Jacques Fitzgerald Kennedy

Marion Danan

"L'Histoire s’était mise en branle...c'était fou! Aujourd'hui encore, tout ce qui peut être dit sur le sujet me dépasse complétement."

Il a décroché à la première tonalité. Le connaissant, il attendait à côté du téléphone.

«Je suis en bas!»

«Je descends mon grand»

Je souris; j'aurais 50 ans l’année prochaine et à ce «mon grand» je sens toujours sa main, tendre et protectrice, ébouriffant mes cheveux.

La portière s'ouvre et la voiture est envahie par les effluves d’Égoïste de Chanel. Il le porte depuis une quinzaine d'années...on dirait que sa peau a été faite pour ce parfum ...ou l'inverse.

-Ça va Papa? Je demande en me penchant pour l'embrasser.

- J'ai hâte que ça se termine...de toute façon c'est sans doute ma dernière fois!

-Tu as eu des informations?

-Non mais si l'issue nous est favorable la prochaine fois je serais mort ou sénile alors cette vielle histoire ne m'enquiquinera plus!

En roulant vers l’ambassade américaine, je me dis que minimiser est sans doute le seul moyen qu'il a trouvé pour ne pas en crever. Il lui a fallu ruser pour ne pas s'écrouler sous le poids du secret.

Pour moi ça sera la 1ere fois. J'étais un peu anxieux ce matin mais ma main ne tremblait pas trop en me rasant...tu parles! Des semaines que je m'y prépare! C'est un peu con mais quand j'ai reçu la convocation de l'ISCAP, la première pensée a été «qu'est-ce que je vais mettre?» Paris au mois de septembre est un vrai casse-tête climatique...et surtout je ne voulais pas risquer de décevoir. Puis j'ai réalisé qu'on s’en foutait, que, dans le pire des cas, ça n’éclaterait que quelques jours après.

Le Bureau d'Appel Inter-agence de la Classification de Sécurité (ISCAP en américain) se réunit tous les 25 ans pour obtenir la prorogation de la durée de classification du Dossier ANJE.

La dernière fois je n'étais au courant de rien, j'avais 25ans j’étais insouciant et la vie devant moi. Puis maman a cessé de lutter contre un cancer il y a 15 ans et j'ai tout pris en pleine poire.

Quand le notaire m'a remis le cahier, Papa m'a dit « l'amour est le seul ciment d'une famille...et bordel je t'aime!» et puis il est sorti du bureau.

3h et un paquet de clopes plus tard, le monde s'était effondré et un salopard avait foutu le feu aux décombres !

Il fallait que Papa me le dise, qu'il me le confirme. J'ai foncé à leur appartement de la rue du commerce, dans le 15eme. Il m'a fait entrer, une bouteille de Gevrey à la main, les yeux rougis. «Je ne savais pas qu'elle avait tout écrit...elle a eu tort mais je suis content qu'elle l'ait fait. Entre, je vais te raconter notre histoire».

Il m'a servi un verre de vin...je me suis écroulé dans le fauteuil club du salon, j'avais très chaud, la colère et la peur sans doute.

«Je me suis engagé chez les Marines en 1942, j'avais presque 18 ans.

En 43, au large des îles Salomon, un destroyer japonais nous a coulé. Le Lieutenant Kennedy a organisé le sauvetage du reste de l’équipage malgré ses blessures. Je l'ai aidé; on a failli y passer plus d'une fois. Il a été décoré, moi non. Alors il m'a fait intégrer sa garde rapprochée quand il est entré en politique et j'ai rejoint les services secrets...Nous étions très proches pour ne pas dire amis...

Il est de notoriété publique qu'il était coureur de jupons ; sans lui cherché d'excuses, son traitement y était pour beaucoup. Il recevait régulièrement des soins pour la maladie d'Addison. C'est comme ça qu'ils se sont rencontrés. Elle était infirmière et elle avait l'accent français. Ça le rendait dingue!

Elle lui a résisté 6 longs mois, elle vivait avec son amourette de lycée un certain McKenzie qui «préférait son club de tir et casser du négro». Et puis comment résiste-t-on au Président des États- Unis d'Amérique?

Leur histoire a duré 3 mois. Elle a préféré arrêter... elle se sentait incapable de vivre dans l'ombre. L'ombre de Jackie, de Marilyne, du drapeau...

