J’étais jeune. Je voulais simplement lui parler
Stéphan Mary
En dix ans de vie parisienne, me faire agresser dans le métro parisien m'est arrivé à plusieurs reprises dont deux fois intolérables. La première, un mec s'est collé à moi, histoire que je constate bien qu'il ne bandait pas mou, Trop de monde, impossible de me retourner. Arrivée au jardin des tuileries, je descends, le repère et bonne surprise, il me suit. Je l'attends et me retourne pour lui en coller une que je veux magistrale ! Je vois un pauvre type se liquéfier et lis immédiatement dans ses yeux qu'il avait fait erreur en me prenant pour un jeune allant monnayer ses charmes au Tuileries. Or comme chacun sait «C'est un jardin, Extraordinaire, Il y a des canards qui parlent anglais, J' leur donne du pain, Ils remuent leurs derrières ..» Il est devenu subitement rouge cramoisi et pendant dix secondes très gonflantes m'a sorti des excuses plates mais sincères. J'ai laissé tomber la baffe, j'ai même eu une sensation assez bizarre de pitié. Je suis partie en lui disant « Ne refaites jamais ça sinon la prochaine fois je vous démolis. »
La deuxième agression dans le métro ressemble à une attaque très bien rodée. Le type profite de la foule pour quasiment venir s'incruster dans mon dos. Le tout s‘accompagne d'une odeur de transpiration intenable et je m'arrête là parce que question foutre, ce n'était pas jouissif croyez-moi. Or le week-end précédent j'étais dans une voiture où un vieux machin assis à l'arrière et moi à la place du mort, n'a pas cessé de chercher à passer sa main le long du siège pour tripoter ce qu'il pouvait atteindre de mon anatomie. J'ai donc appliqué deux fois la méthode corrective : allumer une cigarette, même si la rame de métro est bondée et l'écraser en forçant bien sur la main de l'agresseur. C'est radical. Aucun d'eux n'a hurlé à la mort, remplaçant leur débit de phéromones par une douleur qui doit rester discrète. En effet, il leur serait difficile de justifier comment et pourquoi j'ai pu faire ça. Sachant qu'une brûlure de cigarette équivaut à neuf cents degrés… La victime a son dernier mot, sans souffler une parole.
Il y a eu d'autres agressions et mon instinct de survie qui m'a largement protégé. Une fois je suis seule dans le dernier wagon de la dernière rame. Arrivent deux costauds qui me repèrent instantanément, viennent s'asseoir en face de moi. Ils commencent à parler cul, me dévisagent et enfin m'interpellent. Je réponds en mimant la langue des signes et leur signifie que je n'entends pas. L'un commence à se pencher vers moi et je sens que ma pseudo surdité l'excite un peu plus mais son copain lui dit « Laisse tomber, tu vois bien qu'elle est handicapée !» Le type s'est redressé et n'a eu de cesse de me dévisager comme si mon handicap était une version suffisamment plausible pour m'épargner. Ils sont enfin descendus à la station suivante. Je ne sais pas pourquoi j'ai tout de suite mis en avant un handicap pour me protéger. L'instinct de conservation nous conduit dans des mondes inexplorés…
J'ai vécu d'autres violences dont je me suis toujours sortie avec ce fameux instinct. Sauf une fois un soir, station Franklin Roosevelt. Ils étaient deux et le plus costaud m'a envoyé gratuitement un coup de pied dans le plexus avec une furie telle que j'ai valdingué contre un mur et perdu connaissance. Lorsque je suis revenue à moi, il y avait des dizaines de personnes autour, les mêmes ayant été témoins de ce coup porté sans raison sans que personne n'intervienne, comme d'habitude !!! Je n'oublierai jamais la date de ce soir là car Je rejoignais Henry Colpi et Pierre Bourgeade pour parler théâtre. Je suis arrivée bien sûr en retard avec l'empreinte du pied incrusté dans le tee-shirt. J'ai demandé à Pierre « Tu m'emmènes avec toi ? » Il m'a répondu par la négative mais m'a promis de tout me raconter. L'agression très violente a eu comme conséquence directe, non seulement de me rendre ko mais m'a également sonnée. J'avais perdu l'énergie nécessaire pour argumenter comme à mon habitude au point de faire craquer mon interlocuteur.
