Je t'ai dit deux ans, je voulais le crier
thib
Il y a un peu plus de deux ans. Je t'écrivais puisqu'il faut tout dire. Il y a deux ans. On en fait du chemin pendant ce temps là. C'est fou. Tout ce qui a pu signifier. Tout ce qui s'est donné à voir. A sentir. Je voudrais être moins maladroit pour être clair. Que tu saisisses ce qui est visible dans ma gorge et dans mes yeux, maintenant. Ce qui se tait dans l'ampleur de mes gestes, de ma joie, dans le lait de mon ombre. Dans les poches de ma veste. Celles de ma mémoire retrouvée. Dans le temps, dans tous les temps qui m'entourent.
Peine perdue. Perdue et non renouvelable. C'est une reconnaissance qui fait mal, presque. Elle est trop mal installée en moi. Je suis trop petit pour elle. C'est ce qui fait danser la nuit. Ce qui fait rire la douleur. C'est tout. Ce n'était rien. Rien ce que tu as fait. C'était juste venir entière. C'était répondre entière. C'était si peu, quand on y pense. Des mots, une voix dans les graviers d'un téléphone. L'envie de poser une main sur ma joue. Elle est trop vaste tu sais cette chanson de vie. Elle est partout, partout. Toi.
Deux ans. Tout. On ne peut pas tout dire. On ne peut pas tout danser. Ni même tout sentir. Tu parlais des blessures qui ressemblaient aux miennes. Et ça faisait de la lumière. Tes plaies. Sur les miennes. Ton sang couvrait mon sang. Sur le moment, sur le moment c'était ce réconfort qu'on ne souhaite pas mais dont on a besoin. C'était le jour en trop et les choses vides qui caracolaient autour sans avoir aucun sens. Aucune peau. Y a toujours des jours en trop dans nos vies. Des jours où le temps déborde.
Toujours une fatigue, et encore un peu plus loin, l'usure. On peut s'user à n'importe quoi. On peut s'user de mots. On peut s'user des autres. De soi. Des autres. S'user de vivre même. On s'use rarement de tout en même temps. Je crois que c'est ce qu'on appelle toucher le fond. Faut être naïf pour en arriver là. Voire même un peu nigaud. Moi c'était un jour de juin. Jour de juin de plomb jour de trop. Comme une bouteille qui s'étouffe à force de boire. J'étais même usé de mes larmes. J'attendais rien. Tout. Et rien, plus encore. Y a des choses qui semblent pires que la mort. Je crois que c'est vrai. Je crois qu'il y en a. Parce qu'il y a des choses sans lesquelles je ne voudrais pas vivre.
Deux ans presque. Je t'écrivais il faut tout dire. Mais je ne t'ai jamais dit ça. Je ne t'ai jamais dit la différence entre tout et rien. Je ne t'ai jamais dit ta présence. Je ne voulais pas t'attacher avec ça. Je crois que tu ne savais pas. Je crois que tu as vu quelqu'un souffrir et que tu as eu une envie irrépressible de le recueillir et de le protéger. Ses couleurs ressemblaient peut être un peu aux tiennes. Moi non plus je ne sais pas. Je me souviens. Je me souviens que tes blessures étaient claires avec les miennes. Peut être que celles où je vivais ressemblaient à celles où tu pleurais. Que tu es venue dans ta voix, poser ta paume là, juste sous la joue, et relever un peu ma tête, parce que c'était ce que tu aurais souhaité que quelqu'un fasse pour toi. A ça non plus je ne crois pas. Tu as répondu à la vie et c'est tout. Toi tu as répandue la tienne.
Tu ne t'es pas sentie seule. Tu t'es sentie chaude. Forte. Assez forte pour aller au bout de ces choses que tous les autres sentent aussi mais qu'ils n'osent pas. Toi. Avec les mains de tes poumons, toute seule. Et entière. Il y a deux ans tu as détournée une source. Tu n'as jamais su. C'est aujourd'hui que je te le dis. C'est ce soir. Que je te livre tout. Oh tu me répondras que c'était en moi, que ça attendait, simplement. Une jolie manière de se faire glissante. Magicienne. Avec ton envie de disparaître. Tu n'avais que ton envie, des mots et un téléphone mais c'était toi toute qui m'as couvert. C'était toi toute qui a divisé ma peine et qui l'a rajoutée au poids que tu avais déjà sur le dos. Tu ne peux pas nier.
C'est vrai qu'il y a toujours en nous quelque chose. Qui attend. Mais combien viennent le chercher, combien savent écouter assez pour le sentir ? Combien ont le courage d'aimer jusque là, pas une, pas deux personnes, mais chacun et chacune ? Je vais te le dire : ils sont nombreux, ils sont trop peu. Maintenant toi et moi nous savons. Nous avons foi, ils sont nombreux. Mais nous savons qu'ils sont trop peu. Ce n'est pas le sujet. Ne me rends pas plus maladroit que je ne suis déjà, avec tous ces mots. Toutes ces rémanences et ces sanglots qui se heurtent dans la danse et font vivre les braises. Danse du sang sous la nuit.
J'avais arrêté d'y croire à tout ça moi, il y a deux ans. C'était tombé. La foi était restée trop longtemps dans le four. Tout le monde sait qu'un gâteau trop cuit retombe. Et si la joie est un soufflé, la foi est une génoise. Ça demande une cuisson parfaite. Le soleil, l'eau, tout, un équilibre. Voilà. Je te dis tout. Les choses bêtes aussi. C'est comme ça. Comme ça vient, ça va pareil. Faut pas trop réfléchir lorsqu'on essaie de parler vrai. Parler vrai ça se fait avec le corps. Entier. Et quand je dis corps, je veux dire, la chair et les mots et le regard. Avec sa présence. Totale. Pas les doigts seulement. Ni la bouche. Avec les papilles. Avec le foie, les muscles, les cheveux et les vertèbres. Avec son feu à soi. Toutes les cellules. Ça se fait tout pour tout faire. Bon.