Alice était d'une beauté à couper le souffle, elle rayonnait naturellement.

Quand il a découvert qu'elle était enceinte, McKenzie a pété les plombs, il était stérile. Il l'a tabassé pendant presque 2h...elle a appelé Jack pour la sortir de là. «Jacques», c’est comme ça qu'elle l'appelait...Il a envoyé une voiture la chercher et m'a appelé pour me raconter toute l'histoire, il m'a demandé de le retrouver et de le mettre «hors d’état de nuire» mais de garder tout cela sous silence. Il était en pleine campagne pour sa réélection à la présidence et préparait son déplacement à Dallas la semaine suivante.

Je suis allé chez Alice pour glaner quelques informations sur McKenzie. Alice était à l’hôpital, McKenzie en fuite. J'ai vu sa photo encadrée dans l'escalier, je suis tombé amoureux d'elle comme ça. Une photo dans l'escalier... J'ai fouillé la maison, j'ai passé des coups de fil. J'ai compris que McKenzie fréquentait des groupuscules extrémistes fervents partisans de ségrégation raciale et que JFK ne faisait vraiment pas partie de ses héros... mais quand il lui a pris la seule chose qui le rendait moins mauvais, JFK est devenu l'homme à abattre. J'ai trouvé des copies du parcours que la voiture devait faire à Dallas, les plans du quartier, le dépôt de livres scolaire, la butte en fin de parcours, et des notes avec des horaires de car de Dallas pour le Mexique.

J'ai rejoint Jack le lendemain et lui ai demandé de ne pas aller à Dallas. C’était impossible, il ne voulait rien entendre, c’était capital pour sa campagne. Alors on a convenu d'utiliser une doublure pour le défilé si McKenzie était toujours introuvable. Jackie serait présente dans le cortège pour détourner l'attention et pour donner du crédit au sosie.

Le 22 Novembre 1963, à 12H je laissais Alice et Jack dans un motel à la sortie de la ville sous la surveillance de 3 de mes agents. Je venais d'apprendre que McKenzie avait était repéré en centre-ville. D'après mes conclusions, il devait se poster sur le toit du dépôt de livres.

En arrivant là-haut, aucune trace de McKenzie. J'entendais la foule au loin, le défilé avait dû commencer. C'est là que mon regard est tombé sur le terre-plein à la fin du parcours, j'ai vu son fusil et derrière l'arbre je l'ai vu lui; j'étais trop loin pour l'atteindre avec mon arme. Je me suis lancé dans les escaliers de l’entrepôt, j’étais a peine sortie que j'ai entendu les détonations. Puis les cris. Je l'ai vu déguerpir et se fondre dans les petites rues; je l'ai suivi. Je l'ai coursé pendant 20 minutes. A travers les rues, les boutiques, la circulation, puis il est entré dans un immeuble. Il devait rejoindre quelqu’un car il savait où il allait. Dans les escaliers entre le 2ème et le 3ème étage il a crié quelque chose que je n'ai pas compris, une porte au 3ème s'est ouverte et j'ai vu le canon d'un fusil sortir. Je me suis jeté sur McKenzie, on a perdu l’équilibre, il est passé par-dessus la balustrade et sa tête a heurté la rampe du 1er étage...j'ai entendu le craquement de sa nuque... il s'est écrasé en bas et j'ai vu

3 hommes s'élancer vers moi. Je ne faisais pas le poids et je n'avais pas de renfort prévu. J'ai fui! J'ai dévalé les escaliers et j'ai couru aussi vite que j'ai pu...puis je ne les ai plus senti à mes trousses.

La ville était en ébullition, On avait tiré sur le Président!!! La police était sur les lieux, les sirènes hurlaient...j'ai décidé de regagner le motel pour m'assurer qu'ils allaient bien.

Alice était en larme, tétanisée et Jack voulait sortir, dire au monde qu'il allait bien...il était dans un état second. Pendant que je lui racontais ce qu'il venait de se passer avec McKenzie, Karl, un de mes agent est entré et nous a appris qu'un certain Lee Harvey Oswald venait d’être arrêté. Je ne comprenais plus rien, qui était ce type? C’était dingue!!! Tout a dérapé à cause de ce type sorti de nulle part...

