Gudingen, ou le voyeurisme embué

Thibaut Kuttler

L'érotisme n'est pas œil. Il est pore et sens.

Elle m'entraîne sur six étages pour me montrer son appartement.

La clef teinte. La porte croasse. Le parquet grince. Et mon cœur ventricule.

Elle me glisse rapidement dans la salle blanche au sol verglacé. Et me voilà suspendu à l'obscurité et à l'attente. Totalement, séquestré.

Tous les jours, elle m'offre l'identique parade. Le soleil pointe l'horizon, ses pieds ventousent le sol, la porte s'ouvre, l'élastique de sa culotte se détend,et sa nudité me dévisage. Elle me frôle, enjambe la baignoire. Tourne le bouton chaud et le bouton froid. Les canalisations pleurent et je souris. J'en ressors perlé de sueur et de convoitise.


Imaginez-vous un instant à ma place.

Moi, Gudingen, un simple rideau de douche d'une firme Suédoise. Avec pour quotidien, le même carrousel de sensation. Cette tortionnaire exhibitionniste ne sait pas avec qui elle joue. Elle me froisse à m'ignorer tous les matins, à me presser et m'éloigner contre sa silhouette. A me vaporiser son parfum scabreux d'eucalyptus et d'après shampoing physalis. A me toucher du bout des doigts...

« Je suis trop froid pour vous Mademoiselle ? Mais sachez que les fibres plastiques de mon corps sont en ébullition face à vous. J'en goutte sur le tapis de la salle d'eau. »


Perla, cette bourgeasse de serviette en coton d'Égypte me nargue avec véracité.

« Si tu savais comme sa peau est douce et chaude quand je me frotte à elle.

Le galbe de ses deux pommeaux, le léger relief de ses capuchons de shampoing, sa croupe brisée par l'emprunte du flexible de la douche et son sexe sans paraben. »

Il y a de quoi se sentir martyr face à cette méchanceté gratuite : la passion de Gudingen, crucifié sur la tringle de rideau.

Mais ce qu'elles ignorent, ces deux frotte-sécheuses, C'est que depuis trois nuits je conspire ma petite rébellion.

Demain, à l'instant où j'entendrais le matelas, le parquet et ma belle baigneuse grincer par le réveil, au moment où elle se glissera nue à mes côtés, je roulerais sur mon support, je me décrocherais et l'engloutirais de tout mon désir polyester.

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