HEY MAX
giuglietta
Hey Max !
« Hey Max, Hey, m'quitte pas comme ça,
dis ! »
Je lui écris des trucs parlant d'une pluie,
venue de pays où il ne pleut pas. Je passe des heures à
imaginer que je creuse la terre, bien après ma mort,
pour couvrir son corps d'or et de lumière. Écrire...
m'évite de pleurer.
Écrire, c'est faire semblant d'espérer. C'est
déjouer le piège de cette insoutenable absence qui, se
refermant, m'emprisonne. Car l'absence est papable.
Paradoxe... L'absence, vivante comme une gueule qui
bée. Déchirante, l'absence, et je sens les crocs d'un
rongeur planté dans mes entrailles. Bien que les
rongeurs n'aient sans doute pas de crocs...
J'écris dans ma tête évidemment, je n'ai
plus de papier. Depuis longtemps. Pas de stylo non
plus. Et mes doigts sont gelés. Il est parti une nuit
d'hiver. Une de ces nuits où nous brûlions des restes de
cagette dans notre bidon crevé.
Notre bidon, tu parles d'une farce. Ici, sous
l'auto-pont, rien n'est à personne. Et on a oublié tout de
l'intimité.
Quand on s'est retrouvé là, je lui chantais
"Under the boardwalk...", j'avais encore de la gaîté.
Cette situation nouvelle, je la pensais
provisoire, galère passagère, teintée d'exotisme. Il
faisait doux encore, et les autres chantaient aussi, des
airs de leur pays. Je ne les comprenais pas, je parlais
avec Max.
Dix ans qu'il était avec moi, et sans lui,
vraiment, tout est trop difficile. Après sa mort, j'aurais
bien voulu l'enterrer. Mais même s'ils comprenaient
mon chagrin, même s'ils me baragouinaient des mots
de consolation, les autres avaient des projets différents.
L'un d'eux m'a fait comprendre qu'on
pourrait le faire cuire, le manger quoi.
Je ne juge pas... Ils vivent une telle misère,
et depuis si longtemps. J'imagine leur lointain,
tchétchène ou angolais, où ils furent battus, torturés, où
ils ont laissé une famille. L'argent pour les passeurs, la
clandestinité, la peur. La jungle de Sangatte. La fuite
encore. L'auto-pont, et l'espoir de gagner l'Angleterre.
J'ai hurlé tellement fort quand j'ai réalisé ce
qu'ils envisageaient, qu'ils m'ont laissée tranquille, l'un
d'eux a même sorti sa guitare à trois cordes pour
m'apaiser un peu. J'écris des poésies pour Max, que le
froid de la rue a tué, et pourtant, lorsqu'il m'a quittée
j'ai seulement réussi à bredouiller, la voix brouillée par
une bibine à base de sucre et d'éther :
«Hey Max, Hey, m'quitte pas comme ça,
dis !»
Hey Max (Les Charlots, trad. du "Hey Joe" de Jimmy
Hendrix par Gérard Rinaldi)
Des seventies à aujourd'hui, quelle chute ! texte poignant... douleur partagée...
· Il y a presque 14 ans ·Edwige Devillebichot
Un style hippie très littéraire! J'adore!
· Il y a presque 14 ans ·yunahreb
Une syntaxe au top qui décrit bien l'horreur de ceux qui touchent le fond.
· Il y a presque 14 ans ·Chris Toffans
merci a vous 2 !!! en ce moment j'essaie d'écrire u ... roman...alors mêmesi je ne sais pas ou je vais... c'est le casse tête...m'enfin je passe 3h à 4h a bien rigoler quand même chauqe jour en inventant des personnages....
· Il y a presque 14 ans ·giuglietta
Je suis fan
· Il y a presque 14 ans ·ko0
J'aime. C'est toujours écrit avec beaucoup de simplicité et de force. En même temps, c'est aussi au plus près des autres. Décidément, je trouve ton écriture très intéressante, tes mots mettent toujours un peu de lumière dans de sombres tableaux.Bravo, Giug.
· Il y a presque 14 ans ·jones