Irezumi (5)

christinej

Les mois qui ont suivi, ont été douloureux, léger en sommeil et constant en silence.

A chaque séance, il m’était imposé, ordonné, ce silence lourd et autoritaire. Je me mettais en place et il commençait son travail. Le bruit des aiguilles transperçant ma peau, la respiration calme du Maitre. Les sons indistincts du dehors, les sons bien trop clairs de mes pensées.

Je devais chercher en moi un souvenir auquel m’accrocher pour penser a autre chose qu’a la douleur, pour m’empêcher d’hurler.

Chaque millimètre de mon dos est a vif, brulant de la maltraitance que je lui fais subir.

La nuit j’ai l’impression d’être sur un navire en pleine tempête, et, au moment ou je vais me noyer, je sens sa main se poser sur moi.

Ce rappel de douceur, cette caresse d’amour qui apaise mon cœur tourmenté.

Je continue, ainsi a supporter les jours, a marcher parmi les vivants, a respirer le même air qu’eux.

Elle m’a expliqué une fois, que oui j’avais commis une faute impardonnable. Tuer un autre être vivant c’était monstrueux. Mais cela ne voulait pas dire que je ne pouvais pas me racheter.

Elle m’a, alors, raconté une histoire que sa grand-mère lui avait conté autrefois.

Un homme, pauvre, ne possédant que ce qu’il portait sur lui, quémandait dans la rue un bol de riz. La plus part des gens l’ignoraient, passaient a cote de lui comme si il n’existait pas. Il n’avait plus de force et pensait que son heure était venue et qu’il allait mourir. Il était allongé sur le sol, les yeux fermés attendant que sa misère prenne fin. Il fut surpris de sentir que quelqu’un se tenait près de lui. Par curiosité il ouvrit un œil et vit une jeune fille d‘une dizaine d‘années. Elle lui tendit un bol de riz avec du poisson, un grand luxe pour lui. Mais il hésitait a le prendre, se méfiant d’un mauvais tour. La jeune fille ne s’offensa pas face a l’hésitation de l’homme, elle posa juste le bol et s’en alla. Tout les jours, elle venait lui apporter a manger avec douceur et bonté. Sans jamais rien dire, elle posait le bol et tournait les talons. Mais un jour elle n’est pas venue, ni les jours suivants. Il s’est dit que c’était déjà bien et ne chercha pas a en savoir d’avantage. Un soir la rue parlait fort d’un malheur qui venait de s’abattre, les gens qui déambulaient, semblaient remués. Il demanda alors ce qui s’était passé. On lui expliqua qu’une jeune fille venait de se faire tuer de façon horrible. Une jeune fille??!! Le sang de l’homme se glaça, il avait soudain un mauvais pressentiment.

Sur la place centrale du village, un attroupement de gens regardait tous dans la même direction. L’homme se fraya un chemin pour voir. Il reconnu tout de suite la gentille petite fille. Elle était allongée dans une marre de sang, sans aucun vêtement sur elle, la gorge tranchée, le corps brisé de toute part. Des dépouilles de chiens éventrés et d’ordures, autour d’elle, rendaient la scène encore plus épouvantable et insupportable. Tous la regardaient comme des voyeurs pathétiques, parlant mais ne faisant aucun geste. L’homme ôta sa chemise et recouvra le corps de la pauvre enfant. Il ne pleurait pas mais il a senti son âme se déchirer devant ce spectacle. Qui pouvait être assez monstrueux pour faire une telle chose?

Quand la mère de la jeune fille est arrivée. elle hurla, comme seule une mère peut le faire sur la dépouille de son enfant. A travers ses larmes elle remercia l’homme pour son geste, pour avoir redonné un peu de dignité a sa fille. On lui remit quelques piécettes dans une bourse et le corps fut emmené.

Le lendemain, les gens agissaient comme si rien ne s’était passé, on avait déjà oublié l‘affaire de la jeune fille. Mais l’homme lui en était incapable. Il n’avait qu’une idée en tête, la venger. Apres plusieurs semaines de recherches il trouva l’homme qui avait épousé et tué la jeune fille. Un homme riche, qui vu son rang, pensait avoir le droit de faire ce qu’il voulait sans jamais être inquiété. Il adorait les filles surtout les très jeunes, mais il se lassait vite. Alors pour se débarrasser d’une épouse encombrante ou d’une fille trop pleurnicharde, il les faisait tout simplement tuer, non sans les avoir données avant a sa meute de gardes. Le vagabond ne pouvait plus contenir sa colère et sa rage contre cet homme alors, une nuit, il pénétra chez lui et lui trancha la gorge durant son sommeil.

Apres son geste il s’enfuit loin de cette ville.

Mais, même si il était persuadé d’avoir bien agi, son geste le rongeait. Il était presque mort quand un homme l’emmena chez lui pour le soigner et lui donner a manger. Mais il ne voulait pas, il voulait mourir, il méritait de mourir. Il raconta son histoire et ce qu’il avait fait. L’homme lui expliqua qu’il y avait un moyen de se racheter. Souffrir, ressentir la peine et la douleur mordre sa chair était une façon de nettoyer son geste. L’homme, qui était un maitre tatoueur, entreprit alors de tatouer le vagabond, chaque jour, sur chaque parcelle de sa peau, pour laver par la douleur le crime commis. Plus de cinq ans après, le dernier coup d’aiguille fut donné. Non seulement il avait appris un métier, mais il avait un maitre et surtout il était devenu un homme. Avant il n’était rien qu’un mendiant, un résidu de vie humaine, aujourd’hui il pouvait se tenir debout la tête haute, même si son corps tout entier était tatoué. Même si les gens le regardaient comme un malfrat, lui, il savait qu‘il n‘avait plus a avoir honte. Et maintenant que dois-je faire? Demanda-t-il. Son maitre lui répondit tout simplement, que maintenant il pouvait mourir avec dignité car ton âme était en paix.

Quand j’ai demandé a Hatsune ce qui c’était passé ensuite, elle m’a répondu de la même façon que sa grand-mère lui avait fait a l‘époque. Et toi qu’aurais-tu fait a sa place?

Je n’avais pas de réponse a ce genre de question a ce moment la. Mais aujourd’hui c’est différent je sais quoi répondre, en fait, je sais quoi faire.

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