Nous n’étions que 6 à connaître la vérité: Jack, Alice, mes 3 agents et moi. Ça n’était dans aucun protocole, inscrit sur aucun registre; Jack m'avait confié sa vie au prix d'une discrétion absolue. Même Jackie avait été écartée, sans doute n'avait-elle pas été dupe quand le sosie s’était installé à ses côtés dans la Lincoln mais le choc de l'attentat et la vitesse à laquelle se sont enchaînés les événements nous ont tous dépassé...l'Histoire s’était mise en branle...c'était fou! Aujourd'hui encore, tout ce qui peut être dit sur le sujet me dépasse complétement.

Tous ces théoriciens du complot, toutes ces spéculations de l'absurde...c’était abscons!

J'ai donc organisé notre départ le lendemain pour Paris où Alice avait encore de la famille. Nous devions travailler avec Jack à son retour à la vie et sur les devants de la scène politique.

Jack et Alice vivait dans un appartement prêté par un cousin d'Alice, et moi j'occupais la chambre de bonne plus haut.

Le choc de l'attentat, le voyage, nos projets pour son retour et la gestion de la grossesse compliquée d'Alice ont sans doute contribué à l'aggravation de l'état de santé de Jack... Il est mort des suites de sa maladie 7 mois après notre arrivée, dans leur appartement de la rue Monsieur le Prince. Tu es né 3 semaines plus tard.

Je me suis occupé de vous 2 comme si vous étiez ma propre famille. D'ailleurs il ne me restait plus que vous, tout le reste n’existait plus.

J'ai tout rassemblé concernant l'attentat, les notes de McKenzie, les billets pour Paris, ton extrait de naissance et j'ai contacté la CIA qui a fini ce que j'avais commencé. Tout ça est devenu Secret Défense.

Le Dossier ANJE est révisé tous les 25 ans pour décider si l'on déclasse le dossier… ANJE...Alice Nancy JANNET EASTON.

Ta mère est la seule femme que j’ai jamais aimé.

Tu es né de père inconnu mais je t'ai adopté dès ta 2eme année, après notre mariage. Nous nous sommes vraiment aimés. Après toute cette folie nous avons créé une vie simple. Et d'une surprenante sincérité. Elle était ma femme et tu es mon fils voilà tout.»

Ça m'a foutu un sacré coup d'apprendre à 35 balais que mon histoire n’était pas celle que je connaissais.

Quant au fait d'être la cause d'un des plus gros scandales du 20ème siècle, ça fait le bonheur de ma psy depuis 15 ans!

Mon père est toujours mon père. Je l'aime toujours aussi fort et malgré ce tsunami qui m'a ébranlé, je suis toujours debout grâce à lui.

Le verdict de la commission va tomber d'un instant à l'autre...Nous sommes confiants, c'est encore trop tôt pour révéler l'affaire au public... tant que je suis vivant ils ne peuvent pas déclasser le dossier ANJE...il me serait impossible de faire face à 50ans de fantasmes!

C'est pour cela que je ne vous autorise pas à mettre cette interviewe sous presse tant que le dossier ANJE n'est pas déclassé mais dans 25 ans, vous serez les seuls à avoir le témoignage du bâtard du président le plus populaire de l'histoire.

  • Tres original! J'adore! Belle revisite de l'histoire, on sent aussi une certaine érudition, une certaine recherche.... une tres tres bonne nouvelle.

    Juste un petit bémol (en tant que fan incontesté: Marilyn, sans "e" mais je pense qu'il y a un coté volontaire a ce petit "e"...)

    · Il y a plus de 10 ans ·
    318986 10151296736193829 1321128920 n

    jasy-santo

    • Merci!!! Je dois avouer que le "e" de Marilyn..... est une vraie coquille.... toutes mes excuses :)

      · Il y a plus de 10 ans ·
      B wgreek

      Marion Danan

    • ahah :-)

      · Il y a plus de 10 ans ·
      318986 10151296736193829 1321128920 n

      jasy-santo

  • Classe. Il y a tout, créativité, rythme et fond. Continue comme ça et la banque va te regretter...

    · Il y a plus de 10 ans ·
    U3w9e40p

    Jeff Legrand (Djeff)

    • au risque de me répéter donc: c'est tout doux ca... merci ;)

      · Il y a plus de 10 ans ·
      B wgreek

      Marion Danan

  • Extra, vraiment! Me manque juste un titre à la hauteur du texte :-)

    · Il y a plus de 10 ans ·
    Sylviane doise  petite narratologie du quotidien  rip

    gameover

    • J'aimais bien la légère subtilité de celui ci...merci de d'être arrêtée par ici et du CDC!!!

