IL Y A LE CORPS
Oscar Arensberg
Il y a le corps, d'abord
flottant
Le corps flottant de l'insecte (en métal)
en métal flottant.
D'abord, il y a le corps flottant de l'insecte en métal,
qui hurle d'observer
les corps marchant des foules improbables
(foules de chair, pas de métal).
D'abord les corps sont séparés, ils s'observent, les corps, ils voudraient bien comprendre
Le métal voudrait comprendre la chair
La chair voudrait comprendre le métal
Peut-être que ce n'est pas possible (peut-être que si mais ils n'y parviennent pas)
D'abord il n'y a que les corps qui se surveillent, qui se jaugent. Peut-être même qu'ils s'envient mais ils ne se le diront pas. On ne dit pas aux autres qu'on les envie, surtout si on est en métal et que l'autre n'est pas en métal.
Ensuite les corps, peut-être pas d'un seul coup, oh non ! mais très progressivement ensuite les corps se rencontrent.
Ils ne se parlent pas encore, pour le moment
toujours ils ne font que se regarder
mais de plus près
les corps
Le froid du métal et le chaud de la chair
S'observent.
Le corps de métal flottant baisse ses yeux pour observer le corps de chair marchant, corps de chair qui lève les siens
ceux d'en bas lèvent les yeux avec une pudeur non dissimulée pour voir ceux d'en haut, pour voir le métal fatigué qui s'assoit sur les nuages et qui fait des blancs nuages de noirs nuages
ET D'UN COUP ils ont peur
(car oui car si le métal fornique avec les cauchemars
car oui s'ils naissent les cauchemars métalliques
car danger, injustice.
Tout ça d'un coup
Que faire, alors ?)
Car oui comment vivre sans savoir ce qui nous veut du mal ? Insomnie, insomnie
Deuil du sommeil. L'habit noir on le dépose autour des yeux.
Lorsque l'on fait le deuil de son sommeil, l'habit noir on le nomme la cerne.
et un jour
(un jour longtemps après : des années et même quelques minutes en plus)
et un jour les corps
les deux
les deux corps s'entrechoquent
C'est violent, peut-être, et qu'est-ce que c'est doux !
Un jour les deux corps s'entrechoquent
Le choc entre les deux est un travail mal fait qui laisse des coulures
Mais la foule de chair admire
Admire
Admire
Ce qu'elle ne comprend pas
(le métal lui désormais s'en fout vraiment)
La foule de chair s'incline bas
Là-haut ils sont de plus en plus nombreux
et en bas de moins en moins
Et ceux d'en haut sont des bruyants, d'impossibles insupportables qui grondent de jour en jour et la nuit aussi ;
d'être là seulement ils bruisent le silence
ont pris ma main et fait semblant de me tirer mais m'ont poussé au fond du trou et persistent à chanter mes oreilles en lambeau quand ma cervelle cogne cogne cogne contre les parois en verre de mes yeux globuleux et mise en place d'une blanche ou grise dictature aspect de colère réalité de moutonisme et mise en place d'une noire dictature prise de conscience c'est un carnage dans le corps qui coud la bouche à la bouche c'est trop tard c'est la fin autant se taire autant partir
eux ils restent
Les corps s'entrechoquent et commencent à se haïr et commencent à s'aimer et certains ne commencent rien lorsque d'autres finissent.
Ça y est les corps ne s'observent plus et commencent à se connaître
Le métal apprend la chair
La chair apprend le métal
superbe mise en scène remise au goût du jour ah non besoin n'est pas tout est trop déjà là ils ont tout réussi peuple pauvre enclavé peuple pauvre aux pieds coulés dans le béton béton qui monte pour embourber la bouche la salive se durcit et nous perdons les sens à eux une victoire de plus
Je me souviens je me souviens de rien de l'échec un peu et de l'euthanasie putassière du ressenti des autres statues de chair et de tourbe
je me souviens de l'euthanasie putassière
Les corps de métal sont plus nombreux maintenant
Les corps de métal enlacent les corps de chair maintenant
Les corps de métal sont plus beaux maintenant
Je suis le vétéran d'une guerre solitaire (j'aurais voulu être plus mais les autres ont dit non et même les ennemis ont dit non à ma guerre)
Je crache et postillonne ma défaite de gavroche amoché mais cela ne suffit pas à faire rouiller leurs ailes
Ils continuent de danser au dessus de ma tête
Je ne danse pas, moi. Je suis assise et j'attends, moi. Je m'enferme dans un mutisme obsessionnel parce qu'en parlant je prendrais le risque de me tromper. Je regarde les corps qui se touchent, qui s'enlacent, tremblants, incertains. J'envie les corps qui. Mes yeux grands ouverts pour mieux se perdre entre les corps sublimes de ces autres qui savent trop bien faire ce qu'ils font. Je voudrais bien aussi mais à me lever je risque de tomber.
Ça y est
Peut-être
qu'il est l'heure
peut-être qu'il est l'heure de ne plus rien dire, de partir, peut-être qu'il est l'heure d'arrêter de regarder sa montre.
Le ciel dit Je ne suis plus moi-même car c'est vrai ils l'ont bouffé tout entier le ciel notre ciel. Le bleu meurt maintenant. Est-ce que quelqu'un sait encore ce qu'est le bleu ? Le seul bleu qu'il nous reste est salement gris et coule (à Paris) sous le pont Mirabeau.
J'aime beaucoup
· Il y a environ 10 ans ·dreamcatcher
En phase (tiens donc) avec mon alter echo ... Monsieur Pseudo-Oscar Machinberg, vous frisez le génie.
· Il y a environ 10 ans ·petisaintleu
J'adore votre texte ! Je me répète : mais, quelle modernité dans vos textes ! Et, les derniers mots... Bon sang, il fallait y penser !
· Il y a environ 10 ans ·Je ne sais pas pourquoi cela me rappelle cette phrase de René Char : "La poésie est de toutes les eaux claires celle qui s'attarde le moins aux reflets de ses ponts. Poésie, la vie future à l'intérieur de l'homme requalifié." Bon, je cite de mémoire, alors j'espère que c'est correct...
veroniquethery