Mauvaise conduite
Chris Toffans
Gonzague était très flatté d'avoir été invité à l'anniversaire de Steeve, un type sympa dont la popularité dépassait largement les frontières du campus. Dans la discothèque réservée pour l'occasion, l'ambiance se réchauffait à mesure que l'alcool des cocktails se diluait dans le sang des convives. Pour sa part, Gonzague avait décidé de ne pas se laisser aller, car il savait trop où l'ivresse pouvait l'emmener. D'autant qu'il avait repéré les regards insistants de Megan, laquelle discutait avec Steeve à l'autre bout de la salle. 'Elle parle avec lui mais c'est moi qu'elle regarde, pensait-il avec fierté. Il décida de s’octroyer un petit remontant, histoire de se donner le courage d’aller l'aborder. Après trois vodkas, il se sentait enfin prêt. Il franchit les quelques mètres qui le séparait de sa promise avec un sourire prédateur. "Salut Megan, je t'offre un verre ?", lui adressa-t-il sans s'occuper de Steeve. "Tiens bonsoir Gonzague", lança-t-elle en feignant de découvrir sa présence. Ce détachement complice ajoutait à la fébrilité du jeune homme qui sentait battre dans ses tempes les pulsions cadencées de sa libido dévorante. "Très volontiers, ce sera la même chose que toi".
Une dizaine de mojitos plus tard, Gonzague réalisa qu'il était seul au bar, incapable de dire où était passée sa compagne. Il supposa qu'elle était allée se refaire une beauté, chose totalement superflue à son avis, pour une créature à ce point gâtée par la nature. Dans sa plaisante torpeur, il se remémorait leur tête-à-tête intime. Il lui avait raconté sa vie. Ses amours, ses emmerdes. Ses envies d’interdit et sa peur du gendarme. Et elle l’avait écouté avec bienveillance, avec tendresse même, en souriant parfois de ses yeux malicieux.
Vingt minutes. Elle ne revenait toujours pas. Elle s'était probablement sentie mal après tous ces cocktails et avait décidé de rentrer chez elle … "Merde, il va bientôt faire jouir... faire jour" lança-t-il soudain au serveur, se rendant victime d'un lapsus pour le moins révélateur. Le barman répondit par un sourire désabusé, songeant que pour sa part le bout de la nuit c'était la fin de sa journée.
Gonzague avait encore trop bu. Mais ce soir il s'en fichait royalement, parce que ce petit excès lui avait permis de faire une rencontre inestimable. Il monta dans sa voiture, boucla sa ceinture et démarra prudemment. L’esprit léger, il s'engagea dans le boulevard du centre en direction du périphérique. Demain à la fac, il retrouverait Megan. Ils s’isoleraient à nouveau de ce monde détestable et ils reprendraient ensemble le cours de leur idylle naissante...
Dans son rétroviseur, Gonzague aperçut soudain une lueur familière. Une lumière bleue, intermittente, qui lui rappelait de mauvais souvenirs. 'Merde les poulets !, hurla-t-il d'une voix marquée par l'angoisse. Il prit la première à droite et roula à faible allure tout en surveillant ses arrières. 'Les cons, ils tournent aussi !' Cette fois la panique commençait sérieusement à l'envahir. ‘Garde ton calme Gonzague, rien ne prouve que ces enfoirés en ont après toi’. Oui mais si c’était le cas, c’était le moment de réagir ou jamais. Gonzague mit alors son clignotant à gauche et entra dans une ruelle étroite. Une fois hors du champ de vision de ses poursuivants, il écrasa la pédale d'accélérateur et avala en une fraction de seconde la ligne droite qui le menait à la prochaine intersection. Il se trouvait maintenant sur une route bordée d'arbustes qui montait en lacets vers le sommet d'une colline. Un coup d'œil en contrebas lui indiqua qu'il n'avait pas réussi à distancer la voiture au gyrophare. ‘Putain, y vont pas me lâcher !’. Les yeux rivés dans son rétroviseur, affolé et trempé de sueur, Gonzague ne vit pas venir le virage suivant. La voiture mordit le bas-côté et plongea brusquement dans le noir, sans le moindre bruit, sans même une esquisse de freinage...
Horrifiée par ce qu'elle venait de voir, Megan lâcha la lampe torche au prisme bleuté qu'elle faisait clignoter par le toit ouvrant. "Mon Dieu, qu'est-ce qu'on a fait !", gémit-elle à l'adresse de Steeve qui avait ralenti à l'approche du virage mortel. "On n'a rien fait. On a juste été témoins d'un accident de la route causé par un chauffard ivre qui n'a pas su maîtriser sa vitesse. Point barre."
- Tu crois pas qu’il faudrait prévenir les pompiers?
- Mais bien sûr, et puis la police pendant que tu y es ! Non, on n'appellera personne. De toute façon on n'a plus rien à faire ici. La fête est finie.
Et ben je m'attendais pas du tout à cette fin, c'est excellent !
· Il y a plus de 11 ans ·La lâcheté humaine est intarissable ^^
rafistoleuse
Les keufs, ça peut faire péter les plombs... et les femmes aussi... et puis les jaloux... et ça, c'est pas une blague... Bonne chance pour ta conduite bien menée ;))
· Il y a plus de 11 ans ·Apolline