Il m'arrive d'être classique

petisaintleu

Après l'ère de la berceuse, Verdi m'aida en mes vertes années à découvrir le classique. Je n'étais qu'au tout début des quatre saisons de mon existence. Avec l'adolescence, je variais les plaisirs. Je me fis plus romantique dans une lettre à Élise, une Polonaise Héroïque. Alléluia, quelle symphonie du nouveau monde ignorée jusque-là par mon innocence. Pierre et le loup qui hantaient mes cauchemars ne furent bientôt que de lointains souvenirs.

Je me construisais déjà des châteaux en Espagne alors que j'étais encore glabre et trop jeune pour fréquenter le barbier de Séville. Dans des rêves érotiques, j'imaginais une nuit sur le mont Chauve, une sarabande où un canon échauffait mon sang  d'un French cancan. Quelle charmante petite musique de nuit !

Soir après soir, je sentais le désir m'envahir. Le rêve d'amour me mettait sens dessus-dessous, du 7e ciel au 24e caprice. Je dégrafais le Boléro de Carmen déclenchant une ode à la joie avant que cette gitane ne me calme en jouant le casse-noisette et ne disparaisse.

Je persévérais face à la force du destin. Une Arlésienne de perdue, dix de retrouvées. Je faisais feu de tout bois et, tel Guillaume Tell, toutes mes flèches atteignaient leur cible. En cette veillée nocturne, j'entendais par la fenêtre entrouverte les murmures de la Seine. Un Te Deum retentit en mon sein le soir où je fus initié à la flute enchantée. Nul besoin de faire partie d'une loge pour en apprécier tous les plaisirs. Au petit matin, enfin, je m'assoupis, le sourire sur les lèvres, me rêvant être la truite frétillant dans le beau Danube bleu.

Je fus réveillé par le cygne cherchant sa compagne. Était-ce un présage ? Quelle symphonie pathétique que de l'entendre me déchirer le cœur. Ce n'est qu'un prélude, pensais-je, la goutte d'eau qui fera déborder le vase, évinçant le duo de fleurs que j'y avais placé.  La sonate au clair de lune était déjà oubliée au détriment d'une marche que je sentais funèbre.

Au rythme d'une marche hongroise, j'atteignis rapidement le lac des cygnes. À sa surface, j'aperçus le vol du bourdon, évoquant un doux moment musical. Je fus sorti de ma torpeur par un volatile hystérique. L'oiseau de feu me menaçait de son bec, mimant la danse du sabre.

Le petit nègre que j'avais aperçu alors que je croisais la marche des Turcs me fut d'un grand secours. Je savais que j'avais joué à l'apprenti sorcier. Il me rejoint au pas de course. On aurait dit une chevauchée des walkyries hallucinée, reléguant l'attaque aérienne du village Viêt-Cong dans Apocalypse Now à un adagio.

Par une étude révolutionnaire de son comportement, je compris rapidement ses motivations. C'était un ange en réalité. Je ne fus pas déchu. Dépêché sur Terre pour s'opposer  au chœur des gardes de Faust, je m'agenouillais en pleurant un Avec Maria. Comme par enchantement et d'un coup de baguette magique, le maestro mit fin à ce carnaval des animaux. La symphonie inachevée put reprendre son cours.

Tout fut bien et se termina bien. Alors qu'il y a peu encore nous craignions la cathédrale engloutie, elle apparut au loin, majestueuse dans une impression au soleil levant. Le chœur des fiançailles retentit dans l'azur. Ne restait plus  pour sceller notre union, moi Roméo et toi, Juliette, qu'à nous laisser bercer par la marche nuptiale. Soyez certains que nous n'avions pas vu tel hyménée depuis les noces de Figaro. Merci, mon Dieu. Jésus, que ma joie demeure pour l'éternité.

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