      · Il y a plus de 10 ans ·
      B wgreek

      Marion Danan

    • Tu as raison pour la subtilité. Entre Jack et Jacques, il y a... ton texte. J'avais fait comme à l'école, j'avais lu trop vite le titre :-)

      · Il y a plus de 10 ans ·
      Sylviane doise  petite narratologie du quotidien  rip

      gameover

  • Super... accroché jusqu'au bout... et d'accord avec Georges Beckett, pas besoin de pinceau quand on dessine si bien avec des mots...

    · Il y a presque 11 ans ·
    Yahn 3

    yahn

    • Merci pour ce beau compliment!

      · Il y a presque 11 ans ·
      B wgreek

      Marion Danan

  • Oublie la peinture, l'écriture te va bien... j'aime ++.

    · Il y a presque 11 ans ·
    Poule 2

    Giorgio Buitoni

    • Merci! J'ai trouve un bon compromis en écrivant sur la peinture aussi... habile!

      · Il y a presque 11 ans ·
      B wgreek

      Marion Danan

  • C'est super sympa, je pourrai en lire 600 pages un bras dans le dos.

    · Il y a presque 11 ans ·
    Droopy bogie orig

    koss-ultane

    • C'est gentil mais je vous autorise à utiliser les 2 mains... je suis amoureuse du livre papier et à 600 pages ca commence à peser :)

      · Il y a presque 11 ans ·
      B wgreek

      Marion Danan

    • Suis très très très fainéant, les gros bouquins, je les pose. J'utilise des couverts en plastique au quotidien sinon j'ai l'impression de faire de la muscu, c'est dire. C'est très gonflé et ingénieux l'idée de s'immiscer dans un des attentats les plus bâchés et rabâchés de toute l'histoire contemporaine. J'ai hâte de clouer le bec d'un rat de librairie qui me dirait : "Faut absolument que tu lises "Mon c_l sur la commode" de Machin et je lui répondrai catastrophé : Quoi ?! Bah ! t'as pas lu le dernier Danan, c'est une tuerie ! Part de flan ! Et ça veut donner des conseils ?!

      · Il y a presque 11 ans ·
      Droopy bogie orig

      koss-ultane

    • Les couverts en plastique, m'ont fait pouffer ( j'adore pouffer et utiliser le-dit verbe) mais le part de flan en insulte ultime m' a immédiatement entrainé dans un fou rire larmoyant ... le tout avec l'élégance d'un Philippe Bouvard hilare...ce qui a l'avantage de masquer le fait que le compliment m'a outrageusement fait rougir!

      · Il y a presque 11 ans ·
      B wgreek

      Marion Danan

    • Philippe Bouvard ? Vous êtes donc très secousse pendant le rire. Moi j'ai les sourcils et les commissures qui remontent déraisonnablement, on dirait le joker.

      · Il y a presque 11 ans ·
      Droopy bogie orig

      koss-ultane

  • Comme un écho à mon texte. J'aime beaucoup le rythme endiablé du tien (ce que je ne sais pas faire :)...
    Bref. Bravo.
    A bientôt.

    · Il y a presque 11 ans ·
    332791 101838326611661 1951249170 o

    wic

    • Du coup entre ton sens aigüe de la description et mon rythme... on va pouvoir tenter les 600pages que propose Koss -ultane.:)
      Merci du commentaire!

      · Il y a presque 11 ans ·
      B wgreek

      Marion Danan

    • J'aI déjà écrit un bouquin de plus de 600 pages...
      ...et ça ne mène nul part ;-);-)

      Par contre, plus intéressant, je viens de percuter sur le "Jacques" de ton titre, il y a donc aussi un don chez toi pour l'originalité dans les titres... cool.

      · Il y a presque 11 ans ·
      332791 101838326611661 1951249170 o

      wic

    • 600pages qui ne mènent nulle part... ca ressemble à une performance!

      · Il y a presque 11 ans ·
      B wgreek

      Marion Danan

    • une grosse perte de temps plutôt :-)

      · Il y a presque 11 ans ·
      332791 101838326611661 1951249170 o

      wic

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