Irezumi (1)

christinej

Cela doit faire au moins une heure que je suis sur ce foutu trottoir, incapable de bouger.

Je ne me suis jamais vu comme un lâche pourtant, alors, pourquoi mon corps refuse de bouger?

Je dois le faire. Il le faut.

Je rassemble les parties de moi qui se sont éparpillées sur le sol et je traverse la rue.

Surtout ne pas réfléchir. En une respiration, je pénètre dans la maison a la porte rouge.

Rien a l’extérieur n’indique, que c’est un commerce, pourtant je suis sure que c’est la, ca doit être la.

A l’intérieure, une vieille dame est assise près de l’entrée. Elle est tellement ridée que je pourrais lui donner, facilement, plus de 150 ans d’âge. Elle me regarde, maintenant d’un l’air renfrogné comme si elle venait de lire dans mon esprit. Merde, elle me donne la chair de poule la petite vieille.

La pièce en elle-même est plutôt miteuse. Des tableaux de paysage sont accrochés aux murs. Le seul vrai meuble est un bureau qui trône au milieu, lui aussi est miteux et poussiéreux. Dessus est pausé une lampe avec un abat-jour orange, il y a aussi un gros cahier maltraité et torturé et un stylo faussement plaqué or. Rien d’autre, rien sauf a cote un ventilo qui brasse de l’air chaud et moisi dans ce carré, bien trop sombre.

Je me demande quand même si on ne m’a pas filé une mauvaise adresse.

Cela fait plus de trois ans que j’essaie de le localiser, si c’est ici…

La vieille dame dans son coin, commence a brailler comme un canard que l’on essaie de tuer.

Un grincement attire mon œil dans un renfoncement plus sombre. Tiens une porte, je ne l’avais pas remarqué. Elle s’ouvre avec une lenteur surnaturelle et son couinement ne présage rien de bon.

Un homme, légèrement courbé et sans âge apparait. C’est surréaliste il porte un pantalon de sport jaune fluo, un t-shirt sur lequel on peut lire très clairement f**k U, aux pieds il arbore avec fierté des chaussons avec la tête de Mickey. Ses yeux sont réduits a de simples fentes, mais sont regard est perçant. Il semble avoir vécu mille vies, le vent des années passées lui a buriné le visage d’une mer déchainée .

Il m’intimide vraiment le bonhomme, mais je me lance.

“ Bonjour êtes-vous un disciple de Maitre Horiyoshi?”

“ Allez vous en..”

“ Non je ne peux pas… s’il vous plait….écoutez moi.”

“ Il n’y a rien ici pour toi, petit. Retourne chez toi.”

“ Non!” je suis devenu fou ou quoi de répondre comme ca, si fort.

“ Non??!! Tu ne tiens pas beaucoup a la vie, petit, c’est ca?”

“ bien sur que je veux vire, mais je ne partirai pas.”

Son regard a plongé en moi comme si il feuilletait un livre, jugeant, jaugeant, triturant dans tout les sens, les indices qu’il trouve sur cette couverture qui me serre d’apparence.

“ Non, hein! Ok, petit, que veux tu?”

Mes mots se sont englués dans ma gorge, j’ai attendu ce moment depuis si longtemps et pourtant mes phrases toutes faites ont désertées et je crois sérieusement que ma raison c’est fait la malle.

“ Je…je veux…je voudrais un tatouage, fait par vous…je..”

Je n’ai pas eut le temps de finir ma phrase, qu’il est parti dans un fou rire qui m’a cordialement couru sur l’échine. Ce petit homme, se paie ma tête. Il rit tellement fort, maintenant que je crois bien qu’il va finir par se casser en deux.

“..un tatouage tu dis…petit. On peut dire que tu as le sens de l’humour toi alors. Tu es épais comme une feuille de papier a cigarette. Et tu me donnes l’impression que tu vas faire dans ton caleçon d’un moment a l’autre. Alors, dégage, petit c’est pas un endroit pour toi ici.”

“ Non! je vous ai déjà dit, non.”

J’essayai de paraitre solide et inflexible, alors qu’a l’intérieur de moi tout ce brisait, s’émiettait a cause de ma peur galopante.

Il me regarde, de la tête au pied, une moue intriguée imprimée sur le visage.

“bon tu en as une paire, peut être cachée quelque part la dedans, mais cela ne t’avancera a rien. Ce que tu demandes coute beaucoup d’argent..’

“ L’argent n’est pas un problème.”

“ ok. Mais connais tu la douleur? Quand l’aiguille charcutera ta peau, comme un essaim d’abeilles sur le cul d’une vache, tu chialeras comme une gamine.”

“ je supporterai, vous verrez.”

“ J’ai vu des gaillards 5 fois plus gros que toi se pisser dessus a cause de la douleur. Alors tu m’excuseras mais j’ai des doutes te concernant.”

“ Je dois le faire c’est tout.”

“ Bon c’est ta vie après tout.”

“ J’ai, une question que j’aimerai quand même vous poser.”

“ Vas-y shoot.”

“ C’est vraiment vous Maitre….”

“ tss tss tss, quand on a donné cette adresse j’imagine que l’on t’a, aussi, expliqué les règles,”

“ Oui c’est vrai, pas de nom.”

“ Bravo. Tu n’auras qu’a m’appeler Maitre Hori.”

“ Vous êtes tellement différent de ce que je m’étais imaginé.”

“ Ah oui! Tu pensais certainement trouver un vieux bonze, zen a la Karaté Kid. Ben non, tu vois. Mais ne te méprends pas, l’apparence ne fait jamais l’homme. Alors dis moi, que veux tu comme joli Irezumi?”

“ Je.. J’ai entendu dire que vous faites vos tatouages en fonction de l’histoire de vos clients…”

“je vois.. Quand veux-tu commencer a souffrir.”

“ Le plus tôt possible, Maitre Hori.”

Irezumi : tatouage traditionnel japonais

Hori : graver en japonais

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