Georges
Y K
Sur le bureau en acajou, deux grosses mains poilues suaient nerveusement.
L'une d'elle, après une hésitation, s'empara d'un paquet de cigarettes qui trainait au milieu d'une pile de documents tandis que l'autre s'enfonçait dans la poche d'une veste de costume où après avoir tâtonné, elle finit par trouver un zippo.
Elle approcha ce dernier d'une bouche impatiente où déjà était plantée une cigarette.
Mais alors que la mèche s'allumait, la première main se ravisa et d'un geste brusque referma le clapet du briquet.
- Merde, murmura la bouche désormais vide de toute cigarette.
Georges Duroy était en plein dilemme.
D'un côté, l'option se débarrasser du corps. Compliqué.
De l'autre, l'option police, et là autant dire que tout était foutu.
Ca l'emmerdait Georges. Ca l'emmerdait parce que prendre des décisions, franchement, c'était pas son truc.
Tiens, son mariage déjà. Il l'aimait bien Nathalie, c'était une gentille fille ; bon, plus proche de Maïté que de Miss Météo, mais, soyons réaliste, il pouvait difficilement se permettre de viser plus haut.
- Sois pas trop ambitieux, lui avait dit son père alors qu'ils partageaient leur première Kronenbourg. En tant que Duroy, tu as un champ d'action limité- tâche de viser bas pour jamais être déçu !
Conseil scrupuleusement suivi par Georges: Nathalie Payet s'inscrivait tout à fait dans la gamme de choix de générations de Duroy, un canon de banalité parfaitement neutre en tous points dont il aurait été impossible de dire qu'elle était attirante sans pour autant la trouver repoussante.
Georges avait tout de suite su qu'elle était pour lui. Il s'agissait d'emballer l'affaire avant qu'un autre Duroy en profite, mais là déjà il lui avait été difficile de faire le premier pas.
En désespoir de cause, après deux heures de manège à la fête foraine du «Guénolé », il avait tenté de s'y lancer à un moment très peu opportun (elle venait de croquer une grosse bouchée de pomme d'amour) et pour finir c'est elle qui avait pris les devants, après la partie de pêche aux canard. L'affaire était pliée.
25 ans de mariage plus tard et il en était là.
Il regarda le corps posé dans un coin de la pièce et soupira. Bordel de bordel qu'est-ce qu'il allait pouvoir en faire.
Déjà l'avoir ramené jusqu'ici n'était peut être pas la meilleure solution, il aurait dû le laisser dans la voiture.
Il observa le type. Damien Jussieu, d'après son permis. Pas de doute, un beau gosse. La trentaine, élégant. C'était avec ce fils de pute que Nathalie le trompait depuis plusieurs mois.
Cette haine soudaine avait surpris Georges lui même à vrai dire. Il était plutôt tranquille comme type. Et franchement, il ne pensait pas tenir tant que ça à Nathalie. Mais soudain, il s'était mis à l'espionner: les coups de téléphone mystérieux; les rendez-vous à répétition; leurs escapades dans cette belle maison d'où elle ressortait avec un sourire ébahi sur le visage. Salopard.
Après le premier coup à la mâchoire, l'autre avait tenté de répliquer, et Georges n'en avait eu que plus de plaisir à frapper de plus belle, se découvrant des pulsions violentes insoupçonnées. Le retour à la réalité avait été brutal.
Paniqué, il n'avait rien trouvé de mieux que de ramener Jussieu chez lui, dans leur 70m2.
Georges se remit à suer de plus belle. Il était dans la merde. En plus connaissant Nathalie, ça allait pas du tout passer, la chambre en bordel, le vase de Tatie Christine en miette et tout, il n'aurait pas le temps de ranger, ça c'était sûr.
Il fallait prendre une décision.
La main droite, celle qui auparavant tenait la cigarette, plongea dans un tiroir. Georges jeta un dernier regard autour de lui, les photos de son mariage avec Nathalie à Montfort-sur-Meux, le visage apaisé de Damien qui semblait dormir désormais, la tapisserie verdâtre.
Le coup de feu résonna dans l'appartement.
Les grosses mains poilues se détendirent.
Au même moment, Nathalie Duroy pénétrait dans l'immeuble en sifflotant. Ca allait lui en boucher un coin à Georges : Damien avait été formel, la maison était à eux s'ils la voulaient. Très professionnel ce Damien, elle en toucherait un mot à l'agence, ça lui vaudrait peut-être une promotion. Depuis le temps que Georges rêvait de cette maison! Elle voyait déjà sa tête lorsqu'elle lui annoncerait la nouvelle.
Guillerette, elle s'approcha de la porte et sortit ses clés.
Après 25 ans dans cet appartement miteux, c'était enfin le début d'une nouvelle vie.
Oui en même temps, on a toutes un amant dans l'immobilier
· Il y a plus de 8 ans ·gondinet
J'aime beaucoup
· Il y a environ 10 ans ·tang22
Sympa, merci :)
· Il y a environ 10 ans ·Y K
J'aime beaucoup la banalité du quotidien qui le rattrape en plein milieu, le bordel et le vase, et puis le détachement de Georges.
· Il y a plus de 10 ans ·Merci pour ce bon moment :)
loua
Cool merci!
· Il y a plus de 10 ans ·Y K
Georges duroy. . .Bel-ami, le même intrigue, mais un nouveau style, bien trouvé, belle écriture, bravo !
· Il y a plus de 10 ans ·psycose
Et bien ça m'avait complètement échappé! Le pouvoir de l'inconscient... ou des noms génériques ;) Bien vu et merci!
· Il y a plus de 10 ans ·Y K