2040 Le jour 1
Christophe Paris
Voilà vingt-cinq ans que je ne me suis pas réveillé à la bourre et j'ai 54 uninets de retard. Fini le réveil au persodrone et sa voix de synthèse quasi parfaite pour me sortir du lit. Okay retour à la domotique oldschool, tout reprogrammer, waow le boulot…. J'avais oublié c'est le jour 1, il va falloir que je m'y fasse. Qu'est devenu le ciel à présent ? J'ai la voix rauque et ma domotique traîne à comprendre mes ordres, « Nano day-erasers off, please Daya », prénom de l'intelligence artificielle de la maison. J'adore l'effet, du noir intense au translucide en fondu enchaîné. Les nanos particules intégrées au verre rendent le truc magique à chaque fois. Aujourd'hui le feu lumineux d'un soleil d'été baigne le potager de ma mezza-terrasse de ses rayons nourriciers. Le ciel est d'un bleu céruléen sans étourneaux électronique à l'horizon. Le ciel. J'avais oublié à quel point il était beau dans sa nudité bleutée. Pas d'amazoodrones et leurs livraisons de bouquins, fini. Plus de pizzburgers volants, terminé les livraisons de courses et de bouffe. Ça va changer l'emploi du temps tout ça.
Un peu dans les nuages, j'allume l'avatar holographique de mon ex-femme pendant que la vraie dort encore, et lui demande de démarrer la cafetière. Petite vengeance machiste personnelle certes, mais l'illusion est parfaite. Je sais pourtant qu'elle n'est que le produit d'un algorithme comportemental combiné à une compilation des photos et vidéos de l'époque, mais le fait que la machine soit capable d'improviser des gestes via ceux enregistrés en base m'épate toujours. Mince y 'a pas que moi qui suis en retard, les kids aussi n'ont plus de réveil. Il va falloir les accompagner, les habituer. Je pense petit déjeuner. Mince plus de livraisons, je file à la pâtiboulange. Pour les kids aussi ça va changer. C'est sûr que ce qui s'est passé avec les drones a été catastrophique, mais c'est avec leur absence que je me dis que parfois ils avaient leur utilité. Je suis bon pour les accompagner à l'école avec une leçon sur les dangers des mezza-villes. Plus de kidrone à rétrogravité au-dessus de leur épaule, sorte d'ange gardien électronique, et sa réalité augmentée couplé à l'algorithme d'analyse de danger en temps réel. Malgré les temps qui courent les parents étaient rassurés par ce mini-drone bourré de gadgets. Détection des risques potentiels comme un retro-G-skate, un type en cyclobot, une magnetcar ou tout simplement un poteau pour les plus distraits. Programmation d'itinéraires, bilan de santé en temps réel, tazer 6 tentacules anti-agression, lumière aveuglante, déclenchement de balise Argos. Prof de complément aux cours en avatar 3D intégré au système interrogeable à tout moment, linké à des liens maxmédias à projection holographique, le tout dans une demie sphère pas plus grande qu'une boule de pétanque. Et tout ça à cause du retro-G-skate, dont le principe de contre-aimant anti-gravitationnel avait révolutionné les drones, victimes d'hélices trop fragiles et dangereuses, les obligeant à voler en altitude. On dénombra d'ailleurs 156 décès liés à leurs chutes en 2015 et 842 en 2016 rien que sur Califor-York ce qui poussa les autorités du monde du milieu à un moratoire de deux ans. Amazoogle et les chaînes de distribution de produits grand public re-polluèrent donc les rues de leurs camions à l'hydrofragmenté en attendant une innovation capable de permettre le zéro risque. Amazoogle sauta alors sur le brevet en développant une Nano-technologie révolutionnaire initialement inventé par des français du monde du milieu. Plus de pollution dans les villes liée aux livraisons mais une vraie ruche en action dans le ciel et à hauteur d'épaule, comme une invasion de sauterelles en Norvège tropicale. La semaine dernière j'ai croisé un aveugle et son persodrone flottant au-dessus de l'épaule droite. Il marchait totalement libre, la caméra intégrée traduisant l'environnement extérieur en mini reproduction 3D sur son écran max média. Trop beau à voir, une multitude de picots en plastique montent et descendent comme les vu mètres d'une chaîne hyperhi-fi sculptant l'environnement extérieur sur l'écran et 4 cm d'épaisseur. Chaque forme présente dans le champ de la caméra est parfaitement reproduite, comme sculptée, et couplée à un GPS vocal de proximité pour les données de repérages de distance et de lecture de panneaux. La liberté de circuler sans accompagnement à portée de main