Intérieur femme en bleu fouillant dans une armoire: "Bernadette"

divina-bonitas

Concours nouvelle Félix Vallotton

Bernadette est une fille grandie sans savoir pourquoi qui est face à son armoire et dos à tout: sa chambre, sa maison, sa famille, la ville, la vie, l'espoir, l'amour, les oiseaux qui volent et les rivières qui coulent. Tout ce qui fait la vie se trouve quelque part derrière elle dans un espace temps qu'elle ne connait pas. Son corps informe et ses cheveux filasses placent son corps en dehors de tout, ne lui permettent pas d'entrer dans l'histoire qui se joue autour d'elle. Elle est née dans cette maison, dans la chambre parentale, un jour comme elle, un matin où il ne faisait ni froid ni chaud, une journée tiédasse de début de printemps, sans odeurs ni pluie, sans vent ni feuilles qui seraient tombées s'il s'était agi d'un jour d'automne. Elle est restée comme un oeil à bois sur une branche maigre et stérile, a grandi sans produire de fruits ni d'autres rameaux. Il n'était dans l'intention de personne qu'elle ne soit autre chose qu'une petite promesse sans enjeu dont la réalisation importerait peu. La mère ne s'était pas occupée d'elle, la confiant d'emblée à une petite nurse débarquée de sa campagne, une fille simplette qui s'est contentée de nourrir Bernadette et de la changer à l'occasion. Le naturel de la fillette n'était pas expansif. Elle avait pris l'habitude d'attendre sur une chaise que les journées passent. En silence, sans rien demander, sans rien attendre non plus. Quand il était l'heure d'aller à table, elle mangeait ce qu'il y avait dans son assiette, quoique ce fusse, sans lever les yeux, sans réclamer plus de sel ou de pain. Le soir elle enfilait la chemise de nuit lavande, s'alitait, dormait jusqu'au matin, se levait avant de reprendre rapidement sa place sur la chaise. Les gens tournaient autour d'elle sans lui prêter attention, sans lui parler ni exiger d'elle quoi que ce soit mis à part de menus travaux d'aiguilles qu'elle exécutait sans rechigner, sans goût ni talent particulier non plus. On le lui commandait alors elle le faisait. Le temps passa ainsi, ses soeurs se marièrent, connurent les emportements de l'amour, les délices du mariage, les mains d'un homme sur leurs seins, les souffrances de la maternité. Elle ne vit et ne toucha que son propre corps qui s'empâta mollement au fil des années sans qu'elle ni personne ne le remarquât. Il ne la faisait pas souffrir non plus qu'il ne lui imposait de besoins particuliers. Non. C'était juste un corps de sexe féminin qui portait le prénom de Bernadette, passant de la chaise au fauteuil si quelqu'un d'autre avait besoin de la chaise, une enveloppe épaisse et translucide qui se nourrissait trois fois par jour, se levait le matin et se couchait le soir, portait une chemise de nuit bleue parce qu'il n'y en avait jamais eu d'autres de couleurs différentes dans l'armoire. Son esprit était d'un bleu plus pâle, une goutte d'aquarelle bien tirée à l'eau, une surface vide se mêlant au support sans le mouiller vraiment, sans donner de profondeur au sujet, une surface à peine teintée aux bords indistincts, un fond aqueux et trop dilué esquissé par une main sans talent ni avenir oublié finalement sur l'étagère d'un placard.


Une fois Bernadette s'était demandée s'il ne serait pas mieux qu'elle disparaisse et comment elle le ferait. Mais elle conclut vite que ce qui n'existe pas ne peut disparaître, que seules les choses vivantes, celles qu'on voit et qui respirent, qui ont mal et qui rient, celles qui ont des envies et des chagrins, peuvent mourir vraiment.



  • Il est trop triste ton texte...

    · Il y a environ 11 ans ·
    Suicideblonde dita von teese l 1 195

    Sweety

    • Merci de l'avoir lu alors! Tu sais Sweety, malheureusement, dans la vraie vie, il y a plein de Bernadette...

      · Il y a environ 11 ans ·
      Img 1518

      divina-bonitas

  • Terrible ! Je me suis senti mal durant toute la lecture. Mal au coeur pour elle, mal à l'aise pour moi et presque coupable de voyeurisme.
    Comme si être témoin de cette vie me rendait complice de cette non existence, de ces bourreaux.
    Une surprenante et très belle interprétation du tableau (que tu devrais peut-être mettre en illustration pour que ça soit plus frappant).

    · Il y a environ 11 ans ·
    Francois merlin   bob sinclar

    wen

    • Wen, mon ami Wen, je vois que tu comprends bien ce que j'écris. Disons que j'adore Félix Vallotton et ces tableaux. J'ai fait une interprétation de celui-ci comme je l'ai ressentie. Une femme qui est face à un enfermement, un espace réduit et clos (l'armoire) et dos à tout le reste...sans savoir si cette perception correspond à celle du peintre ni si cela plaira au jury de ce concours. Merci en tous cas de ton commentaire, toujours sensible et sincère.

      · Il y a environ 11 ans ·
      Img 1518

      divina-bonitas

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