Halte

Marcel Alalof

                                                        Halte.

 Synopsis:deux amis accèdent à la Révélation,sans même s'en apercevoir. Rien ne sera plus jamais comme avant.

 Nous arrivons tard le soir, dans cette petite ville de la région parisienne. Gérard gare sa voiture devant un café. Nous avons roulé huit heures et avons faim et soif.Le café est désert. Personne au comptoir, mais une jeune femme brune aux cheveux frisés, assise seule à une table, désabusée, qui empile des ronds de bière en position verticale, pour ensuite les lâcher et  les voir se défaire. Nous nous installons à deux tables. Le garçon se fait attendre. Cela n'entame nullement notre bonne humeur. Gérard est en grande forme, malgré la fatigue du parcours et évoque, un peu fort sans doute, les dix dernières années de son existence. En tout cas, la discussion semble avoir attiré l'attention de la jeune femme qui nous observe à présent avec une sorte de curiosité aimable.

Le garçon arrive enfin et nous commandons à boire et à manger. Il me répond que la cuisine est fermée. Nous insistons car nous n'avons rien ingéré depuis plus de dix heures. En vain. Le garçon répète qu’il ne peut rien faire pour nous. Je me lève, prêt à partir, invite Gérard à me suivre. La jeune fille alors intervient.

« Excusez-moi ! Je crois que vous ne trouverez aucun restaurant dans la ville. Je peux vous aider, si vous voulez ! »

« Avec plaisir, mais comment ? »

« Nous pouvons dîner chez moi ! ». Après une courte hésitation, mais mourant de faim, nous acceptons.

Nous sommes dans l'appartement de Mira, au premier étage d'un immeuble qui en comporte trois, situé au bord du canal. Mira nous fait pénétrer dans le salon, nous invite à nous installer sur le canapé, pendant qu'elle prépare la cuisine.

      « Il n'y en  aura pas pour longtemps ! » dit-elle. Et, effectivement, elle revient quelques minutes plus tard en imperméable, ses clés à la main.

« Je m'absente quelques minutes, il manque les ingrédients. Je ne serais pas longue ! »

Un peu déconcertés, nous ne savons trop quoi dire. Une heure passe, puis deux heures. Mira n'est toujours pas revenue. Gérard suggère que nous partions.  Alors que nous nous dirigeons vers la porte, nous sommes d'un coup stoppé par des pleurs de bébé qui semblent provenir de la pièce qui jouxte la porte d'entrée. Je saisis la poignée, qui résiste d'abord, puis la porte s'ouvre sur une pièce minuscule sans fenêtre, sorte de cagibi ou un nouveau-né, installé dans la nacelle d'un landau posé sur une table à repasser braie à tue-tête.

 Nous le berçons à tour de rôle, sans résultat. La mère présumée ne revient toujours pas. Nous trouvons un biberon et je prépare du lait réchauffé à température ambiante.

Je promène le bébé dans mes bras, comme je l'ai vu faire,jusqu’à ce qu’il fasse son rot, puis le dépose dans son berceau dont je rabats la visière. Ni cri, ni babillement : il s'est endormi. Nous ne savons pas ce qui est arrivé à la mère, sommes pris par l'anxiété, nous ne pouvons pas partir en claquant la porte, car s’il lui était arrivé malheur, abandonner le nouveau-né seul dans l'appartement, serait le vouer à une mort certaine.

Il est deux heures trente du matin. Je sors sur le palier, sonne à la porte voisine, une fois, dix fois ! Rien ne se passe. Je demande à Gérard de descendre dans sa voiture et de klaxonner devant l'immeuble, ce qu’il fait, à toute force. Aucune porte, aucune fenêtre ne s'ouvre, ici ou ailleurs. Pas une voix, pas un bruit. Nous sommes pris de panique, quittons en courant ce lieu maudit, emportant le bébé.

Nous sommes dans la ville, morte elle aussi, parcourant les artères désertes à tombeau ouvert, à la recherche d'un signe de vie, d'un accueil. Le bébé, installé à l'arrière dort à poings fermés. Notre première destination est le café où nous avions rencontré Mira. Les portes sont closes,les grilles baissées, les lumières éteintes. Gérard klaxonne, appuyé de tout son corps sur le volant. Rien ! Nous redémarrons, prenant les rues au hasard dans la nuit, Flying Dutchman d’un autre genre, sans tenir compte des feux et autres sens interdits…

 Ici, l'Asile dit du « Dernier Recours » : « Fermé pour travaux ». Là, un Poste de Police, porte ouverte. Enfin, une aide ! Nous approchons, j'avance, rentre droit dans le mur et recule, le visage ensanglanté : un trompe-l'oeil !

Je sais alors que nous n'en sortirons pas. Je retourne vers la voiture, baisse la visière du berceau. Le poupon ne dort plus. Ses yeux me parlent et, en autant de traits de lumière qui s'impriment en moi, je sais :

        -L'Homme n'a pas d'àme. C’est l’àme qui est prisonnière de l'Homme.

- La Mort n'est rien.

  - le Paradis, c'est l'âme débarrassée de l'individu et de ses souvenirs : ineffable.

 - Dieu, jamais personne ne le verra,ni avant ni après, et en même temps tout le monde le voit sans le voir.

Et d'autres choses, inconcevables, que je comprends pendant une fraction de seconde et oublie.

 Beaucoup de temps a passé. Gérard circule dans les rues de Paris en fauteuil roulant.

 Je suis à Chartres,posé dans l’endroit le plus sombre de la cathédrale. Homme- tronc, avec une fente au milieu du front. Pas pour les pièces. Le Troisième Oeil !

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