et partout. Je me dis que ça va lui manquer et que le retour à la canne blanche électronique va lui mettre un coup de blues. Tout en marchant les cheveux hirsutes je ré-apprend le sens du silence. C'est étrange, je m'étais habitué à ce bruit sourd et feutré, mais omniprésent, de la rétrogravité. Quelle agréable sensation de ne plus entendre que les passants et le souffle des magnetcars. Il va falloir que je sois un peu plus aware, j'ai failli me faire renverser par l'une d'entre elles. Ça manque le détecteur de risque. Faire preuve d'un peu plus de vigilance dorénavant. Oups, un cyclobotman s'excuse d'avoir roulé sur mes chaussures Adidakine, lui aussi à l'air à l'ouest. Les contrô-drones disparus rendent aux passants un visage plus détendu. Je repars de la pâtiboulange direction le kawa's world. Expresso, rapido, trop chaud. Je remarque qu'Henri le serveur en liberté sous secu-drone a disparu du comptoir. J'aimais bien sa manière de préparer mon blackoffe. Le type s'était bien réhabilité comme beaucoup sous ce système de détection psychotique du drone dopé d'algorithmes anthroposociologique. Capable de prévenir toute bascule, le sécu-drone permettait un traitement ancéphalo-électrique par micro-ondes qui portait ses fruits sans douleurs ni effets secondaires. Personnellement et contrairement à la majorité je trouvais ça un peu barbare, mais la société est devenue ce qu'elle est, sécuritaire, même si nous, ceux du monde du milieu sommes plutôt bien lotis. Retour en cellule de réimplantation comportementale pour Henri donc, dommage. A deux pas de ma mezza, une pub 3D projetée sur le sol cite mon nom trente fois en me vantant les beautés de l'île de la réunion. Terminé pour eux, fini les drones anti-requins, retour à la grand crise des années 2012-2017. Au moins ça lui évitera d'être défigurée comme la Corse devenue aussi bétonnée que Hong-kongland. J'arrive au contrôle d'accès de mon cher chez moi qui me demande mon code. Ooooh, oooh… Habituellement c'est mon persodrone qui s'en charge. J'ai l'air malin planté là, les pieds chaussés de chaussons, quelle pomme. Distrait par la nouveauté je suis sorti avec et comprends mieux pourquoi je trouvais le sol mou ce matin... Un voisin arrive lui aussi en chaussons mais sans son code, ça me rassure en cette matinée au ciel muet. Muet. Comme le gardien à qui je fais des signes pour nous ouvrir alors qu'avant je pouvais blaguer avec lui via son vocodrone à transcription sonore de pensées. Retour à la case coupé du monde. C'est décidé avec les kids on apprendra la langue des signes pour lui éviter le monde du sans les autres. Finalement j'arrive devant ma porte à la domotique perfectible qui peine à reconnaître ma voix une fois encore. Les enfants sont debout et je me fais copieusement engueuler pour le retard, évidemment de ma faute... Après le p'titfast au choklatti toujours trop chaud, saleté de domotique, c'est la crise. Les mômes partent en en totale éruption. Plus de kidrone pour le check du cartable et les objets manquant liés au planning du jour, plus de sélection automatique des tenues via la connexion météo. Il va falloir leur ré-apprendre à faire des choix et à ranger les cartables, pas commode. Pour la bedchambre c'est déjà toute une histoire, j'imagine pour le reste. Waow... J'ai jamais vu ça. A chaque objet manquant, un cri, une panique, y compris pour les habits. Allez hop, tout le monde dehors. Une fois dans le garapark bien installé dans ma magnetcar, je réalise qu'il m'est impossible de démarrer sans Persodrone. Il y a bien sûr la reconnaissance par l'iris, mais elle est en panne depuis bien longtemps. J'annonce aux enfants qu'il nous faut prendre un magnetbus. Heureusement qu'ils fonctionnent encore comme les magnetscars via les anciens circuits electro-portés, sinon quelle pagaille. Ils vont sans doute être obligés de réactiver quelques centrales mégatomiques. Les enfants quand à eux sont en pleine fission nucléaire. Trop la honte de se faire accompagner par leur père devant le matercollycée. Je suis sauvé des radiations par une course effrénée pour attraper le magnetbus. Tout le monde court dans tous les sens portés par une odeur de transpiration bien nette. On dirait un marathontour géant dans la ville. Je termine le chemin en trottibot manquant au passage de m'égarer, sauvé par les vociférations de mes doudous. Arrivée à l'heure mais en nage, ils passent le Contrôle à l'entrée via leurs maxmedias de