Je n'y croyais plus, j'étais usé, usé, jusqu'aux plaies j'étais usé. C'est ce qui arrive parfois quand on ne trouve personne avec qui partager, et qu'on a des trucs qui s'épuisent à tourner tous seuls en dedans alors qu'ils devraient couler dehors. C'est la solitude qu'on invente quand on ne comprend pas encore bien qu'il y a plus grand que soi à travers et avec nous. Pas dieu. Plus grand, comme vie, qu'il n'y qu'un seul ciel qu'une seule terre qui nous lient, qui nous rassemblent. Alors ça et le jour en trop ça faisait beaucoup. Trop. La bouteille se noyait.
J'étais tout seul en juin jusqu'à toi. Tu es venue tellement toute que ça s'est rué. Il s'est creusé un grand tunnel dans mon silence. Et toi tu as tout pris. Tout. Avec ta lumière et ton cœur de femme. Avec ta souffrance et ton ventre de femme. Tu as tout pris et tu as tout aimé. C'est ça qui est venu me chercher au fond. Tu sais, il n'y a pas d'autre moyen de se rendre là où la vie attend d'être révélée. Il faut l'aimer. La reproduire. La chérir. La chauffer. Il faut la célébrer comme elle nous célèbre. La protéger comme elle nous protège. Il faut la répandre comme elle nous parcourt. Tu vois, c'est ça la différence capitale entre tout et rien. C'est ce qui t'a fait plonger. Ce qui t'a fait oser. Ce qui t'a fait aimer. Qui te fera aimer plus encore. Et encore. Encore encore encore.
La différence entre tout et rien, c'est que sans me connaître tu m'aimais déjà.
Deux ans et tu n'imagines pas ce que ça peut faire, entassées, deux années pleines de gratitude. C'est facile de dire que tu n'imagines pas. Mais ce n'en est pas moins vrai. Deux ans. De reconnaissance. Et ça se compte en secondes. Chaque seconde, c'est à nouveau tout. Tout livrer, à nouveau. Merci merci merci merci, sans fin merci. Sans fin je t'aime. Et, tout, je t'aime, toute.
Un texte magnifique, que j'ai lu deux fois pour le sentir pleinement. j'aime la façon dont tu parle de la foi, cette équilibre nécessaire. Tu parle vrai, "avec le corps" et j'adore. On ressent ce que tu veux dire, sans toujours le comprendre, mais à mes yeux, c'est encore mieux :) Seul la personne à qui le texte est destiné peut tout comprendre. Mais c'est encore mieux de "ressentir", c'est presque du voyeurisme. :) "il faut répandre la vie comme elle nous parcourt" j'adore ! Un grand bravo. Pour moi c'est un Merci magnifique.
· Il y a plus de 9 ans ·mlleash
Le corps... ça me touche beaucoup. Vraiment. Là encore, j'essaie. Parce qu'il n'est pas toujours évident d'écouter ce que dit le corps. Et encore moins, une fois qu'on l'écoute, de le traduire avec des mots. Je me souviens de quand j'étais petit. C'était un peu un rêve. Arriver à écrire quelque chose qui fasse ressentir, mais juste ressentir. Je m'étais dit que les mots ne marchent pas suffisamment. Qu'il faudrait écrire en bruits. Mais je ne suis pas musicien. J'aurais aimé. J'ai dû faire des compromis. Merci en tout cas. Beaucoup.
· Il y a plus de 9 ans ·thib
Deux ans…Je l'ai lu deux fois. L'amour…
· Il y a plus de 9 ans ·themariarosariaworld
"L'amour cherche l'amour sans changer de visage"... Deux fois... merci beaucoup.
· Il y a plus de 9 ans ·thib
Des mots qui sortent des tripes , bravo !!
· Il y a plus de 9 ans ·marielesmots
Oh oui, un peu des tripes, un peu des poumons, un peu des poignets aussi, du foie et de la rate si possible. On essaie. Merci.
· Il y a plus de 9 ans ·thib
C'est magnifiquement dit, cette spirale, ce labyrinthe de l'amour, c'est rempli d'émotions imagées, superbe texte. Merci.
· Il y a plus de 9 ans ·bleuterre
Merci de prendre part au labyrinthe. Et pour le compliment, mais ce qui est beau, c'est d'où ça vient, vraiment, et c'est pour ça, merci.
· Il y a plus de 9 ans ·thib
Merci de nous renforcer de ces mots régénérants et dansants.
· Il y a plus de 9 ans ·fionavanessa
S'ils renforcent, c'est que tu leur prêtes les tiennes, de forces. Merci m'zelle.
· Il y a plus de 9 ans ·thib
Superbe !
· Il y a plus de 9 ans ·ade
Merci !
· Il y a plus de 9 ans ·thib
Tout entier, du vrai... Ça coule. elle coule, elle déborde la vie de tout ça. C'est fou comme l'énergie de l'eau s’insinue partout même entre les rochers les plus lourds qu'on avait ramené devant soit. Il suffit d'une.C'est beau, c'est tout.
· Il y a plus de 9 ans ·lilu
La vie finit toujours par déborder quand on la contient trop. Elle est plus grande que nous. Dans le temps et l'espace. L'eau. Oui. L'eau dépliée. Merci.
· Il y a plus de 9 ans ·thib