Fuite intemporelle
compteclos
Ma main épousait ses formes de femme. Son regard était sombre, et je savais pertinemment qu'elle était déjà loin. Beaucoup trop loin de moi. Elle était déjà partie, dans d'autres bras, me laissant seule. Seule avec deux de ses cheveux dans la douche, accrochés, agrippés aux murs comme je l'étais à son âme. Seule avec le cendrier encore plein, et les cendres qui s'envolaient lorsque j'ouvrais la fenêtre. Seule avec son parfum dans l'escalier. Seule avec son écharpe dans l'armoire qu'elle avait oubliée.
Peut-être était ce mieux ainsi, peut-être la vie était faite de cela.
Des amours éphémères et dérisoires qui vous font autant souffrir qu'ils ne vous apportent du bonheur.
Alors, j'ai continué, j'ai avancé.
Jusqu'à ce qu'un jour, tout me revienne en pleine figure. Son visage, tout d'abord parsemé de flous puis d'une étrange netteté. Comme si elle n'avait jamais arrêté de vivre à travers mon regard, comme si chaque mot que je soufflais lui était destiné.
Je savais que je ne la reverrais jamais, qu'elle était partie dans un autre pays, parce qu'en France « tout était vain et l'on était au bord du précipice ». Peut-être était-elle déjà visionnaire, peut-être avait-elle prévu tout ce cataclysme géographique dans lequel nous étions en train de nous noyer, ou alors, la France, pour elle, désignait peut-être notre couple. Le saurais-je un jour ?
Elle avait le rire mélodieux, vous savez, cette mélodie que jamais vous ne pourrez oublier, et ce sourire en ecchymose de cette personne qui a déjà beaucoup trop combattu pour une seule vie.
Je l'ai laissé partir, puisqu'il le fallait, puisqu'elle le désirait, puisque son âme m'hurlait de la laisser vivre sa vie, la liberté au bout des doigts et l'enclume des lois en valises sous les yeux.
Elle ne dormait pas, enfin, très peu. Elle n'aimait pas dormir, pour elle, c'était une perte de temps. Alors, la nuit, nous allumions des bougies et nous regardions le plafond blanc, sans dire un mot. Je laissais échapper la fumée de ma cigarette dans la volupté des étoiles. La fenêtre grande ouverte, la couverture sur nos épaules, nous restions muettes, comme pour ne pas casser le silence assourdissant de notre propre solitude.
Puis, quand elle ne le voyait pas, je la regardais, chacun de ses traits, je les connaissais par cœur. Ses ongles de pieds trop longs. Ses ongles de mains rongés. Ses cheveux bruns. Ses pupilles sombres. Ses sourcils en bataille. Ses seins, ses fesses, son ventre, ses bras, ses mollets..
Elle était ce printemps que je n'osais fleurir. Cette canicule inondée. Je la laissais vivre, en l'étouffant. Je la voulais, rien que pour moi. Elle rêvait d'un ailleurs moins oppressant. J'étais amoureuse, elle était malheureuse. Elle était ma quintessence, j'étais sa prison.
Universel, et incroyable
· Il y a plus de 6 ans ·Lev Hamels
Merci !
· Il y a plus de 6 ans ·compteclos
Superbe... et laisser s'envoler ceux qu'on aime, c'est pour moi du moins, l'amour véritable
· Il y a plus de 6 ans ·alexandra-basset-9
Merci..
· Il y a plus de 6 ans ·Oui, même si l'égoïsme humain nous crie de garder cette personne..
compteclos
Je partage les commentaires sur la beauté des images. On est littéralement projeté sur ce balcon et on a envie de fumer une cigarette avec ces deux malhoureuses.
· Il y a plus de 6 ans ·Max
Oh merci pour ce commentaire..
· Il y a plus de 6 ans ·compteclos
C'est tellement beau... Merci...
· Il y a plus de 6 ans ·Julien Darowski
Merci à toi, Julien..
· Il y a plus de 6 ans ·compteclos
Quelle belle écriture, sincèrement !
· Il y a plus de 6 ans ·"Elle était ce printemps que je n'osais fleurir. Cette canicule inondée."...
Louve
Merci beaucoup..!
· Il y a plus de 6 ans ·compteclos