correspondance. Bon ça c'est fait. Pfiou ! Niveau en nage, je suis en algorithme brasse coulé et largué des amarres. En naufrage de partout je me perds pour rejoindre l'électrosub. Je suis horrifié en me rendant compte que je ne sais plus regarder par moi-même tellement habitué à me laisser piloter par mon persodrone. Tout parait neuf aujourd'hui, je redécouvre la mezzalopole comme un aveugle devenu voyant. A la fois belle et effrayante elle me subjugue. A tel point que je rate ma correspondance. Ré-apprendre à lire, à se guider, à se transporter ne va pas être facile dans les premiers temps, mais au moins on n'est plus stressé par les contrô-drones à détection de potenfaciès. Quand même, que tout celà se passe avec précipitation. En y repensant c'est crazyfou de se dire que toute la retrogravité hors électrique est abandonnée sur terre, par tous les pays en moins de 72 heures. Il y allait certes de l'existence même de notre espèce, mais quel empressement. Qui aurait pu prédire un tel impact avec une technologie qui paraissait si naturelle. A se demander si c'est vrai, tellement cela semble incroyable. Incroyable, comme cette cohue à la sortie du l'électrosub. Habituellement géré par les drones reliés aux lunettes augmentées, les bousculades et embouteillages avaient disparu des lieux publics. Le mot cohue reprenait tout son sens. Les gens se parlaient ou se disputaient mais prenaient contact entre eux. Il y a encore un jour c'était les drones qui se connectaient par affinités via les critères de recherche de chacun sous forme d'avatars en taille réel. Un truc factuel auquel je n'ai jamais accroché ce qui m'a évité moultes adultères. Pour les timides c'était l'outil idéal. Retour à la case rame et débrouille toi. Les joues vont recommencer à rougir... J'arrive au job et me rends compte que j'ai oublié de basculer de mon persodrone les données de mon Hyprapowerpoint. Gaffe énorme, obligé d'annuler la réunion du directoire en multi relais satellite. Une vraie fortune dépensée pour rien qui fait passer le visage de mon boss par toutes les couleurs de l'arc en ciel avant de finir en expressamu suite à une crise d'apoplexie, direction le clinhospital le plus proche. Pendant que mon boss sous assistance respiratoire retrouve sa couleur rose peau, je retrouve par coup de pot la trame du dossier qui me permet de broder un mail réparateur aux intervenants concernés. Sauvé. Comme mon boss. La journée est finie, je constate en m'éclipsant que les contro-drones de ma boîte ont disparu remplacés par par des agents de sécu à l'ancienne. Je me dis que cette absence technologique va ramener une présence humaine et moins de chômage. Tous les anciens métiers vont réapparaître, c'est finalement pas plus mal. Les agents de sécu pas encore rodés mettent une pagaille indicible ayant pour résultat une cohue dans le garapark ou je rejoins Théo mon collègue qui s'est proposé de m'éviter les affres de l'électrosub en m'accompagnat dans sa magnetcar. Lui aussi a du mal sans son drone, habitué à se faire tout livrer il n'avait pas pris son p'titfast ni son déjeuner, cette fois-ci à cause de la réunion. Il m'explique qu'il est très embêté pour ce soir parce qu'il ne se souvient plus de l'endroit ou se trouve le mégamarket pour faire ses courses. Il est aussi perdu que moi mais lui n'est pas en chausson. Nous rions sur le descriptif de mon réveil avec les kids, et sur le fait qu'il avait vainement tenté de réparer son drone oubliant que nous étions le jour 1 et que plus aucun d'entre eux ne pouvait s'activer. Du coup ce matin pour aller au job en magnetcar il avait mis quatre fois plus de temps qu'à l'habitude sans les street-drones de fluidification de parcours. Les feux rouges à l'ancienne ont été réimplantés à la và-vite mais merdent complètement générant des embouteillages dont le mot avait disparu de notre quotidien. Les types de la sécurité routière vont avoir du boulot pour des années. Je m'amuse de voir le vieux GPS sorti de la cave de Théo qui peine à lui trouver un itinéraire correct vu la pagaille dans les rues. Il est 190 uninets du soir et pas de message vidéo du persodrone de mes doudous pour m'avertir de leur retour. Hum, il va falloir que je ressorte mes anciens smartphones sinon je vais trop flipstresse, même si on a prouvé leur toxicité pour les mineurs depuis bien longtemps. Théo me dépose à ma mezza- terrasse. J'ai la voix claire et pourtant ma domotique rechigne à m'ouvrir la