Haines ou Le Corps a ses raisons

koss-ultane

Dans la ville de Haines, dans l'arrondissement de Haines, en Alaska de l'est, il se passait peu et rien n'y était remarquable. Depuis le 3 janvier 1959, date du rattachement du quarante-neuvième état au quarante-huit précédents, personne n'y était né ou décédé célèbre : pas un crooner de troisième ordre, pas même un base-baller de ligue mineur ou un Husky sachant faire du skateboard.

Rien.

Nada.

Peau d'zob.

Jusqu'au 7 juillet 1987.

Mais, surprenamment, peu s'en flattait ; la peur d'être raillé sans doute.

Les frères Browin étaient nés et aujourd'hui, des années après, Tom allait accompagner Tim à son premier entretien d'embauche. L'un n'avait jamais débordé du coloriage et l'autre enrageait encore chaque seconde d'avoir été dispensé de sport. Lorsque « Tom le turbulent » était envoyé au coin de la minuscule salle de classe, « Tim le studieux » se retrouvait le nez au tableau. Tim aimait les jolis costumes stricts et Tom était plutôt sportswear et tenues décontractées en toutes occasions dans un foyer monoparental peu aisé. Ce qui donnait du fil à coudre à leur maman. Des goûts souvent disparates ne les rendaient pas moins inséparables. Il faut dire que là où l'un allait l'autre suivait. Pas tant par affinité exclusive propre aux « frères Juneau » ‒ comme les avaient baptisés les canadiens voisins ‒ mais parce qu'ils partageaient une même poitrine. Et pas celle de leur mère. Ni celle d'une épicurienne affolée de gémellité. Les frères Browin avaient une tête bien faite, un bras de chaque côté d'un large tronc et une paire de jambes chacun mais faisaient cage thoracique et circulation sanguine communes. Du coup, l'un était plutôt gaucher et l'autre droitier mais ceci était un détail au regard du prototype corporel incarné par ce quadrupède bancal mais charmant. Tim était enjoué et rieur et Tom plutôt soupe au lait mais il avait promis à sa maman de ne point freiner les élans socialisants de son frère. Aujourd'hui, avant embauche, Tim avait son premier entretien ou plus exactement son ultime confrontation mais la seule en chair et en os et surplus.

Afin de dédommager Tom de cette perte de temps et de la fatigue du voyage, Tim lui avait offert ses plus belles illustrations d'hydres. De son côté, Tim avait marmonné jusqu'au rabâchement un laïus au cordeau entendu d'une oreille distraite et sourde par son frère. Paradoxalement, à quelques minutes du final examen, Tom avait une banane inébranlable et Tim était rouge confusion et transpirait abondamment. Comme promis, Tom faisait profil bas et, contre mauvaise fortune bon cœur, avait décidé d'avaler la pilule. Médication aplatie en losange écorné savamment choisie quelques dizaines de minutes avant la rencontre qui devait sceller le sort de son frère et desceller le sien du canapé familial. Et par pression consanguine et fraternelle, il avait décidé d'en gober… deux. Bleues.

  • Magnifique ! magnifique ! oui, je me répète mais que dire d'autre? Pourquoi ne peut-on plus partager?
    cdc

    · Il y a plus de 10 ans ·
    D9c7802e0eae80da795440eabd05ae17

    lyselotte

    • Chais pas. Merci. Mais vous avez un goût étrange.

      · Il y a plus de 10 ans ·
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      Koss Ultane

    • Je ne pense pas avoir un goût étrange ! juste m'interpellent l'atmosphère d'un texte, la justesse de l'écriture et la puissance d'évocation...les réflexions qui suivent la lecture aussi...bref, j'aime beaucoup votre plume.

      · Il y a plus de 10 ans ·
      D9c7802e0eae80da795440eabd05ae17

      lyselotte

    • je vous sais sincère, l'enthousiasme feint demande trop d'énergie, ce n'était qu'une taquinerie de la part de quelqu'un se complaisant à n'être qu'une petite annotation dans la marge. Mais n'est-ce pas elle qui tient la page ?

      · Il y a plus de 10 ans ·
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      Koss Ultane

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