Maintenant. Aphasie collective, plus d'alarme autour du lit inutile. Vide. J'étais dans un bar avec une fille, à oublier, à boire, à ne pas y penser. Lorsque j'ai reçu l'appel. Sérénité. Calme. Vide. Le plus dur, plus tard. Ma soeur est restée, jusqu'au bout, à côté. Elle me raconte qu'elle dormait, lorsque soudain, elle ouvre les yeux, comme prévenue , me dit-elle. Quelques minutes après, le cardiogramme cesse sa course. Pas d'alarmes. Elle a pris ses affaires, averti les infirmières, et a appellé la famille. Oh... Elle, assez forte pour garder le phare, assez forte pour lancer ces appels, la nuit...  

  • Je viens de terminer la lecture ! Pour moi, l'émotion est intense ! Phrases hachées traduisant la douleur, le refus, le désespoir, le "c'est pas possible tu meurs pas"! Moi aussi "antépénulchatte" me gêne ! Sinon, j'ai lu sans accroc de sens et je suis très émue, ce qui me paraît bon signe ! Merci pour le partage et je suis prête à lire la suite ! Merci !

    · Il y a presque 14 ans ·
    Ma photo

    theoreme

  • C'est presqu'en tremblant que je lis tes extraits, tes mots qui percutent et le brut des émotions, je sais que je vais "eumorfler". Merci de cette confiance et de ce que tu nous donne à lire, c'est immense. Le rythme et les mots de cet extrait me laissent un sentiment de sérénité et d'acceptation, malgré l'injustice qu'il traduit. Incroyable.

    · Il y a presque 14 ans ·
    Banksyyyy orig

    hello-44

  • Bonjour, pointedenis me recommande votre extrait qui me dit ceci : c'est pas possible, c'est pas possible, elle ne peut pas, elle ne doit pas, c'est quoi tout ça, ça ne devrait pas. Le petit garçon ne veut pas, l'absurde est devant lui et casse toutes ses phrases en coups de colère . Du coup, ces phrases ne prennent aucune longueur (et c'est justement écrit).
    Seule réticence pour moi : Utilisé si tôt et sans accompagnement, le mot "antépénulchatte" est un peu irrespectueux pour votre ascendante.

    · Il y a presque 14 ans ·
    Omicron 1 orig

    Christophe Dessaux

  • Soumettre qq pages que l'on peut relire comme je vais le refaire...Je reviens plus tard,j'ai fait vite et je veux être sûre de ce que je dis ! Mais il y a de l'émotion !

    · Il y a presque 14 ans ·
    Ma photo

    theoreme

  • C'est mieux de mettre des extraits pas très longs à chaque fois, de toute façon, les gens lisent plus facilement. 4 pages c'est parfait. OUI, on en veut encore!

    · Il y a presque 14 ans ·
    Arbre orig

    pointedenis

  • @gungiant : j'avais tenté de poster l'intégralité du texte, mais welovewords ne s'y prête pas, et le maximum de pages est de 37, si mémoire est bonne.

    · Il y a presque 14 ans ·
    129193001470521169 orig

    eukaryot

  • Lousalome : c'est vrai, j'aurais dû écrire pénulchatte... Mot-valise entre pénultième et chatte. Au temps pour moi !

    Pour la phrase avec le respirateur, j'y avais pensé, mais j'ai eu peur que ça n'alourdisse encore une phrase déja bien longue... Une suggestion? Merci pour le retour en tout cas!

    · Il y a presque 14 ans ·
    129193001470521169 orig

    eukaryot

  • Mercis, pleins, pour vos retours, je ne m'attendais pas à être complimenté de la sorte, je ne sais pas exactement où me foutre... Vos plumes me font y laisser les miennes, tant de choses, tant de choses encore à apprendre. Hmpf!

    · Il y a presque 14 ans ·
    129193001470521169 orig

    eukaryot

  • il est original de demander aux autres d'être sévère - tu persévères ? j'ai appris à chanter avec des pros, ils m'ont pas fait de cadeaux - je me suis aperçu que j'acceptai très facilement les critiques lorsqu'elles ne sont pas mal intentionnées...j'ai pu vivre en vendant des peintures: là je me suis aperçu que peu supportent la critique, crimes de lèse-majesté en fait. D'où perte collective ON S'ABSTIENT...et tiens pas pour toi...c'est que le rythme est bon, les phrases économisent, les images sont justes, les ellipses et la ponctuation servent bien l'histoire - un défaut ? hého je connais pas la suite, merci

    · Il y a presque 14 ans ·
    Crater orig

    gun-giant

  • C'est très bien écrit, on ressent bien la douleur et le manque.

    · Il y a presque 14 ans ·
    Portrait orig

    selig-teloif

  • Un immense merci, venant de pareille plume, c'est plus que flatteur :)

    · Il y a presque 14 ans ·
    129193001470521169 orig

    eukaryot

  • Je ne sais pas faire des corrigés, je ne suis pas une pro, si je n'aime pas, je ne dis rien.
    Là, je suis chamboulée. Peux rien dire d'autre que ça.

    · Il y a presque 14 ans ·
    Arbre orig

    pointedenis

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