porte, décidemment il va falloir que je la mette au pas celle-là, elle commence à m'énerver. Je la reprogramme ce soir tant pis pour ma VOD d'un vieux classique du siècle dernier, Alien III. Un alien, c'est comme ça que je me sens dans ce nouveau monde. Les mômes sont là fort heureusement et m'agrippent jusqu'à notre écran maxmédia. « Papa regarde le monde est sauvé... » Je m'installe dans un vieux fauteuil Stark, toujours designer malgré ses soixante dix huit ans et constate via la chaîne d'infos en continu ibfm que l'arrêt brutal de tous les drones et des centrales souterraines de rétrogravité a porté ses fruits. L'axe de la terre s'est rétabli de lui-même nous sauvant d'un changement climatique majeur et de tremblements de terre généralisés. La rétrogravité, que tous le monde croyait inoffensive, avait été tellement sollicitée à travers le monde que le noyau terrestre en avait changé de densité étouffé par nos systèmes. L'aimant naturel de notre planète souffrait et se modifiait jusqu' à en boulverser son fonctionnement, risquant ainsi d'éloigner la terre de la zone vivable. Demain est un autre jour qui réservera certainement d'autres surprises et une bonne dose d'adaptation à cette nouvelle vie sans drones. En attendant, ce soir je couche les kids mais c'est moi qui raconte l'histoire et non pas les hologrammes de leurs kidrones. J'avais oublié à quel point c'était agréable de les voir s'endormir bercés par ma voix qui peinait à lire un ouvrage en papier, ce que je n'avais plus fait depuis des années. Retour à une sorte de case départ sans drones mais avec des hommes qui devront chacun reprendre leurs destins en mains. Comme par enchantement ma domotique éteint la lumière à ma première demande, je m'endors doucement en souriant. Je me dis que nous avons retrouvé une vraie liberté. Contraignante certes, mais humaine.
Futurisment beau Chris ...; je sais ce mots n’existe pas en 2015 mais qui sait..?
· Il y a presque 10 ans ·André Christian Saintier
Ça c'est un sacré univers ! J'adore :))))
· Il y a environ 10 ans ·Isabelle Revenu
merci isabelle mais te sens pas obligé de me lire quand j'envoie un com :) j'aime bien tes textes et pour le mûrissage j'en suis certain ça va revenir à fond la caisse .Merci de ton passage et de ton coup de coeur it is very gentil :)
· Il y a environ 10 ans ·Christophe Paris
Ach zo, je me sens ni tenue, ni obligée ... Juste que depuis quatre mois, ma vie a basculé enfin du côté ☼ ... Je suis moins présente y compris sur FB. Tes textes sont des morceaux gavés de force et franchement, je regrette de ne pas prendre le temps de te lire plus souvent. Bizzz Chris ;)
· Il y a environ 10 ans ·Isabelle Revenu
c'est joli et gentil ce que tu écris là et puis le "enfin" ça sent l'amour :) ça aussi c'est beau... j'aurais pas dû te faire la remarque t'as obligé à dévoiler du perso... s kuse ainourmes bijes
· Il y a environ 10 ans ·Christophe Paris
lol :) Bisous Chris <3
· Il y a environ 10 ans ·Isabelle Revenu
Même si certains concepts m'échappent, quand je sors de ma caverne, j'ai adoré l'ambiance et le rythme. Bonne chance
· Il y a environ 10 ans ·nyckie-alause
oh chic des compliments merci pour tes nombreuses lectures :-)
· Il y a environ 10 ans ·Christophe Paris
Ben dis donc... Quel monde! Moi qui était encore au drone disparu...le dodo. Tu es très documenté et puis inventif avec cela... M.... pour le concours!
· Il y a environ 10 ans ·vividecateri
merci vivi toujours supra gentille tes coms sont bien plus efficace que du baume chinois , tu réchauffe vraiment les coeurs, les notifs étaient en rade 36 textes à lire... si tu es dedans je te lis d'ici samedi au plus tard ainourmes bijes.
· Il y a environ 10 ans ·Christophe Paris
Ne suis pas dedans car impossible d'éditer des copier coller... J'essayerai mais je crains... Je suis aussi busy busy jusqu'à lundi...Kiss et carpe diem
· Il y a environ 10 ans ·vividecateri
oki je reste aux aguets :-)
· Il y a environ 10 ans ·Christophe Paris
sympa !! j'aime bien ce monde assisté de ventilos volants, ouf c'est pas pour demain !
· Il y a environ 10 ans ·dommage le vocable est super, changeant, imagé, fusionné, technologiquement facétieux.
J'attends J2 avec impatience.
Laure Cassus
bouuuuuuuuuuuuuh! j'espère qu'on arrivera jamais à ça (enfin avant ça, avec tous les drones, ça fait flipper)
· Il y a environ 10 ans ·dreamcatcher
normal que je puisse pas voter pour ton texte?
· Il y a environ 10 ans ·dreamcatcher