Le lendemain il m'a sourit et confié « Elle était légèrement barrée, sans doute ivre. Tu aurais été déçue.» Mais moi je m'en fichais. Je voulais juste lui parler un peu. C'était quasi vital ! Elle avait activement participé à l'écriture du scénario et des dialogues pour « Une aussi longue absence » premier film réalisé par Henry Colpi, palme d'or du Festival de Cannes et Prix Louis-Delluc en 1961. Elle berçait de sa musique si personnelle les mots avec cette éternelle mélodie qui parcourait son œuvre. Commencez un des ses livres en cachant et le titre et le nom de l'écrivain-e, grâce à ses lignes d'écriture posées comme des notes sur une portée, écoutez juste la musique et vous savez dans la minute qui est l'auteure.
Cette agression a eu lieu le 12 novembre 1984, date mémorable pour Marguerite Duras qui recevait le prix Goncourt avec « L'amant.» J'étais jeune. Je voulais simplement lui parler. J'avais envie qu'elle me dise « Ce qui est affligeant dans ton agression, c'est sa banalité. Ne t'inquiète pas et continue d'écrire. Ecrire c'est aussi dénoncer. »
je crois qu’on devait être dans la même rame quand je raconte provincial à paris....blague à part je trouve honteux l’indifférence des gens qui restent sans réaction dans ce genre de cas . dans une autre vie j’ai rencontré la passivité,l’indifference des personnes face à des situations où un brin de solidarité aurait tout changé...
· Il y a plus de 9 ans ·textuellement
Je viens de voir ton message, sorry so sorry pour le retard mais merci beaucoup de ton commentaire et oui, un brin de solidarité changerait tellement de choses..;
· Il y a plus de 9 ans ·Stéphan Mary
wahoo ! Dur pour toi mais je comprends aisément que quitter cette vie de folie à Paris soit plus que nécessaire. J'ai eu d'autres mésaventures dans le métro mais physiquement le coup de pied en plein thorax à été dur à supporter. Ce con faisait au moins du 46 d'après la marque sur mon tee-shirt et oui j'ai eu mal. Mais la plus grande colère a vraiment été d'être trop stone pour convaincre mon ami de me présenter à Duras. Là oui j'ai éprouvé un tantinet de haine contre l'agresseur.
· Il y a plus de 10 ans ·Il faut continuer à dire, écrire, intervenir. Ce qui est également inacceptable c'est la passivité des gens autour,. Même si on peut comprendre, ça ne veut pas dire accepter.
Merci de ton témoignage. Au plaisir de se lire
Stéphan Mary
Très bon texte, je comprends bien les ressentis associés à cette agression gratuite et violente. Dommage de n'avoir pu rencontrer M.Duras!
· Il y a plus de 10 ans ·J'ai quitté Paris et un job que j'adorais en grande partie parce que je n'arrivais plus à prendre le métro et après une agression très violente dans une brasserie alors que j'étais enceinte.
Continuons à écrire!
divina-bonitas
Triste.
· Il y a plus de 10 ans ·jeanmichemuche
Qu'est ce qui est triste ? Les agressions ou Marguerite ?
· Il y a plus de 10 ans ·Stéphan Mary
un texte furie tout en notes de musiques. on devine agressivité mais on ne la lit pas. le texte coule comme un long fleuve tranquille. Moi j'ai pris plein de fois le métro, mais heureusement j'ai pas été emmerdée. C'est plutôt hors du métro que j'ai eu beaucoup de frayeurs.
· Il y a presque 11 ans ·elisabetha
Oui bien sûr il y a de la colère contre ce type de comportement, agrémentée d'une frustration réelle si tu ne peux pas faire autrement que subir et le métro aux heures de pointe devient un champ de bataille entre les pervers et les victimes.
· Il y a presque 11 ans ·Quant à l'extérieur, se faire suivre, insultée, provoquée est une sacrée source de peur à laquelle s'ajoute l'angoisse. Regarde la vidéo en lien avec le texte, peut être que...
Stéphan Mary
Le genre de réflexion " Elle l'a bien cherchée " a le don de me faire sortir de mes gonds !!. J'ai été également victime de ce genre d'agressions dans le métro parisien, loin d'être plaisant. Une fois dans le bus " un spécialiste " de la main où je pense s'est avisée de la mettre sur ma petite personne, ma réaction , j'ai crié bien fort et crois moi , cela l'a calmé direct et il s'est pris une honte !! j'étais assez fière de moi. Tu fais bien de dénoncer ce genre de méfaits qui hélas sont monnaie courante
· Il y a presque 11 ans ·marielesmots
Merci de ton témoignage. Oui il faut dénoncer ces rapports pervers et agressifs, violence inqualifiable. C'est vrai c'est bien de gueuler un grand coup ! Et c'est plus intelligent que d'éteindre une cigarette sur ces mains baladeuses. Quoique...
· Il y a presque 11 ans ·Stéphan Mary