Je m'écris !

nemo

Tout a commencé en … c’était juste après… non avant... Enfin, ce qui est certain, c’est que je venais d’entrer en classe de poésie.

Nous avions appris que Ronsard aimait beaucoup lutiner les filles  – ce qui nous étonnait fort : ça se faisait déjà au seizième ? – et, pour que nous puissions le faire aussi, R*, notre prof de littérature française, nous avait proposé d’écrire un sonnet. Un sonnet ! La seule chose qui m’intéressait, moi, c’est quand la cloche « sonnait » l’heure de la récré. Oui, mais, il y avait les filles… argument convaincant !

Jugeant que, pour une fois, le jeu valait bien la chandelle, je m’appliquais, contrairement à mon habitude, à donner pleine satisfaction à ce vieil emmerdeur.

Le lundi suivant, R* me fit venir près de lui, devant toute la classe.

– Pierre, me dit-il, j’ai lu votre sonnet. Il est très bon. Où l’avez-vous copié ?

– Mais… c’est moi, m’sieur.

– Me prenez-vous pour un sot ?

– Mais si...

– Comment ? Vous me prenez pour un sot ?

– Non, m’sieur, je veux dire que c’est moi…

– Impossible ! Je vous connais, vous n’en êtes pas capable.

– Mais, m’sieur…

– Pierre, si vous persistez, je vous colle deux jours de renvoi.

Je compris à ce moment que mon passé de cancre me rattrapait. Je changeais alors d’attitude.

– Oui, m’sieur, vous avez raison, c’est dans un livre de mon père que…, dis-je en baissant les yeux vers mes chaussures.

– Bien. Puisque vous avouez, je vous pardonne. Et de qui est-il ?

– Baulaire, m’sieur,

(Je me souvenais vaguement avoir lu ce nom quelque part.)

– Baudelaire, ignare ! Bien sûr, Je m’en doutais. Allez vous asseoir ! Je vous mets un 7/10 pour avoir dit la vérité.

Ce jour-là, en regagnant ma place, souriant dans ma barbe que je n’avais pas encore, j’avais appris trois choses bien plus utiles que tout ce qu’on avait pu m’enseigner jusque là :

– Que nos supérieurs ne le sont que de nom ;

– Que le mensonge vaut mieux que la vérité ;

– Que j’étais capable d’écrire des poèmes comme les Grands.

Mettant à profit ce dernier point, je suis devenu faussaire littéraire : j’écris de faux Rimbaud, de faux Apollinaire, de faux Prévert, etc. Pas pour gagner de l’argent. Non, simplement pour le plaisir. Je récupère de vieilles feuilles de papier encore vierges chez des bouquinistes ; je recopie mes œuvres à la plume et ensuite je les glisse dans quelque dépôt d’archives… en imaginant la tête de tous ces spécialistes qui se disputeront à leur propos.

Vous ne me croyez pas ?

Vous connaissez la Chasse spirituelle de Rimbaud ? Eh bien, c’est moi !

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